Musée du Chateau d'Argent

Mardi 8 janvier 2019

CHATEAU D’ARGENT
Cycle de conférences 2O18 – 2O19, par Danielle VINCENT
 

Conférences - Entretiens – Débats 

Au Château d’Argent, le premier mardi du mois . 

Entrée libre 

Musée Château d'Argent
Ariel et Danielle Vincent

215, rue Clemenceau, Villa ALICE

68160 Sainte Marie aux Mines 

Alsace - FRANCE

 

Tel. 06 47 14 67 88

     03 89 58 78 18

 

Visite guidée tous les jours

14h à 16h

Les conférences paraissent sur internet : www.museechateaudargent.com

«  Château d’Argent : Transmettre le savoir . » 

 

Cycle de conférences sur les grandes figures de la Résistance alsacienne. 
 

Mardi 8 janvier 2O19 : « Marcel Weinum et ‘ La Main Noire ‘ » 

 
Laure et Eugène Diebold, André Aalberg étaient des résistants alsaciens haut-rhinois, mais qui avaient surtout œuvré hors de l’Alsace, au sein du réseau Mithridate. Eugène et André n’ont pas été inhumés dans leur terre natale.
 
Avec Marcel Weinum, voici un résistant bas-rhinois, qui a créé un mouvement dans le Bas-Rhin, et dont le champ d’action se situait essentiellement à Strasbourg.
 
Essayons d’abord de situer ce groupe parmi les autres réseaux alsaciens ou d’inspiration alsacienne :
 
Le GROUPE MARIO, créé par un instituteur communiste, Jean Burger, en lien avec le cheminot alsacien Georges Wodli, oeuvrait dans les mines de charbon et la sidérurgie de la Moselle, avec surtout des ouvriers immigrés polonais et italiens. Il déployait son action sur vingt-sept secteurs, au moyen de groupes de trois personnes : constitution de dépôts d’armes, aide aux évadés, aide aux familles de militants, distribution de tracts, mais aussi sabotages. Jean Burger fut arrêté en septembre 1943. Un an après le groupe était démantelé avec l’arrestation de 752 autres membres.
 
Le RESEAU WODLI symbolisait la résistance ouvrière alsacienne. Fils de cheminot, né dans le Bas-Rhin en 19OO, ouvrier chez Renault, Farmann, Hispano-Suuiza, en région parisienne, puis de nouveau à Bischheim dès 1925, engagé avant la guerre dans le Parti communiste français, Georges Wodli prête main forte à la résistance allemande au nazisme, prend le pseudonyme de « Jules » , diffuse le journal « L’Humanité » en deux langues, et crée un réseau communiste de résistance dans le secteur de Strasbourg, mais aussi dans le Haut-Rhin avec Georges Mattern, et en Moselle avec Jean Burger. Sabotage de matériel ferroviaire, aide à l’évasion de prisonniers des camps et passage de prisonniers évadés, diffusion de tracts : telles étaient les principales actions du groupe Wodli jusqu’au 3O octobre 1942, date de l’arrestation de son fondateur par la police de Vichy, qui le remet à la Gestapo. Georges Wodli, d’abord interné au camp de Schirmeck, est mis à la question rue Sélénick à Strasbourg, où il meurt sous la torture le 1er avril 1943. Nous y reviendrons lors d’une prochaine réunion.
 
Le RESEAU MARTIAL ou 7e Colonne d’Alsace, est fondé en 194O par un sympathisant royaliste de Thann : l’industriel Paul Dungler. Convaincu que le nazisme est « l’anti-civilisation », il fonde avec Marcel Kibler et l’abbé Pierre Bockel la Septième colonne d’Alsace, le 25 août 194O. A Londres, ce groupe est enregistré sous le nom de « réseau Martial ». Une particularité de ce réseau est d’avoir obtenu le soutien administratif et même financier du maréchal Pétain. Il organise l’évasion du général Giraud, prisonnier à la forteresse de Koenigstein, en avril 1942, et contribue à la mise en place de l’Organisation de la résistance de l’armée (l’ORA), avec le gouverneur militaire de Strasbourg, le général Aubert Frère, qui en prend le commandement. Bénéficiant d'importantes protections : l’Etat français, l’Eglise, les milieux militaires allemands opposés à Hitler, le réseau Martial avait essaimé dans la région lyonnaise, dans le sud-ouest et en Suisse. Nous citons cette phrase éloquente d’un article três intéressant sur le web : « C’est ainsi que, sous la haute protection du Maréchal, la 7e colonne d’Alsace put étendre ses ramifications dans la France entière, partout où il y avait des Alsaciens » (Dans : « Une résistance contrôlée par le maréchal Pétain »). En 1942, Paul Dungler est perquisitionné : on trouve chez lui un poste émetteur et des armes. Sur l’intervention de Pétain, l’affaire ne va pas plus loin.
Mais, le 27 février 1944, complotant avec les militaires allemands qui préparaient un attentat contre Hitler, Paul Dungler est, cette fois-ci, vraiment arrêté. Il mourra le 25 août 1974 à Colmar, jour anniversaire de la fondation de son réseau, et sera considéré comme un héros de la résistance alsacienne, grâce à l’Etat français, peut-on dire : médaille de la Résistance, officier de la Légion d’honneur, bien que n’ayant jamais adhéré au Conseil national de la Résistance, «  les  purs » de Jean Moulin.
Il est, en effet, intéressant de relever ici le caractère équivoque de la 7e Colonne et de l’ORA, dévouées au service de la Résistance, et appuyées en même temps sur le pouvoir collaborationniste en place.
Le général Frère, estimé par Pétain, avait présidé le tribunal militaire de Clermont-Ferrand qui condamna à mort Charles de Gaulle, le 2 août 194O. Mais, victime de son double engagement, il fut lui-même arrêté par la Gestapo, le 12 juin 1943, emprisonné à Vichy et à Fresnes, torturé, et envoyé au camp du Struthof où il mourut le 13 juin 1944. Son corps passa au crématoire et ses cendres furent dispersées. Il n’était pas alsacien, mais natif de Grévilliers, dans le Pas-de-Calais.
 
Le co-fondateur du réseau de la 7e Colonne d’Alsace, Marcel Kibler alias « Commandant Marceau », met en place également un maquis : le GROUPE MOBILE ALSACE-VOSGES (GMA-Vosges), aidé par le commandant Paul Freiss, le capitaine Jean Eschbach alias Rivière, le lieutenant-colonel Guy d’Ornant ou Marchal, les commandants Georges Kieffer pour le Bas-Rhin et Paul Winter pour le Haut-Rhin, le tout sous les ordres du colonel Gilbert Hirsch-Ollendorf, ou Grandval. Il est organisé en « Centuries » et se prépare par le parachutage d’armes, à la libération de l’Alsace. Mais le maquis est encerclé par les Allemands, le 4 septembre 1944, à la ferme de Viombois, près de Raon l’Etape. 57 résistants sont tués. Le GMA-Vosges est démantelé et les représailles sont importantes : un millier de personnes sont envoyées en déportation dans des camps.
 
Il faut citer aussi le maquis de la WALDKAPELLE..
Il est constitué dès 1941, par un groupe de jeunes gens de Vieux-Thann, qui avaient trouvé des armes abandonnées lors de la débâcle par des soldats français dans le massif du Rossberg. En contact avec le groupe Libération-nord de Belfort, ils voulaient s’armer pour prendre part à la libération de l’Alsace. Leur butin était assez important : sept fusils de guerre, quatre carabines, trois fusils mitrailleurs, cinq pistolets 7/65, des grenades à main et des milliers de cartouches. Ils entreposèrent le tout dans une cave de la famille Luttenauer de Steinbach. Parallèlement, dans le vallon du Brudertahl, ils construisaient des abris pour du matériel, des armes et pour cacher des résistants clandestins voulant fuir le service du travail obligatoire ou l’incorporation de force.
Le maquis fut découvert le 18 octobre 1944, lors d’une partie de chasse organisée dans ce but par la police allemande. Il y avait sur place sept partisans : Anatole Jacquot, qui fut abattu. Gérard Bemmert et Charles Voisin, Gaston et Louis Luttenauer, qui furent attrapés. Armand Neff et René Onkel eurent de la chance et parvinrent à s’enfuir. Il s’ensuivit une énorme rafle avec l’arrestation de quarante autres personnes. A la gendarmerie de Thann, les deux frères Luttenauer furent torturés par la Gestapo. On transporta tout le groupe à la prison d’Offenburg, dans le Pays de Bade.
Ici les hypothèses divergent : furent-ils exécutés dans la forêt de Rammersweiher, près d’Offenburg, le 6 décembre 1944, ou bien sur une colline de Vieux-Thann où, en 1947, leurs corps ont été découverts par hasard ? Il y avait onze fusillés :
Alfred Bucher, Edouard Cattaneo, René Dormois, Charles et Jean Hugon, Charles Voisin (les six de Thann), Gaston et Louis Luttenauer (de Cernay), Robert Foehrenbacher (de Vieux-Thann ), Emile Grassler (de Bitschwiller) et Gérard Bemmert (de Moosch).
Il est possible aussi que leurs corps aient été rapatriés en Alsace et enterrés sommairement dans une fosse commune sur cette colline de Vieux-Thann.
 
Dans le contexte des résistances alsaciennes, il faut évidemment mentionner le refus d’accomplir le service militaire allemand, et parler du drame de BALLERSDORF.
Marcel Weinum, exécuté en avril 1942, n’avait pas pu connaître le maquis de la Waldkapelle, ni les réfractaires de Ballersdorf, exécutés en février 1943.
Ces dix-neuf jeunes gens avaient pensé que leur fuite réussirait aussi bien que celle des 182 autres, du 1O février 1943, et des 86, partis le jour suivant. Ils voulaient gagner la Suisse.
Mais, entre Bisel et Seppois-le-bas, ce troisième contingent est arrêté par des garde-frontières. C’est presque le même scénario que lorsque André Aalberg avait voulu s’enfuir : ces jeunes étaient armés et tuent un policier allemand. Trois d’entre eux sont pris et immédiatement fusillés. Les autres réussissent à s’enfuir et, naïvement, regagnent leur village. Ils sont cueillis le lendemain dans leurs familles, envoyés au Struthof et fusillés là-bas après un jugement sommaire. Leurs parents furent envoyés à Schirmeck et de là aux travaux forcés en Allemagne, leurs biens confisqués. Ces jeunes le savaient pourtant. Inconscience ? Idéalisme ? Egoîsme ? « Le gouvernement du Reich…ne peut pas tolérer qu’une petite clique d’Alsaciens fasse sa propre politique et défende ses intérêts égoïstes, sans se préoccuper des exigences impitoyables de la guerre et sans collaborer à la lutte contre le Bolchevisme. Celui qui attaque son peuple dans le dos mérite la mort », avait énoncé le Tribunal spécial de Strasbourg, le 17 février 1943, lorsqu’il condamna les accusés de Ballersdorf, affirmant que les Alsaciens faisaient bien partie du peuple allemand.
 
D’autres groupes de résistance en Alsace doivent encore être mentionnés avant de parler de la Main noire : les organisations de passeurs et notamment le groupe des PUR-SANG, avec Lucienne Welschinger et Antoine Krommenacker. Ils avaient fait passer, entre autres, Marcel Rudloff, au cours d’une marche de huit heures à travers les Vosges, dans une tempête de neige, le 31 janvier 1942. Ils passaient aussi par la Moselle, jusqu’à Lyon. Après l’arrestation de Lucienne, le 26 février 1942, toute l’équipe fut démantelée.
 
Un mouvement important, de la même obédience religieuse que la Main noire, était le FRONT DE LA JEUNESSE ALSACIENNE. Il comptait un grand nombre de membres, venus en majorité des milieux catholiques, et avait comme responsable Adolphe Adam et Robert Kiefer, exécutés le 15 juillet 1943. Nous y reviendrons lors d’une prochaine séance.
 
Enfin, mais la liste n’est de loin pas exhaustive, il y avait le RESEAU BAREISS, appelé aussi l’Organisation gaulliste d’Alsace ou encore réseau Résistance-Est. Il fut créé en avril 1941 par le docteur Charles Bareiss. Son champ d’action était étendu : hébergement et passage des prisonniers évadés, transmission de renseignement sur Londres et Paris, propagande anti-nazie, constitution de dépôts d’armes et de munitions. Le réseau est démantelé le 16 juin 1942 avec l’arrestation du Dr Bareiss.
 
Nous ne manquerons pas, dans une autre conférence, de relater le roman des éditeurs et journalistes alsaciens sous l’occupation, notamment de Joseph Rossé et de la maison d’édition ALSATIA.
 
Nous remarquons, en brossant sommairement ici le contexte des mouvements de résistance alsaciens, que, excepté le réseau Martial, créé au mois d’août 194O, et qui a traversé grâce au soutien de Philippe Pétain, toute l’occupation jusqu’en 1945, ils sont tous postérieurs à celui de la MAIN NOIRE de Marcel Weinum, constitué en automne 194O.
 
Marcel Weinum voit le jour le 5 février 1924 à Brumath, dans une famille très catholique. Son père, Robert Weinum est boucher ; sa mère est née Mathilde-Marie Schneider. Le petit Marcel est mis en nourrice dans la famille Lebold et a un frère de lait, Charles Lebold, plus âgé que lui. Il a aussi une sœur, Mariette, qu’il mentionne dans sa dernière lettre, une tante qui est religieuse et une grand’mère toujours en vie.
Marcel a douze ans lorsque ses parents quittent Brumath pour s’installer au Neudorf. L’adolescent prépare son certificat d’études secondaires et rejoint en même temps la maîtrise de la cathédrale de Strasbourg où il suit des cours de chant liturgique. Il se dirige vers une carrière de dessinateur industriel.
Quand, le 3 septembre 1939, la France déclare la guerre à l’Allemagne, il a quinze ans et demi. Sa famille est évacuée en Dordogne. Elle ne retournera en Alsace qu’en août 194O. C’est donc en Dordogne que ces Alsaciens réfugiés commencent à entendre parler des appels du mois de juin 194O venus de Londres. Et c’est là que Marcel rencontre un général retraité qui lui communique son enthousiasme pour cette cause nouvelle.
De retour en Alsace, en août 194O Marcel a seize ans et demi. Il a des copains, la plupart fils d’ouvriers (et on remarque encore l’importance des milieux ouvriers dans la résistance alsacienne). L’un d’eux, Jean-Jacques Bastian est protestant et éclaireur unioniste. La plupart sont de gauche. Mais qu’importent le parti ou la religion. Lui rejoindrait plutôt la mouvance de la droite catholique. Mais pas du côté de la Francisque. Il pourrait adhérer au réseau Martial, catholique d’extrême-droite, créé tout récemment. Mais par un instinct très sûr, que l’on rencontre souvent chez les jeunes de cet âge, c’est de Gaulle qu’il rejoint et dont il affichera le portrait dans sa chambre. Il y a, chez le jeune Marcel, un attachement viscéral à la France libre, dont le général à la retraite de Dordogne lui a certainement fait prendre conscience. On s’enflamme facilement, à seize ans, pour un grand idéal.
Nous sommes en septembre 194O. Il pense à rassembler son groupe de copains autour de cette mission.
 
Le 1er octobre 194O, le chef de région, Robert Wagner, crée un ordre qui sert d’introduction, de noviciat à l’adhésion au parti nazi : l’Opferring, le Cercle du Sacrifice. On pense qu’environ deux pour cent de la population alsacienne a adhéré volontairement à la NSDAP (National-Sozialistische Deutsche Arbeiter Partei), les entreprises y voyant une garantie de soutien. « Il faut qu’ils comprennent que l’on attend d’eux non une adhésion occasionnelle du bout des lèvres, mais un combat et une activité sans limite, une adhésion du cœur tout entier (…). Les hésitants seront éliminés. (…) Les 2O Marks de cotisation que paie un entrepreneur ne sont rien à côté des 2 Marks que paie un petit artisan ou paysan : le sacrifice ne signifie pas payer, mais participer au combat politique pour la révolution allemande ».
On comprend que Marcel Weinum ait refusé net d’adhérer à l’Opferring. Il est alors licencié du cabinet de dessinateur industriel où il travaille.
 
Si l’Opferring existe depuis le 1er octobre 194O, l’Alsace, bien qu’envahie par les troupes allemandes, n’est pas encore officiellement annexée. L’annexion n’a lieu que le 18 octobre 194O.
De même, les décrets sur le travail obligatoire et sur l’incorporation de force ne sont pas encore promulgués.
Marcel connaîtra bien le décret sur l’intégration obligatoire au Reichsarbeitsdienst pour les Alsaciens, garçons et filles de 17 à 25 ans, officialisé le 8 mai 1941.
Mais il ne connaîtra pas celui de l’intégration obligatoire des Alsaciens dans la Wehrmacht, sorti seulement le 25 août 1942. Il avait été mis à mort le 14 avril de la même année.
Par contre, il aura été informé de l’ordonnance rendue, le 2 janvier 1942 par le Gauleiter Robert Wagner, sur l’obligation d’adhérer à la Hitlerjugend pour les Alsaciens dès l’âge de dix ans. Tous les jeunes de son groupe étaient concernés.
En tout cas, c’est avant l’annexion officielle de l’Alsace, avant la législation sur le travail obligatoire, avant l’institution des Jeunesses hitlériennes et avant la loi sur l’incorporation dans l’armée, que Marcel décide de rassembler son groupe de jeunes réfractaires. Le refus d’adhérer à l’Opferring et donc au parti nazi en a sans doute été l’élément déclencheur.
 
C’est Jean-Jacques Bastian qui a l’idée de le baptiser « La Main noire ». La main qui porte malheur et détruit le pouvoir en place.
 
Ces jeunes sont mineurs. Le plus âgé, Charles Lebold, fait aussi partie du groupe ; il est séminariste, se destine à la prêtrise. Leurs parents n’en savent rien. Pensent peut-être qu’ils se réunissent pour discuter.
Mais c’est concrètement, sur le terrain, que la Main noire veut refaire le monde.
 
Il y a, dans les vitrines des commerces, des emblèmes nazis, des photos d’Hitler. Cela aussi était obligatoire. On y jettera des grenades et les commerces seront obligés de fermer.
Il y a de belles bagnoles avec petits drapeaux à croix gammée qui stationnent devant les administrations et les bâtiments officiels. On crèvera les pneus et les pare-brises  et à l’intérieur on pourra récupérer des bons d’essence, éventuellement des papiers ou des postes de radio qu’on va saboter.
Dans les forts abandonnés de la ligne Maginot, on trouve encore des armes, des grenades et des munitions. On pourra saboter les rails et les chemins de fer. Ce qu’on peut faire aussi, la nuit, c’est peindre en grandes lettres sur les façades : « Vive la France ! » « Alsaciens, levez-vous pour le combat de la liberté ! » Ou glisser des tracts dans les boîtes aux lettres. Ou encore, mais c’est plus difficile, se procurer des plans, au moyen de relations travaillant dans les services officiels, et les communiquer à Londres directement ou par l’intermédiaire de réseaux français. La plupart des réseaux étaient interconnectés.
 
Deux coups de force ont surtout marqué l’action de la Main noire. Tout le monde en a parlé : Marcel, qui s’impliquait personnellement sur le terrain, voyant la belle mercedes du Gauleiter Wagner stationnée devant le restaurant de la Marne, près de la cathédrale, et désirant tellement tuer ce salaud, lance une grenade en plein dedans. Mais Wagner soupait au restaurant et sa voiture était vide. Raté. Albert Uhlrich, quatorze ans et Marcel s’enfuient à toutes jambes. Ils ne seront pas pris.
La deuxième fois, ils réussissent à se procurer des plans, ceux des terrains d’aviation d’Entzheim et de Haguenau. Là c’est plus sérieux. Il faut apporter ces plans au consulat britannique de Bâle. Il y a là-bas un gars de l’Intelligence service qui s’appelle Léo. Il les transmettra directement à Londres. Un autre copain, un orphelin polonais, se propose d’accompagner Marcel jusqu’en Suisse. Il s’appelle Ceslav Sieradski. Ils prennent le vélo. Une superbe virée entre potes de cent cinquante kilomètres par les petites routes de campagne.
On est au mois de mai de cette année 1941. Le 2O exactement. Seulement la nuit il y a encore du brouillard. On se perd. On tombe sur des douaniers pas loin de la frontière. Et on joue le tout pour le tout. Marcel est évidemment armé. On se souvient d’André Aalberg. Le même scenario se produit : Marcel tire sur un douanier et le blesse. Il s’enfuit mais la meute assaille le gibier à la frontière. Encore raté.
Maintenant le temps n’est plus à rire. On les transfère à la prison de Mulhouse et on les interroge. Ce sont encore des enfants, mais ils savent se taire. Sauf dans l’intimité de la cellule que Ceslav partage avec un autre détenu. Pourquoi lui fait-il confiance ? Le stress, l’épuisement, le besoin de se confier, l’espoir de trouver un appui… Et l’autre, monnayant ainsi sa liberté, va tout raconter.
Ceslav va être mené au camp de Schirmeck et exécuté sans procès en décembre 1941. Premier martyr de la résistance alsacienne, il avait seize ans. Il n’a pas eu de tombe, mais, à son nom est ajouté la mention : « Mort pour la France ».
 
Un mois et demi plus tard, tous les membres de la Main noire sont arrêtés. L’instruction durera jusqu’au mois de mars 1942.
 
Du 27 au 31 mars dix membres du groupe comparaissent devant le Sondergericht de Strasbourg. Ces tribunaux d’exception avaient été créés dès mars 1933, après l’incendie du Reichstag qui eut lieu dans la nuit du 27au 28 février 1933, et étaient destinés à juger les affaires politiques. Ils étaient devenus les satellites du Volksgerichtshof, le Tribunal du Peuple de Berlin, mis en place par Hitler le 24 avril 1934, dans le but de redresser le laxisme de la Justice. Ils comportaient trois juges. L’avocat de la défense était choisi par eux. Le Gauleiter Robert Heinrich Wagner en avait implanté un à Strasbourg.
 
Parmi les inculpés du 27 mars 1942 : Marcel Weinum et Albert Uhlrich..
Maintenant, évidemment, les parents ont tout appris.
Deux défenseurs sont attribués aux jeunes : les excellents avocats alsaciens Charles Eber, pour l’un, et Léon Rapp pour l’autre. Mais le meilleur, c’est encore Marcel, qui soutient sa cause magistralement. Au point que le Gauleiter lui-même se met à plaider en sa faveur : « Lausbubenspringe », des sales gosses qui font les quatre cent coups, dit-il au président Huber. Mais pour ce dernier, c’est non seulement la sécurité de l’Empire, mais encore l’existence même du statut de l’Alsace qui sont mis en cause. Et les deux coqs s’invectivent. Marcel a réussi à dresser le Gauleiter contre le Sondergericht.
Il est vrai que Robert Wagner ne recevait ses ordres que de Berlin, et pouvait jouer de son prestige. Il avait à l’époque quarante sept ans, était marié et avait une fille de huit ans. Il savait ce qu’encourait le jeune Marcel ; père de famille, il avait sans doute pitié de lui et ne lui en voulait plus d’avoir détruit sa belle voiture.
 
Le Sondergericht de Strasbourg avait la plupart du temps prononcé la peine de mort contre les fortes têtes. Dans le droit allemand, la majorité civile était de vingt et un ans. Les enfants n’étaient pas passibles de la peine de mort. Celle-ci fut quand même appliquée à de rares exceptions. Car le 3e Reich avait baissé l’âge de la responsabilité pénale à douze ans, alors qu’il avait été fixé à quatorze ans en Allemagne, après la première guerre mondiale. Marcel venait d’avoir dix-huit ans, le 5 février. Tous les autres du groupe étaient plus jeunes, sauf le séminariste pour lequel l’évêché a certainement intercédé. Ils auraient tous dû subir la même peine. Mais Marcel avait revendiqué l’entière responsabilité des actes commis par la Main noire, prétendant avoir entraîné les autres et profité de leur influençabilité.
 
Il est le seul à être condamné à mort. L’intervention du Gauleiter avait quand même servi à quelque chose. Une demande en grâce est lancée par son avocat. Elle est la prérogative du Führer.
 
Pendant ce sursis, Marcel est transféré à la prison de Stuttgart, à une centaine de kilomètres de Strasbourg. Pourquoi pas à la prison de Strasbourg même ? Craignait-on des troubles ? C’est très possible étant donné l’origine alsacienne, la jeunesse et la célébrité du condamné. Marcel était devenu l’inspirateur et le porte-drapeau d’une grande partie de la jeunesse alsacienne. On ne pouvait se permettre d’en faire un héros, ni d’essuyer de nouveaux refus d’entrer dans l’Arbeitsdienst ou dans l’armée, car on était en pleine campagne de Russie.
 
A l’est de Stuttgart, dans la commune de Welzheim, la prison avait été transformée en camp de concentration, sous la direction de Hermann Eberlé. Marcel aurait peut-être été interné dans ce camp, s’il avait bénéficié de la grâce présidentielle.
 
Dans sa prison, il a l’autorisation d’écrire à ses parents. Il écrit en allemand. C’est Jean-Jacques Bastian qui a traduit ses lettres en français. Elles ont été conservées. Elles sont pleines de sollicitude et d’espérance chrétienne. Pas une ligne ne trahit la peur. Marcel garde jusqu’au bout sa fidélité à son idéal, qui est aussi un idéal chrétien. Chez lui, le combat pour la France et la proclamation de la foi vont de pair. Comme pour les chevaliers, comme pour Jeanne d’Arc.
 
Dans la nuit du 13 avril 1942, il apprend que son recours en grâce a été rejeté. C’est à ses parents qu’il pense de suite. Il leur écrit une dernière lettre. « J’ai eu la triste communication que je serai exécuté demain matin à 6 h. Chers parents, pour moi cela n’est pas un malheur, car alors commencera pour moi une nouvelle vie, la vraie vie. (…) Toi, chère maman, qui m’as toujours tellement aimé (…), pense à la douloureuse Mère de Dieu, qui a tellement aimé son fils et l’a perdu aussi, devant même assister à tout son calvaire. (…) Nous nous reverrons un jour là-haut, au Paradis, auprès de Dieu et des Saints. Car pour moi il ne peut y avoir de doutes que je n’aille au Ciel ; pour toi non plus. La terre, ici-bas, n’a été créée que pour éprouver les hommes. La vie réelle est au Ciel ».
Il leur demande pardon pour toutes les peines qu’il leur a causées ; il remercie tous ceux qui prient pour lui, les parents des jeunes de son groupe ; il pense, sans oublier personne, à tous les membres de sa famille et les encourage.
 
Il a pu recevoir une dernière fois la Communion des mains du Père Domogalla, aumônier de la prison de Stuttgart: « Dans un moment, je vais recevoir le Christ pour la sainte Communion. Ainsi, tôt demain, je pourrai comparaître avec un cœur pur devant Dieu ». Il va mourir comme un saint.
 
Dans toute l’Alsace, aujourd’hui encore, le bruit a circulé qu’il avait été décapité à la hache.
Pourtant, deux autres résistants, des Allemands cette fois, sont passés par la guillotine, dans leur prison de Stadelheim à Munich, le 22 février 1943. Il s’agissait de Hans et Sophie Scholl, qui avaient créé le groupe d’étudiants résistants « La Rose blanche ». Cette guillotine avait été transférée à la prison de Ratisbonne en Bavière, puis donnée au musée national de Munich en 1974. Il n’est pas impossible que la guillotine voyageuse soit aussi passée par la prison de Stuttgart.
 
Marcel Weinum a été nommé à titre posthume Sous-lieutenant des Forces françaises de l’Intérieur, Chevalier de la Légion d’honneur, et a reçu la Médaille de la Résistance avec rosette ainsi que la Croix de Guerre.
Il a une rue à Neudorf et une plaque apposée à l’entrée du grand séminaire de Strasbourg.
Son corps repose au cimetiére du Polygone.
 
Un bel ouvrage sur Marcel Weinum et la Main noire, a été publié en 2O1O aux éditions Arfuyen, dans la collection « Carnets spirituels », dirigée par Gérard Pfister.
 
Ne les oublions jamais.
 
Danielle Vincent
4 janvier 2O19.