Musée du Chateau d'Argent

Lundi 8 janvier 2018

 

 CHATEAU D’ARGENT

Conférences 2O17 – 2O18, par Danielle VINCENT.
 
«  Octobre 1917 - Octobre 2O17 :
 
LA REVOLUTION RUSSE ET LE « LIVRE NOIR DU COMMUNISME’  »
 
Conférences - Entretiens – Débats
 
Musée Château d'Argent
Ariel et Danielle Vincent

215, rue Clemenceau, Villa ALICE

68160 Sainte Marie aux Mines 

Alsace - FRANCE

 

Tel. 06 47 14 67 88

     03 89 58 78 18

 

Visite guidée tous les jours

14h à 16h

 
 
Suite de la conférence du 4 décembre 2017
 
 

Lundi 8 janvier 2O18

« Octobre 1917… » (Suite).

 

Le climat général de contestation répandu dans toute l’Europe dès la moitié du XIXe siècle,

la sensibilisation par les écrivains, les philosophes, les politiciens, à la cause du prolétariat, et aux inégalités sociales, avaient trouvé en Russie un terrain favorable. S’y ajoutèrent les erreurs du gouvernement et les échecs de la guerre.

En Russie, une crise économique sévit depuis 1846. La situation des paysans s’aggrave. En 1858 le tsar Alexandre II (1818-1881) entreprend de grandes réformes : libéralisation des idées et de la presse, abolition du servage (1858-1861), réforme agraire avec le partage des terres aux paysans et l’octroi de plus de liberté. Un tiers des domaines était laissé aux seigneurs, et les deux autres tiers furent distribués aux communautés paysannes. Alexandre II entreprit aussi des réformes administratives et créa les « zemstvos », conseils élus par les habitants, qui pouvaient prendre des initiatives en matière économique et sociale.

Pourtant, ces réformes ne trouvèrent pas l’écho attendu. Elles provoquèrent, au contraire, désordres et mécontentements. Après une insurrection polonaise, en 186O, qu’il réprima dans le sang, le tsar revint à une politique plus rigoureuse. Il supprima l’autocratie des zemstvos, et jugula de nouveau presse et université.

A partir de là, l’opposition au régime tsariste ne fit que s’accentuer.

Un phénomène important, et même capital vit alors le jour : l’intelligentsia, les milieux étudiants, émirent l’idée qu’il fallait instruire les petites gens, les sensibiliser aux idées révolutionnaires, et pour cela, se mettre à leur niveau, se mêler à eux , placer le ferment réactionnaire au niveau des racines de la classe populaire. On donna à ce mouvement le nom de « populisme ».

Ce populisme dont l’Etat perçut immédiatement le danger, fut très durement réprimé. Or, il s’aggrava d’autant et devint un véritable mouvement terroriste.

Trois attentats visèrent Alexandre II, entre 1879 et 188O, et un quatrième lui fut fatal à Saint-Petersbourg, le 13 mars 1881.

Ce fut son frère, Alexandre III (1845-1894) qui lui succéda. Il poursuivit la politique de répression et accentua les efforts de « russification » de la Pologne.

Le règne du nouveau tsar fut marqué cependant par un grand essor économique. La France octroyant des prêts à la Russie, cet afflux de capitaux permit à cette dernière de se moderniser. Elle entreprit notamment la construction, à travers ses 22 millions de kilomètres carrés, d’un réseau fantastique de voies ferrées, la huitième merveille du monde, très dense jusqu’à la Volga et se poursuivant par les transcontinentaux : le Transsibérien dès 1891, qui sera prolongé sous Nicolas II, à partir de 19O3, jusqu’en Corée à Leao-Tong ou Port-Arthur, et le long du fleuve Amour jusqu’à Khabarovsk, non loin du Japon) ; le Transmandchourien en 19O5, s’étendant jusqu’à Vladivostok ; le Transaralien jusque dans le Turkestan, prolongé par le Transcaspien, tangentant un moment la frontière perse, repartant jusqu’à la Mer Caspienne, puis, sur la rive d’en face, reliant Bakou à Batoum en Mer Noire.

En même temps se développaient la métallurgie, dans les régions de l’Ukraine, de Moscou et de Saint-Petersbourg et l’industrie textile en Pologne et à Moscou. On commence à exploiter des puits de pétrole dans le Caucase, tellement convoités, deux générations plus tard, par l’Allemagne hitlérienne.

Cependant, le point névralgique restait, en Russie, le problème agraire. Avec une croissance démographique forte, à la fin du XIXe siècle, les terres ne suffisaient pas à nourrir les paysans. Ce milieu était accablé d’impôts. Un exode rural vint grossir les rangs des ouvriers dans les villes : on en dénombrait un million et demi en 1893.  Leurs conditions de vie étaient semblables à celles que décrivait Zola en France. Ils travaillaient treize heures par jour, sans protection sociale sauf, en 1897, toujours sous Nicolas II, l’instauration d’un repos hebdomadaire peu observé.

Les mouvements populiste et terroriste, virulents sous Alexandre II, s’étaient mis en veilleuse, par la répression de son successeur Alexandre III.

Mais, en 1894, le fils d’Alexandre III, Nicolas II, est appelé à la couronne.

Nicolas II est né en 1868 à Tsarkoïe- Selo , près de Saint-Petersbourg, Fils aîné du tsar Alexandre III, il avait reçu une excellente éducation. Informé des différents mouvements révolutionnaires en Occident et en Russie, il restait persuadé, ainsi qu’on le lui avait enseigné, de l’importance du pouvoir absolu, pour maintenir l’ordre et la bonne marche des affaires de l’ Etat. Une main de fer et le respect de la monarchie lui semblaient d’autant plus nécessaires que toutes sortes de turbulences secouaient son pays. Il pouvait avoir raison jusque là. Cependant, il n’avait pas vu que les mentalités changeaient. Il s’est brisé à vouloir leur imposer à tout prix des solutions ancestrales. 

On a dit qu’il était faible de caractère. C’est, à notre avis, un jugement superficiel. Il a plutôt essayé de s’adapter le mieux possible aux circonstances, qui changeaient constamment. Il avait épousé une princesse allemande, Alix de Hesse, devenue en 1894 la tsarine Alexandra Feodorovna. Elle avait sur lui une grande influence . Il épousait ses vues, et accepta son idée de partager une vie plus simple en se retirant, loin de la cour et de la société, à Tsarkoë-Selo, avec leurs cinq enfants. Leur petit garçon, Alexis Nicolaïevitch était né en 19O4, et avait hérité de sa famille maternelle la « maladie bleue » ou hémophilie. Alors qu’il était destiné à régner, ses parents avaient, devant l’impuissance des médecins, opté pour la solution du désespoir en confiant sa santé à un moine guérisseur, dès 19O7, quand l’enfant avait seulement trois ans.

Grigori Iefimovitch dit Raspoutine, était né en 1872 à Pokrovskoïe en Sibérie, dans une famille paysanne. Pourvu d’un grand magnétisme personnel, il était persuadé d’avoir un don de guérison. Dans ce but, il contacta la tsarine en 19O5. Il réussit effectivement à guérir une blessure que l’enfant s’était faite et remporta dès ce moment la confiance totale du couple impérial.

Il prenait de plus en plus d’ascendant sur le gouvernement, au grand dam de l’impératrice-mère Maria Féodorovna, d’autres membres de la famille impériale, et de l’influent président de la douma Mikaïl Rodzianko (1859-1923) , ardent défenseur de la propriété privée, mais qui incita, plus tard, le tsar à abdiquer . Se mêlant des affaires politiques du pays, Raspoutine faisait renvoyer et nommer des ministres selon ses intérêts, notamment en février 1916 Boris Vladimirovitch Stürmer (1848-1917) : d’origine allemande, Stürmer était impopulaire, mais avait la faveur de l’impératrice. Ancien président du zemstvo sous Alexandre III, gouverneur et sous-secrétaire d’Etat en 19O2 , il évinçait l’ancien ministre de l’Intérieur puis premier ministre Yvan Goremykine (184O-1917) à la présidence du Conseil. Sensibilisé à la cause paysanne, alors qu’il était vice-gouverneur en Pologne dans les années 1873, Goremykine s’était opposé à l’aliénation des terres lors de la première Douma, en 19O6. Désinvolte, il avait laissé les initiatives de sa charge entre les mains de la tsarine et de Raspoutine. Etait-ce sa faiblesse que ce dernier lui reprochait ? Ou la faveur dont il jouissait à la cour ?

Un autre riche propriétaire terrien, Alexandre Protopopov (1864-1918), fut nommé au ministère de l’Intérieur en octobre 1916, sous l’influence du moine guérisseur. Avec Stürmer, en pleine guerre, il fut soupçonné d’intelligence avec l’Allemagne pour mettre fin au conflit, et fut alors écarté du pouvoir.

Raspoutine avait prévenu l’impératrice que, s’il était tué, la famille impériale subirait le même sort peu de temps après, et que ce serait la fin de la dynastie des Romanov.

En décembre 1916, Raspoutine est assassiné par le prince Ioussoupov et le grand’duc Dimitri. A peine huit mois plus tard, sa prophétie se réalisait.

Une famille russe originaire de Lituanie s’établit en Russie au seizième siècle.

Un de ses membres, appelé Roman, avait une fille, Anastasia, qui épousa en 1547 le tsar Yvan IV Vassilievitch (153O-1584) dit le Terrible. Ivan, se trouvant dans la succession des grands princes de Moscou, prit pour la première fois le titre de tsar le 16 janvier 1547. Anastasia exerça sur lui une influence bienfaisante et, quand elle mourut prématurément, en 156O, peut-être à la suite d’une intrigue de palais, le règne du tsar bascula dans le despotisme et la terreur.

Fédor Ier, son neveu, lui succède, de 1584 à 1598. Il est empoisonné par son ministre, Boris Godounov qui usurpe le trône et se tue en 16O5. Fédor II, le fils de Boris, ne règne qu’un mois et est assassiné le 2O juin 16O5. Dimitri II, l’Usurpateur lui succède et est assassiné en 16O6. Vassili IV, appelé le tsar-crapule, règne ensuite, de 16O6 à 161O. Le roi de Pologne Ladislas V est élu tsar par un conseil de boyards en 161O et règne jusqu’en 1613.

Après quoi les boyards élisent le fils de Fédor et petit-neveu d’Ivan le Terrible, Michel I Féodorovitch, qui règne de 1613 à 1645. Alexis Ier , fils de Michel Ier, est tsar de 1645 à 1676. Fédor III lui succède de 1676 à 1682.

Vient ensuite Pierre le Grand, tsar de 1682 à 1725. Il est associé à son demi-frère Ivan V jusqu’en 169O. Sa femme Catherine Ière lui succède jusqu’en 1727, puis Pierre II, de 1727 à 173O. Anna Ivanovna est impératrice de Russie de 173O à 174O. Elle était la fille d’Ivan V et la nièce de Pierre le Grand. Elizabeth Petrovna, fille de Pierre le grand, règne de 1741 à 1762. Pierre III, né en 1728 , est couronné en 1762, mais est assassiné la même année par sa femme Catherine II la Grande, qui devient impératrice de Russie de 1762 à 1796.

Le fils de Pierre III et de Catherine II, Paul Ier, né en 1754, règne de 1796 à 18O1 et meurt assassiné. Alexandre Ier, né en 1777 devient empereur en 18O1 jusqu’en 1825. Nicolas Ier, le fils de Paul Ier lui succède, de 1825 à 1855. Son fils Alexandre II règne de 1855 à 1881. Alexandre III, son fils, est tsar de 1881 à 1894, et sous son règne s’établit une grande amitié et une alliance avec la France. Nicolas II, le fils d’Alexandre III, né en 1868, lui succède en 1894 et conforte les relations avec la France.

La dynastie des Romanov s’éteint cette nuit du 17 juillet 1918, lorsque le tsar, son épouse, leurs quatre filles et le tsarévitch Alexis sont assassinés par les Bolcheviks, dans la maison Ipatiev, à Iekaterinenbourg. On ne sait si la grande-duchesse Anastasia fut tuée après tous les autres. Il est étrange, cependant, que c’est par une Anastasia que commença la dynastie régnante des Romanov, et que par une autre Anastasia elle se terminait. Plus étrange encore est la signification de ce nom : résurrection. Etait-ce un autre présage ?

Lorsqu’en 1894, Nicolas II monte sur le trône, les oppositions qui étaient en veilleuse sous le règne précédent, se réveillèrent.

De mauvaises récoltes, l’hostilité des paysans pauvres contre les riches propriétaires terriens, appelés « koulaks », qui avaient les faveurs du gouvernement, l’augmentation des impôts, la guerre contre le Japon entreprise par le nouveau tsar dès 19O4, assortie de défaites, et en général, le malaise qui régnait dans la bourgeoisie, les administrations et la population, étaient les facteurs du mouvement contestataire qui cherchait à balayer l’ordre établi.

Il apparaissait en trois tendances : les libéraux, encore appelés ‘cadets’, qui voulaient une nouvelle constitution ; les socialistes révolutionnaires, dont le but était d’agir immédiatement sur le terrain ; et les sociaux-démocrates marxistes dont le programme était de renverser toutes les valeurs en cours et de les remplacer par la souveraineté du prolétariat. Les sociaux-démocrates marxistes avaient pour chef Vladimir Iliitch Oulianov, dit Lénine. Ils étaient maximalistes ou extrêmistes, c'est-à-dire ‘bolcheviks’, contrairement aux ‘mencheviks, minimalistes. Les deux termes peuvent aussi se comprendre au point de vue du nombre d’adhérents : les bolcheviks étaient majoritaires, les mencheviks minoritaires.

Le point commun à ces tendances était la volonté de se mettre au niveau du peuple, afin de l’instruire et de l’entraîner. Jusqu’à présent, ces partis étaient restés confinés plutôt dans les milieux universitaires et culturels. Maintenant ils pénètrent dans les villages et les usines, selon l’idéal populiste des années 186O.

Des révoltes paysannes, furent ainsi provoquées ; des grèves et des soulèvements dans les usines , dans l’armée et la marine. La révolte des marins du cuirassé Potemkine, en juin et juillet I9O5 est restée célèbre.

Des conseils élus par les habitants, appelés « zemstvos », réclamèrent, en novembre 19O4, la réunion d’une assemblée nationale ou « douma ». Ils se heurtèrent au refus catégorique de Nicolas II. Alors, le 22 janvier 19O5, un contingent important d’ouvriers de Saint-Petersbourg alla présenter ses revendications au palais impérial mais fut massacré. Ce fut le « Dimanche rouge ».

En octobre de la même année, le parti de Lénine orchestra une grève générale à Moscou. Elle se répandit dans tout le pays. Devant la gravité de la situation, le tsar accepta que soit convoquée une assemblée du peuple. Dans son « Manifeste d’octobre », il promit des réformes allant dans un sens constitutionnel, et annonça la réunion d’une assemblée législative.

Cette première douma se tint de mai 19O6 à janvier 19O7. On l’appela  ‘ la réunion des espérances populaires ‘. Elle réclamait un régime parlementaire que le pouvoir absolu ne pouvait accepter, et elle fut dissoute.

La seconde douma eut lieu de mars à juin 19O7 et se révélait encore plus hostile au régime tsariste. Le premier ministre Stolypine la supprima.

Piotr Arkadievitch Stolypine était né à Dresde en 1862. Gouverneur de Grodno, près de la frontière polonaise en 19O2 et de Saratov sur la Volga,en 19O3, il sut alors contenir d’importantes révoltes paysannes. Nommé ministre de l’Intérieur en 19O5 et président du Conseil en 19O6, il révéla deux attitudes contradictoires : une extrême rigueur, avec la création de cours martiales et la suppression de la liberté de réunion et d’expression d’une part ; et de l’autre, une certaine compréhension pour la condition paysanne qu’il essaya d’améliorer en lui facilitant l’accession à la propriété privée, en même temps qu’il favorisait la création d’écoles et le peuplement des régions désertiques de la Sibérie. De ce fait, Stolypine se fit des ennemis aussi bien chez les libéraux, par ses mesures policières, que chez les conservateurs de la noblesse par ses initiatives progressistes. Il fut assassiné, en 1911, à Kiev, par un militant révolutionnaire.

Après deux dissolutions, la douma qui suivit se montra docile au gouvernement. Elle se tint se 19O7 à 1912 et fut appelée ‘la douma des seigneurs’.

Le balancier revint, lors de la quatrième douma, de 1912 à 1917, composée en majorité de révolutionnaires . Elle était confortée par la création du soviet, c'est-à-dire le conseil des délégués d’ouvriers et de soldats.

Les troubles des années 19O4, ont formé ce qu’on a appelé la première révolution russe.

Les événements avaient été fomentés avant tout par le parti bolchevik dont l’épine dorsale était Lénine.

Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lenine, était né à Oulianovsk, anciennement Simbirsk, en moyenne Volga, le 22 avril 187O. Son père était inspecteur des écoles. Dès l’adolescence, le jeune Vladimir est confronté à la révolte contre le pouvoir en place. Il a dix-sept ans lorsque son frère est pendu pour avoir participé à un complot contre le tsar Alexandre III.

A l’université, où il fait son droit, il étudie en secret les ouvrages de Karl Marx, qui sont interdits, et rejoint les cercles révolutionnaires . Il exerce la profession d’avocat à Samara (devenu Kouibytchev) sur la Volga, mais est arrêté en 1897, à cause de son militantisme, et déporté au fin fond de la Sibérie, près du fleuve Lena, d’où il prend son pseudonyme de Lenine.

C’est là qu’il épouse, un an plus tard, en juillet 1898, Nadeijda Kroupskaïa. Une belle histoire d’amour. Ils s’étaient rencontrés dès 1894, lors d’une conférence d’Oulianov à Saint-Petersbourg. Pour le rejoindre en captivité, elle fait six mille kilomètres en train, et trois jours de traîneau. Une femme de caractère, s’il en fut.

Fille d’un officier de carrière, née en 1869 à Saint-Petersbourg, Nadeijda se consacre à l’enseignement. Brillante intelligence, grande ouverture d’esprit, elle se passionne dès l’adolescence pour les idées nouvelles , étudie Karl Marx, en dépit de la censure, s’engage politiquement avec un groupe d’étudiants marxistes, et socialement en s’occupant des pauvres et de leur éducation. Elle donne des cours du soir aux ouvriers et aux enfants, à Saint Petersbourg. Elle milite, dans ces milieux populaires pour la doctrine marxiste et, en 1893, découvre les écrits de Vladimir Oulianov. Elle le rencontre à une conférence, est bouleversée par leurs convergences de vues, et adhère à « L’union de lutte pour la libération de la classe ouvrière » qu’il a fondée à Saint-Petersbourg. Ils ne se quittent plus. Elle devient sa secrétaire et son impresario.

Mais elle aussi est condamnée, en 1896 et envoyée en Bachkirie, près de l’Oural, à Chouchenskoîe. Des milliers de kilomètres les séparent. Pour avoir l’autorisation de le rejoindre, elle se fait passer pour sa fiancée et peut partir dès le mois de mai 1898.

Ils partageront l’exil en Sibérie pendant un an et demi.

Quand son mari est libéré, en février 19OO, elle quitte la Russie avec lui et le couple s’installe à Munich. Ils publient un journal de propagande,  «  Iskra », dont elle est la secrétaire.

En 19O2, Lenine et « Nadia » rejointe par sa mère Elizaveta, s’en vont à Londres . Leiba Bronstein, ou Trotzki, fuyant la Sibérie, se joint à eux.

Nouvelle étape : Genève, en 19O3. La ville est le lieu d’édition d’Iskra. Mais le journal est bientôt monopolisé par le parti concurrent, les Menchéviques. Lénine crée alors un nouveau papier intitulé : «  En avant ».

Une vie d’errance s’éternise, après 19O5, avec des séjours en Russie, ou Nadia devient secrétaire du Comité central ; en Finlande, en Allemagne, en Suisse, à Paris dès 19O9, en Pologne en 1912, et de nouveau en Suisse pendant la guerre. Au cours de ces années, le parti bolchevik de Lénine se structure et gagne en importance.

Nadia complète cette activité politique par des initiatives peut-être encore plus fondamentales et prophétiques : elle milite pour les droits de la femme et pour la création, avec Clara Zetkin, d’une «  Journée internationale des femmes ». Lenine concrétisera cette idée et fixera cette journée au 8 mars, à partir de l’année 1921, en Russie. Cette date sera reprise ensuite par d’autres pays. En même temps, elle profite des bibliothèques européennes pour approfondir sa connaissance des grands écrivains et pédagogues, notamment Jean-Jacques Rousseau.

Elle écrit une quarantaine d’ouvrages sur le thème de l’éducation et son orientation politique lui permet d’appliquer ses théories au monde ouvrier. Elle fait ainsi entrer l’école et l’université dans les couches populaires, dont celles-ci étaient le plus souvent éloignées. L’éducation et la formation professionnelle de la classe ouvrière , l’alphabétisation de l’ensemble du peuple et la scolarisation des jeunes deviennent, à ses yeux, le levier du progrès et d’une transformation du monde, selon l’idéal marxiste.

En mars 1917, elle rejoint la Russie avec Lénine et le parti bolchevique désormais victorieux. On est à quelques mois de la révolution d’Octobre.

Nadia Kroupskaïa devient adjointe du Commissaire du peuple à l’éducation et continue à œuvrer encore longtemps après la mort de Lénine, survenue le 21 janvier 1924. Dans l’article qui lui est consacré sur internet, on apprend que  l’objectif de Nadia a été décrété en Russie dès 1919, et qu’il a été réalisé en moins de vingt ans : « Près de soixante millions d’adultes apprennent à lire et à écrire, tandis que la quasi-totalité de la jeunesse est scolarisée ».

Après la mort de Lénine, l’entente avec Staline, son successeur fut mauvaise. Nadia ne cessa pas cependant son activité politique comme déléguée à tous les congrès du Parti.

Atteinte d’une affection de la thyroïde, peut-être de la maladie de Basedow, qui aurait expliqué pourquoi le couple n’avait pas eu d’enfant, la compagne d’Illitch, ainsi qu’elle le nommait toujours, rejoignit son mari quinze ans après sa mort, le 27 février 1939.

En dehors des cercles du Parti, qui se souvient de cette femme ? Qui en a entendu parler ?

Qui sait que c’est elle qui a, une des premières, prôné les idées qui sont d’actualité seulement en 2O17, problématiques toujours pas résolues ni appliquées, comme l’émancipation de la femme, l’égalité des sexes, la nécessaire formation et la formation continue des apprentis, des ouvriers, l’éducation du peuple, la mise à son niveau de la culture, même de la culture universitaire, alors réservée à la bourgeoisie ?

Il est des injustices de l’Histoire, des discriminations de la Mémoire, parce qu’on était une femme, parce qu’on appartenait à telle tendance politique, parce qu’on était d’un autre pays, très loin… Un pays vers lequel un autre précurseur aurait voulu étendre l’Europe, mais un pays qui est lui-aussi objet de tant de discriminations. Notre étude ne sera pas vaine, si elle peut amener à cette prise de conscience, et à l’ouverture d’esprit qui est indispensable pour l’amitié entre les peuples.

Le parti bolchevik était issu du parti social-démocrate russe, venant lui-même d’un groupe fondé en 1883 par Georghi Plekhanov (1858-1818), Vera Zassoulitch (1849-1919) une ancienne anarchiste et nihiliste, venue ensuite au marxisme, et Pavel Axelrod (185O-1928)

Ce groupe avait pris le titre de : « Libération du travail ».

Plekhanov réprouvait les méthodes terroristes des populistes et se sépara d’eux en 1884. Deux ans auparavant, il avait traduit en russe le Manifeste communiste . Outre plusieurs autres traductions des œuvres de Marx, Plekhanov écrivit, en 1895 : « La Conception moniste de l’histoire » et, en 1896 : « Les Fondements du populisme ». Lénine le rencontre en Suisse, en 1895, et fonde avec lui l’ « Iskra » en décembre 19OO. Mais il ne tarde pas à trouver Plekhanov trop modéré et se sépare de lui au congrès de Londres de 19O3. Désormais, l’Iskra devient le journal des Mencheviks. L’idée de Plekhanov, développée dans son écrit : « Ce qu’il ne faut pas faire », paru dans le numéro 52 de l’Iskra, est qu’il est nécessaire de collaborer avec la bourgeoisie pour améliorer le sort de la classe ouvrière. Lors des événements de 1917, malgré un précédent rapprochement avec Lénine, Plekhanov réprouve la prise de pouvoir par les bolcheviks, dans une « Lettre ouverte aux ouvriers de Petrograd » (28 décembre 1917).

C’est à la conférence de Minsk, en 1898, que le parti pour la libération des travailleurs devient le « Parti ouvrier social-démocrate russe ».

Lors de la conférence de Bruxelles, transférée à Londres, en 19O3, les antagonismes se font jour entre modérés et radicaux. Mais les modérés de Plekhanov sont minoritaires (mencheviks), tandis que les radicaux, se groupant autour de Lénine, obtiennent la majorité (bolcheviks). Leur but est d’imposer la dictature du prolétariat au moyen de l’insurrection.

Les deux partis se séparent de plus en plus, et la rupture est consommée lors d’une conférence à Paris, en 191O. En 1912, au congrès de Prague, le parti de Lénine se pose en parti marxiste indépendant, et reprend la dénomination de Parti ouvrier social-démocrate russe.

Le vœu de Lénine, c’est : «  la paix, la terre aux paysans, l’usine aux ouvriers et la liberté aux peuples ».

Cependant, c’est avec une extrême rigueur que Lénine mène son parti. Il organise grèves et révoltes dans les milieux ouvrier et paysan. En 1914, il s’oppose à la guerre. En mars 1917, avec l’aide de l’Allemagne, les cadres du parti, réfugiés en Suisse, peuvent revenir en Russie. Alors que plusieurs Mencheviks acceptent de collaborer avec le gouvernement provisoire d’Alexandre Kerensky, et de poursuivre la guerre, les Bolcheviks refusent ces deux options.

Les « Thèses d’avril » 1917, de Lénine, trouvent de plus en plus d’écho parmi les populations. En octobre et novembre de la même année, les bolcheviks s’emparent du pouvoir par un coup d’Etat, et en mars 1918, ce parti devient le Parti communiste.

Pavel Axelrod, que Trotsky appelait son maître, l’un des cofondateurs du parti pour la Libération du Travail, mais resté dans la minorité menchevik, rejoignait Lenine dans son opposition à la guerre. Il a eu cependant pour la révolution d’octobre les mots les plus durs, qualifiant cette insurrection armée de « crime historique sans précédent dans l’histoire moderne ».

Les circonstances, les hommes, mais aussi les guerres ont compté parmi les causes de la révolution de 1917.

De février 19O4 à septembre 19O5 a eu lieu la guerre contre le Japon.

En 186O, la Russie avait obtenu de la Chine un territoire s’étendant à l’est, le long de la côte pacifique, jusqu’à Vladivostock. Cette région comprenait encore l’île de Sakhaline, au nord-ouest du Japon. L’ensemble constitua un territoire maritime russe. En 1896, la Russie avait obtenu le droit de construire une voie ferrée à travers la Mandchourie, lui permettant de prolonger le Transsibérien jusqu’à Vladivostock. En 1897, la Russie obtint de la Chine la concession d’un territoire à l’est de la Mandchourie, longeant la frontière de la Corée, pour y construire une voie ferrée reliant la nouvelle voie prolongée du transsibérien à Port-Arthur, lui donnant ainsi accès à l’Océan pacifique au large de la Corée.

En 19O4, le tsar Nicolas II, convoitant la Corée, qui était sous protectorat japonais, traversa la Mandchourie et attaqua le Japon .

Sept navires russes sont détruits à Port-Arthur par la flotte japonaise dans la nuit du 7 au 8 février 19O4, tandis que le reste de la flotte russe est immobilisée par les glaces à Vladivostock. Les Japonais entament le siège de Port-Arthur, qui capitule le 2 janvier 19O5, montent en Mandchourie où les Russes perdent plusieurs batailles, contraints de se replier vers le nord. Les Japonais envahissent aussi le sud de l’île de Sakhaline. L’armée russe devait parcourir huit mille kilomètres avec le Transsibérien, pour arriver sur les lieux. La flotte avait un périple plus long encore : partie de Kronstadt, dans le golfe de Finlande, les navires devaient contourner l’Europe par la mer du Nord, puis l’Afrique, pour arriver par l’Atlantique et l’Océan indien dans le Pacifique. A l’arrivée, dans le détroit de Corée, ils étaient mis en pièce par les Japonais.

Les Etats-Unis, découvrant un possible rival dans la puissance japonaise, arrangent alors un traité de paix entre les deux belligérants, qui sont au bout de leurs ressources financières. La Russie capitule au traité de Portsmouth, le 5 septembre 19O5. Le Japon gagne la Mandchourie du sud, avec la région du Liao-Tong et Port-Arthur, ainsi que la moitié sud de l’île Sakhaline. Cinq ans plus tard, en 191O, la Corée est annexée par le Japon. En 19O7 et 191O, des ententes sont conclues entre autorités russe et japonaise au sujet de la Mandchourie. La Russie de Staline renonce à tout intérêt sur cette région, en 1924.

La guerre russo-japonaise entama sérieusement le prestige de la monarchie tsariste.

Neuf ans plus tard, et dès le début de la Grande guerre, de nouveaux déboires devaient donner le coup de grâce à la Russie impériale.

L’Allemagne déclare la guerre à la Russie, alliée de la France, le 1er août 1914. La mobilisation de quinze millions d’hommes, menée par le généralissime, le grand-duc Nicolas, est extrêmement lente.

Les derniers jours du mois d’août, la deuxième armée russe est défaite à la bataille de Tannenberg. La première armée est battue dans la région des Lac Mazure les 8, 9 et 1O septembre 1914. En octobre, la Turquie entre en guerre aux côtés de l’Allemagne. Le ravitaillement extérieur de la Russie doit alors se faire par l’Océan Arctique. Ce sera, avec les carences techniques et administratives, une des causes de la défaite.

En avril 1915, le front russe qui traversait la Prusse orientale, la Galicie et une partie de l’Autriche, doit reculer vers la Lituanie, près du Niémen, vers la Pologne et en Galicie le long du Dniestr. La même année, Pologne et Lituanie sont perdues. L’armée russe perd la moitié de ses combattants, et un important matériel. Elle recule, en octobre 1915, le long de la ligne Riga – Pinsk, jusqu’au Dniestr.

Le maréchal Alexeï Broussilov (1853-1926), commandait la 8e armée en 1914, et le front sud-ouest en 1915. Héros de la bataille de Mackensen en 1916, contre les Allemands, il reconquiert du terrain la même année, dans la région de Bukovine, mais le perd de nouveau en décembre 1917. Au nord, le front russe recule en-deçà de la Dvina et de Riga, jusqu’à Dvinsk. Ceci exaspère la population et provoque une révolte, en mars 1917, orchestrée par les patriotes libéraux.

Découragé par les revers militaires, et aussi par la maladie sans fin du prince héritier, alors âgé de treize ans, Nicolas II abdique en faveur de son frère, le grand-duc Michel, qui refuse la succession. Le maréchal Broussilov est nommé généralissime, mais ne parvient plus à rassembler une armée désorganisée.

Il est remplacé , le 1er août, par Lavr Kornilov (187O – 1918), commandant de la 8e armée en 1917. Le 1O septembre, marchant sur Petrograd, il se heurte à l’opposition bolchevique et est arrêté. Il décide de former une armée de volontaires en Ukraine, pour combattre les bolcheviks, mais est tué un an après.

Au cours de cette guerre, la Russie a perdu un million sept cent mille hommes. Dès le mois de décembre 1917, un armistice suspend les hostilités pour la Russie, et le 3 mars 1918, est signée entre l’Allemagne et les communistes russes une paix séparée à Brest-Litovsk en Pologne. La Pologne et les pays de la Baltique reviennent à l’Allemagne.

A ce moment-là, l’Allemagne est toujours en guerre.

Ce n’est qu’à partir de la fin septembre 1918, que ses alliés capitulent les uns après les autres : la Bulgarie, le 29 septembre ; la Turquie, le 3O octobre ; l’Autriche, le 3 novembre.

L’armée allemande recule de plus en plus. L’empereur Guillaume II instaure alors un régime parlementaire, avec comme nouveau chancelier, Max de Bade. Mais le désordre gagne le pays : désarroi dans l’administration, grèves et mutineries dans l’armée et dans la marine, fomentées par les socialistes.

L’Allemagne se trouve ici à une charnière délicate,  que l’Histoire n’a pas assez prise en compte : était-il vraiment nécessaire que l’empereur abdique ? Il passe à l’acte le 9 novembre. Dans « Mein Kampf », Hitler a reproché aux juifs communistes d’avoir mis le pays sens dessus dessous, et d’avoir poussé Guillaume II à l’abdication. A ses yeux, la guerre n’était pas finie, et l’Allemagne aurait dû continuer : elle pouvait encore se reprendre. La capitulation du 11 novembre, dans le wagon de Rethondes, venait trop tôt, et c’est avec désespoir que l’auteur assiste à la fin prématurée de l’Empire, auquel il tenait par-dessus tout.

C’est la raison pour laquelle le traité de Versailles, qui n’avait pas respecté celui, bien antérieur, de Brest-Litovsk et l’avait annulé, lui apparaissait comme une mesure désinvolte et malhonnête.

Ni la Russie, ni l’Allemagne, considérées comme des Etats vaincus, n’avaient été invitées à la conférence de Paris, précédant la signature du traité de Versailles.

Contrairement au traité de Brest-Litovsk, celui de Versailles retire la Pologne à l’Allemagne, ainsi que les Etats baltes : Lituanie et Lettonie. L’Estonie reste à la Russie. La Pologne est redécoupée et monte en percée jusqu’à Dantzig, à l’embouchure de la Vistule, coupant l’Allemagne en deux, au niveau de la Prusse orientale.

L’annulation du traité de Brest-Litovsk, le 28 juin 1919, dans la Galerie des glaces, fut, à cause de la Pologne et du couloir de Dantzig, l’une des principales causes de la seconde guerre mondiale, le chancelier d’Allemagne ayant, en 1933, tout pouvoir de refuser les clauses surfaites du traité de Versailles, et exigeant le retour à celles qui avaient été conclues avec la Russie, seize mois avant celui-ci.

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Nous avons essayé d’exposer les causes de la Révolution russe.

Nous parlerons lors de notre prochaine réunion, des circonstances et de leurs conséquences. C’est alors que nous nous référerons au Livre noir du Communisme, publié par un groupe de chercheurs, aux éditions Laffont, en 1998.

 Suite le lundi 5 fevrier 2018