Musée du Chateau d'Argent

Février 2019 Philosophie

 

Château d’Argent
 
Formations continues - Février 2O19 :  Philosophie
 
Maurice Barrès
 
La mentalité française est cruelle envers ceux qui ne partagent pas le « politiquement correct » et qui ne suivent pas le courant du plus grand nombre. On les punit par le persiflage, la moquerie, la caricature ou, pire, par la condamnation. La mise à l’index est pratiquée de façon déguisée même lorsqu’on défile pour la liberté de pensée et d’expression, et les livres sont brûlés sur un bûcher invisible.
Il en a été ainsi de Maurice Barrès. La grandeur de sa pensée a été occultée. Certains traits jugés déplaisants ont été placés dans une lumière crue, plongeant tout le reste dans l’ombre. On peut faire la même réflexion au sujet du communisme, ou encore de l’extrême-droite, et même au sujet du national-socialisme. J’en ai parlé au début de ma conférence sur la résistante Laure Diebold., et fait s’arracher les cheveux à beaucoup de lecteurs.
En France, quand une pensée ne plaît pas, ou qu’elle choque, ou qu’elle fait peur, l’opinion ne cherche pas à la comprendre ; elle la déforme sciemment et la massacre.
C’est la raison pour laquelle je voudrais plaider pour l’honnêteté intellectuelle et pour l’objectivité. Je voudrais essayer de faire connaître sereinement, et comprendre ce qui est, aujourd’hui encore - car les préjugés ont la vie éternelle - cloué au pilori.
 
Après Friedrich Nietzsche, dont nous avons parlé lors des précédentes « Formations », voici donc Maurice Barrès.
Il est né à Charmes, dans les Vosges, le 19 août 1862. Son père Auguste Barrès était dans l’enseignement.
A l’âge de dix ans, le jeune Maurice est mis en pension au Collège de la Malgrange, près de Nancy. Il en a gardé un affreux souvenir, ayant beaucoup souffert de la faim, du froid, du manque de sommeil et de la sévérité des professeurs. Mon mari, Ariel Vincent, y avait subi une séance de gifles et de coups de poing, au même âge, devant toute l’assemblée des élèves et professeurs réunis. Mais c’était bien plus tard, dans les années 1947.
Maurice côtoie là-bas un copain, Stanislas de Gaïta, auquel le liera une longue amitié, et qui l’accompagnera dans sa découverte des grands auteurs lors de son passage au collège puis à la Faculté de droit de Nancy.
C’est cependant à l’Ecole pratique des Hautes-Etudes de Paris, qu’il fait la rencontre déterminante de sa vie en la personne de son professeur de neuropsychologie, Jules Soury. Il construit dans son esprit les orientations principales de la droite traditionaliste : la référence à la terre, à la race, à la famille, aux traditions des ancêtres et au caractère sacré de la nation.
Jules Soury, né le 28 mai 1842 dans une famille pauvre, à Paris, avait gravi tous les échelons, par son propre mérite, depuis son apprentissage chez un fabricant d’instruments de précision, fréquentant l’Ecole des Arts et Métiers, passant ensuite au lycée Louis le Grand, et au lycée Saint-Louis où il devint bachelier ès lettres, en 1852. Il décroche sa licence ès lettres à la Sorbonne en 1863, se dirige vers l’Ecole des Chartes et obtient un diplôme d’archiviste paléographe en 1867 avec, comme sujet de thèse : « Les études hébraïques et exégétiques au Moyen- Âge, chez les chrétiens d’occident ». Il rencontre Ernest Renan qui aura une grande influence sur lui : il écrira, sur sa lancée, un « Jésus et les Evangiles » en 1878, et un « Jésus et la religion d’Israël » en 1898. Esprit universel, il s’intéresse aussi à la science médicale et suit des cours de neurologie à l’hôpital de la Salpêtrière. En novembre 1881, une chaire d’Histoire des doctrines psychologiques avait été créée à l’Ecole pratique des Hautes études ; elle lui est attribuée et il l’occupera jusqu’en 1898. Il aura des élèves célèbres, comme Georges Clémenceau, Anatole France et Maurice Barrès.
En 1899, il écrit un livre sur le « Système nerveux central » qui est couronné par l’Académie des Sciences et l’Académie de Médecine. Il part de l’idée de l’hérédité psychologique pour fonder son attachement aux traditions et aux racines humaines : la référence aux ancêtres, à la famille, au pays. De ce fait, il ne se découvre aucune connivence avec ce qu’il considère comme une race étrangère dans le pays : les juifs, et se révèle farouchement antisémite. Lors de « l’Affaire », il entraînera avec lui une cohorte d’étudiants et d’intellectuels, qui militeront contre Alfred Dreyfus.
On a dit que Jules Soury fut le véritable maître à penser de Maurice Barrès.
 
Un autre personnage l’intéresse beaucoup : de six ans son cadet, Charles Maurras, (1868-1952), lié viscéralement au mouvement de « L’Action française » depuis sa fondation, en 1898, voudrait revenir à la monarchie héréditaire. De ce fait, il est nationaliste, contre-révolutionnaire, antisémite mais aussi anti-protestant. Lorsque Barrès meurt, en 1923, Maurras a déjà écrit une multitude d’articles (on en dénombrera dix mille jusqu’en 1952), mais ne réussit cependant pas à convaincre Barrès du bien-fondé d’un retour à la monarchie.
La correspondance entre Maurice Barrès et Charles Maurras est intitulée : La République ou le Roi (Editée par Guy Dupré, Paris, Plon, 1965).
Barrès dirige une revue nationaliste : « La Cocarde », de 1894 à 1895.
 
Quand il entre à l’Académie française, le 18 janvier 19O6, dans le fauteuil du poète José-Maria de Heredia, et qu’il est élu député de Paris la même année, dans le parti « L’Entente républicaine et démocratique », Maurice Barrès a déjà plusieurs ouvrages à son actif :
 
Départ pour la vie ((1883).
Sous l’œil des Barbares (1887).
Un homme libre (1889).
Le jardin de Bérénice (1891).
L’ennemi des lois (1893).
Du sang, de la volupté et de la mort (1894).
Mes Cahiers (1896 à 1918, 11 volumes).
Les Déracinés (1897).
Le Roman de l’énergie nationale (1897-19O2).
La Terre et les Morts (1O mars 1899), un discours important sur lequel nous allons revenir.
L’Appel au soldat (19OO).
Leurs figures (19O2).
Scènes et doctrines du nationalisme (19O2).
Les Amitiés françaises (19O3).
Amori et dolori sacrum (19O3).
Le culte du moi (19O3) qui reprend en trois volumes : Sous l’œil des Barbares, Un homme libre et Le jardin de Bérénice.
Au service de l’Allemagne (19O5) , qui fera partie des Bastions de l’Est, comprenant Colette Baudoche, un grand succès (19O9) et Le Génie du Rhin (1921).
 
Suivront :
Des discours sur l’Affaire Dreyfus et sur la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat (19O6).
Des interventions en faveur de la Peine de mort (19O8).
La Colline inspirée (1913).
La grande pitié des églises de France (1914).
L’âme française et la guerre (1915-192O, 11 volumes).
Les diverses familles spirituelles de la France (1917).
Chronique de la Grande guerre (192O-1924, 14 volumes).
Un jardin sur l’Oronte (1922).
Souvenirs d’un officier de la Grande armée (1923).
Le Mystère en pleine lumière (inachevé, paru en 1926).
 
Dans le discours à la Ligue de la Patrie française, intitulé La Terre et les Morts, du 1O mars 1899, apparaît la trame générale de sa pensée. Il faut, dit-il, « restituer à la France une unité morale, et créer ce qui nous manque depuis la Révolution : une conscience nationale ».
Cette unité morale et cette conscience nationale se forment en écoutant la voix des ancêtres et les leçons de la terre.
Il reprend ces idées dans Amori et Dolori Sacrum (19O3) en écrivant :
« Certaines personnes se croient d’autant mieux cultivées, qu’elles ont étouffé la voix du sang et l’instinct du terroir… Quant à nous, pour nous sauver d’une stérile anarchie, nous voulons nous relier à notre terre et à nos morts ».
 
Il plaide pour une organisation fédérale de notre pays :: la grande famille, c’est la patrie, et elle est composée de familles plus petites, les régions, enfin les villes, villages et les familles humaines : « La nationalité française est faite de nationalités provinciales. Si l’une de celle-ci fait défaut, le caractère français perd un de ses éléments » (Scènes et doctrines du nationalisme, 19O2).
 
C’est lui qui propose de récompenser l’héroïsme des soldats par une distinction qui deviendra la Croix de Guerre 1914-1918. Lui aussi qui baptise pour l’éternité la voie de ravitaillement conduisant au champ de bataille de Verdun : « La Voie sacrée », en référence à la Via sacrum antique, qui menait à la victoire. Lui également qui plaide pour l’institution d’un fête patriotique de Jeanne d’Arc, ce qui sera adopté par la Chambre des députés le 24 juin 192O.
 
Dans sa jeunesse, on est surpris par son universalisme : dans la revue qu’il avait fondée en 1883, « Taches d’encre », il prévoit qu’après le chauvinisme et le patriotisme, viendra le « cosmopolitisme ».
Voici qui annonce déjà la grande ouverture d’esprit des Diverses familles spirituelles de la France (1917), que sont pour lui les Juifs, les Protestants, les Traditionalistes et les Socialistes. Barrès, dix ans après la réhabilitation d’Alfred Dreyfus, change d’attitude à l’égard des Juifs. Il honore le sacrifice des soldats juifs au cours des batailles et relève notamment le geste sublime du rabbin Abraham Bloch, tué alors qu’il tendait un crucifix à un soldat mourant. La grandeur n’a ni race ni parti.
 
Dans son chef d’œuvre, La Colline inspirée (1913), huit ans après la séparation de l’Eglise et de l’Etat, il décrit les lieux mystiques – nous dirions aujourd’hui « vibratoires » - de la France, et voudrait qu’elle retourne au christianisme, pour des raisons morales mais aussi sociales et politiques, de même que la communauté de Sion, dont il raconte l’histoire, est revenue de l’anarchie et de l’hérésie à l’ordre du catholicisme
 
L’élévation de la pensée de Barrès guida jusqu’à nos jours le cheminement de la droite nationale, en dépit des grands écueils de la seconde guerre mondiale. Henri de Montherlant, André Malraux, François Mauriac, Louis Aragon, Jacques Maritain, Georges Bernanos , Charles Maurras évidemment, et tant d’autres, jusqu’au général de Gaulle, dont les parents étaient maurassiens, et qui lui-même aurait, à un moment donné, aimé restaurer la monarchie en France avec le Comte de Paris, sont les héritiers de Maurice Barrès. Aussi la mystique de l’Alsace, l’horizon qui cerne cette plaine et qui est celui de toute vie, «  lui rappelant l’infini, en même temps que ses limites ».
 
Quelques jours après sa mort, survenue le 4 décembre 1923, Maurice Barrès reçut des obsèques nationales en la cathédrale Notre-Dame de Paris, en présence du président de la République Alexandre Millerand, de Raymond Poincaré et du maréchal Foch.
« Honneur à ceux qui demeurent dans la tombe les gardiens et les régulateurs de la Cité »
(Le Mystère en pleine lumière, son œuvre inachevée).
 
 
Danielle Vincent
16 février 2O19.
 
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