Musée du Chateau d'Argent

Journal avril 2023

Mensuel du Château dArgent - N° 52 - Avril 2023.
 

Charles de Gaulle : LAlgérie. 

-       Deuxième  partie     -

Ces numéros, consacrés à la Guerre d’Algérie, sont dédiés à la mémoire de Monsieur Jean-Pierre Bengold, de Ste Croix-aux-Mines,  Président des Anciens Combattants,  qui vient de nous quitter le 31 janvier 2023.
 
Une ombre sur la IVe République,  puis sur le gouvernement de Gaulle, à partir de mai 1958, a été la barbarie exercée par l’armée française sur les Indépendantistes algériens, et sur les Communistes qui les soutenaient.  Une ombre encore plus grande, a été  la censure  gouvernementale, qui a essayé  par tous les moyens d’étouffer le scandale provoqué par ces révélations.  Livres, journaux, éditeurs, imprimeurs, relieurs et libraires, avaient fait les frais de cette réduction au silence, ordonnée par celui-là-même qui  en juin 1940, avait utilisé son droit à la parole pour appeler à ce qui passait alors pour de la sédition. Les contradictions du personnage…
La Question, d’Henri Alleg,  achevée d’imprimer le 12 février 1958, avait  été interdite un mois après par le gouvernement de la IVe République . La nouvelle édition d’octobre 1958 est saisie à son tour quelques semaines plus tard.  C’était peine perdue, car le livre avait été « traduit et commenté dans le monde entier, beaucoup lu en France à la barbe des flics, car ce qu’il relatait était imprescriptible » écrit Jean-Pierre Rioux dans :   La torture au cœur de la République  ( 1 ) .  En 1961,  aux éditions de Minuit, paraît aussi l’histoire des trois années de captivité d’Henri Alleg à la prison d’Alger, en compagnie d’autres militants communistes.  Un témoignage insoutenable sur les méthodes de la police française en Algérie.  Ce livre, comme La Question, est toujours accessible en librairie.
La torture et la barbarie se sont inscrites au cœur de la République dès avant l’Algérie, comme on a pu le voir  en 1945, lors de l’Epuration.  « Dès maintenant, les Français doivent savoir qu’ils n’ont plus tout à fait le droit de condamner dans les mêmes termes… les destructions d’Oradour et les tortionnaires de la Gestapo »,  peut-on lire dans  Le Monde du 13 mars 1957, sous la plume d’Hubert  Beuve-Méry, qui fait allusion à la destruction, par l’aviation française,  du village de Sakiet  à la frontière tunisienne, « rayé de la carte » le 8 février 1958 :  un nouvel Oradour  ( 2 ) .
N’étaient pas seulement en cause les paras.  Mais aussi d’autres éléments de l’armée, des policiers chargés de la protection urbaine, des agents du renseignement, des harkis surveillant
la Casbah d’Alger, des activistes civils .   Tous, ils  « règnent impunément dans leurs propres centres d’interrogatoires, y arrachant du renseignement sous la torture et parfois même liquident certains de leurs prisonniers après usage »  ( 3 ).  Mon cousin, lorsqu’il revenait en permission  - il avait fait 32 mois en Algérie -  décrivait par le menu ce  que ses copains faisaient subir aux gars du FLN tombés entre leurs mains. Or ils ne faisaient pas partie d’un régiment de paras. Ceci permet de déduire que  la torture, et même des pratiques qu’Henri Alleg n’évoque pas dans son livre,  étaient monnaie courante dans tous les secteurs de l’armée française en Algérie.
 
De Gaulle avait fait beaucoup de discours et de conférences de presse depuis son accession au pouvoir, en mai 1958.  Mais ils ne comportent pas un seul mot sur la torture pratiquée par les Français en Algérie.  L’orateur donne l’impression de « planer ».  Il vit dans le fantasme d’une Algérie nouvelle, aidée et  modernisée par la France,  dont l’économie elle-même profiterait des immenses ressources nouvellement découvertes au Sahara.  Il minimise sans cesse la gravité du soulèvement algérien,  pense que tout s’apaisera peu à peu, que l’amitié et la coopération perdureront même après l’octroi de l’indépendance.  Le ressentiment et la soif de vengeance des Indépendantistes algériens avaient été exacerbés par la violence de la répression française et l’ampleur de la torture ;  ceci, le général de Gaulle ne le perçoit jamais.
L’armée française est trop sacrée à ses yeux pour être soupçonnée de barbarie et de crimes contre l’humanité.
Durant toute l’année 1957, les journaux avaient parlé des crimes commis par l’armée française en Algérie : l’Express, le Monde, L’Humanité, France-Observateur, Témoignage chrétien.  Des écrivains aussi :  François Mauriac, Jean-Paul Sartre.
C’est dans ce contexte,  interpellé par cette question sans cesse posée, et toujours écartée, que de Gaulle arrive au pouvoir et fonde la Ve République.
Il ne tarit pas d’éloges sur l’armée.
Dans un communiqué du 27 mai 1958, il déclare :
« J’attends des forces terrestres, navales et aériennes présentes en Algérie, qu’elles demeurent exemplaires sous les ordres de leurs chefs : le général Salan,  l’Amiral Auboyneau, le général Jouhaud  ( 4 ) .
La situation du pays est dramatique à cette époque : dégradation de l’Etat sous la présidence de René Coty, unité menacée, Algérie « plongée dans la tempête des épreuves et des émotions », carence du pouvoir,  « notre position internationale battue en brèche jusqu’au sein même de nos alliances »  ( 5 ).   La cause en est « la confusion et par là même l’impuissance des pouvoirs »  ( 6 ).
 
Pour le général de Gaulle, lors de son arrivée au pouvoir,  l’Algérie ne peut être que française. :  « A partir d’aujourd’hui, la France considère que, dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants :  il n’y a que des Français à part entière, des Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs »  ( 7 ).
 
Il en déduit son programme de rénovation de l’Algérie. Ce très beau pays comporte à cette époque dix millions d’habitants :
-  « Donner  les moyens de vivre à ceux qui ne les avaient pas ».
-  « Reconnaître la dignité de ceux à qui on la contestait ».
-  « Assurer une patrie à ceux qui pouvaient douter d’en avoir une »  ( 8 ).
 
Et, plein d’illusions, de chanter les louanges de l’armée, quasi-parfaite à ses yeux :
« L’armée, l’armée française »  ( 9 ),    « une armée très belle et très bonne »,  ( 10 )     « cohérente, ardente, disciplinée sous les ordres de ses chefs, l’armée éprouvée… qui a ici accompli une œuvre magnifique de compréhension et de pacification …
 
                      « Ecoute, salaud ! Tu es foutu ! Tu vas parler ! Tout le monde doit parler ici ! On a fait
                         la Guerre en Indochine, ça nous a servi pour vous connaître. Ici, c’est la Gestapo ! Tu
                        connais la Gestapo ? » ( 11 ).
 
l’armée française a été sur cette terre le ferment, le témoin, et elle est le garant du mouvement qui s’y est développé. Elle a su endiguer le torrent
 
                « Tu as fait des articles sur les tortures, hein, salaud ! Eh bien maintenant, c’est la 10e  
                  D.P. qui les fait sur toi (…).  Ce qu’on fait ici, on le fera en France. Ton Duclos et ton
                  Mitterrand, on leur  fera ce qu’on te fait, et ta putain de République, on la foutra en l’air
                  aussi ! Tu vas parler, je te dis ».  ( 12 ).
 
…  Je lui rends hommage »  ( 13 ).
Ceux qui ont mené en Algérie, par désespoir, un combat courageux, mais cruel et fratricide, doivent participer  à cette œuvre rénovatrice.  Et de conclure :
« Oui moi, de Gaulle, à ceux-là j’ouvre les portes de la réconciliation »  ( 14 ).    
 
Le 13 juin 1958, dans une allocution radiodiffusée, l’orateur évoque déjà l’avantage économique que peut apporter le Sahara à la France, et ceci explique cela :  « Des sources nouvelles sont prêtes :  le Sahara qui contient la fortune pour nous et pour les territoires qui le bordent au nord et au sud »  ( 15 ).
Ainsi  « pour l’Algérie, l’année 58 ouvre la route de l’espoir » car un référendum est prévu, ainsi que de futures élections, «  pour lesquelles les 10 millions d’Algériens auront les mêmes droits et les mêmes devoirs »  ( 16 ).
 
Dans une autre intervention, le 3 juillet 1958, à la radio  d’Alger,  l’orateur expose son vaste plan de rénovation pour l’Algérie :
-  Mettre chacun au travail dans l’industrie, l’agriculture, la construction, l’éducation.
-  Donner le droit de vote aux femmes musulmanes  ( 17 ).
Ceci est redit dans un discours prononcé à Constantine le 3 octobre 1958, et doit être réalisé en cinq ans  ( 18 ).
Le 1er août,  à l’Hôtel Matignon,  le général annonce l’ouverture d’importants crédits pour l’Algérie.  La France, précise-t-il, s’y découvre de nouvelles ressources en pétrole et en gaz.  Pour la mise en valeur et la pacification de l’Algérie, on va créer de nouvelles ressources fiscales : taxe sur l’essence, impôt sur les sociétés, taxe civique  ( 19 ).
« Faire en sorte que chacun accède à un niveau de vie tel que soient assurées sa subsistance, sa dignité, sa sécurité et celle des siens, que le rendement des terres, l’hydraulique, le reboisement soient activement poursuivis, que bientôt grâce au pétrole et au gaz sahariens s’installent de vastes ensembles industriels qui transformeront l’Algérie ; que tous les garçons, toutes les filles de toutes les villes et de tous les villages reçoivent enfin l’instruction, qu’une formation professionnelle organisée développe la valeur des travailleurs, que…les administrations, les cadres des Armées, les postes économiques, les professions libérales (soient) accessibles à un beaucoup plus grand nombre de jeunes Algériens (…).  En comparaison, les combats et les attentats ne sont rien que vies perdues, forces perdues, chances perdues »  ( 20 ).   C’est évidemment ce manque de compréhension pour le combat des indépendantistes algériens qui sans cesse attisait la violence.
De Gaulle veut que soit formée une Communauté entre la France et les territoires d’Outre-mer, et que dans cette Communauté chaque Etat se gouverne lui-même.  ( 21 ).
Cette libre communauté de peuples groupés autour de la France, sera un exemple pour le monde entier  ( 22 ).    Le référendum sur le projet de Constitution créera une République nouvelle  ( 23 ).
 
Le référendum du 28 septembre 1958 verra 79,2 % de oui en France ; 96 % de oui en Algérie ;  93 % de oui pour l’ensemble des départements et territoires d’Outre-mer, exception faite pour la Guinée qui votera non à 95 % et deviendra alors indépendante.
 
De Gaulle nage dans un idéalisme sans bornes , qui est pour les Forces de libération  nationale algériennes un étalage permanent de son incompréhension :
« Alors, me tournant vers ceux qui prolongent une lutte fratricide, qui organisent dans la métropole de lamentables attentats, qui déversent leurs invectives à travers les chancelleries, les officines, les radios,  les  feuilles publiques, je leur dis :  ‘Pourquoi tuer ?  Il s’agit de faire vivre !  Pourquoi détruire ?  Le devoir est de construire !  Pourquoi haïr ? Il faut coopérer ! Cessez donc ces combats absurdes !  Aussitôt l’espérance refleurira en tous points de l’Algérie »  ( 24 ).
Mêmes refrains dans sa Conférence de presse à Matignon  le 23 octobre 1958 :
Depuis quatre ans, 1.500 civils Français de souche ont été tués ;  plus de 10.000 Musulmans ont été massacrés par les rebelles. L’armée française en Algérie a protégé nombre de maisons et de récoltes.  7.200 officiers et soldats sont morts, et 77.000 rebelles ont été tués au combat.
Et de faire encore les louanges de l’Armée française aidant et protégeant la population de toutes les manières et établissant des rapports humains de grande valeur jour après jour :    « …une fraternité confiante et réciproque… un rapprochement des âmes… La France est fière des services de son armée »  ( 25 ).
 
                                  Henri Alleg avait été arrêté  le 12 juin 1957 et torturé par des agents du
                                  10e Régiment de parachutistes du Général Massu,  au cours du même
                                  mois.  Il donne des témoignages d’autres victimes, dont Maurice Audin
                                  et de femmes :
                                  « De l’autre côté du mur, dans l’aile réservée aux femmes, il y a des
                                  jeunes filles dont  nul n’a parlé… Déshabillées, frappées, insultées par
                                  des tortionnaires sadiques, elles ont subi aussi l’eau, l’électricité.  Annie
                                 Castel, violée par un parachutiste,… ne songeait plus qu’à mourir »
                                 ( 26 ).
 
On peut appliquer aux discours  du général, à cette époque, le jugement de Jean-Marie Domenach :  « Sottise d’une politique qui s’épuise à nier la réalité »  ( 27 ).
 
Quand de Gaulle parle du FLN  dans la Conférence de presse du 23 octobre 1958, c’est non seulement en totale incompréhension, mais aussi avec la volonté de ne pas chercher à comprendre le phénomène :  
« L’organisation a d’elle-même déclenché la lutte.  Elle la poursuit depuis quatre ans. Je laisse à l’avenir le soin de déterminer à quoi cette lutte aura pu servir. Mais en tout cas, actuellement, elle ne sert vraiment plus à rien »  ( 28 ).
Il leur propose, en toute naïveté,  de faire la paix, comme des braves. Il pense qu’ils lui obéiront et qu’alors « les haines s’effaceront ».  C’est très simple, à ses yeux :  « Que ceux qui ont ouvert le feu le cessent et qu’ils retournent sans humiliation à leur famille et à leur travail ! »  ( 29 ).   On a dû bien en rire dans les coulisses…  Cet appel à la « Paix des braves »  fut rejeté par le GPRA,  le Gouvernement provisoire de la République algérienne.
Pour de Gaulle,  le problème est avant tout un problème humain, et il persiste à dire que la France lutte pour le bien  de l’Algérie, afin que « chaque homme et chaque femme aient ici  leur liberté, leur bonheur et leur dignité »  ( 30 ).
Mais quelques lignes plus loin, il se trahit et on voit bien  qu’il songe avant tout à garder la main sur le pétrole et le gaz sahariens :
« Quand on voit se dresser, au cœur du Sahara, les derricks d’Hassi-Messaoud et d’Edjeleh, ou bien flamber sur le sable les torches de gaz d’Hassi r’mel,  on est sûr qu’une part de l’énergie que nous  tirerons du sol va assurer un développement industriel à l’Algérie » ( 31 ).
A ces mots, sans doute,  les couteaux se sont ouverts dans les poches des rebelles.
« Nous avons entrepris de transformer l’Algérie tandis qu’avance la pacification », dit-il encore à la radio, le 28 décembre 1958, comme en conclusion.  Et alors que les rébellions et les attentats continuent d’éclater  partout, de Gaulle persiste dans ses rêves, disant que, dans la Communauté africaine  « une place de choix est destinée à l’Algérie de demain , pacifiée et transformée… et étroitement associée à la France »  ( 32 ).  Un an après, le 1er janvier 1960, il estime encore  « qu’en Algérie, les combats fratricides diminuent d’ampleur et de fureur, (et que) la voie de la paix tracée »  ( 33 ).
Or, en ce mois de janvier 1960, l’Algérie est en état d’insurrection.
C’est le 27 août 1959, que les premières idées du choix  ouvert aux Algériens font surface : lors d’un voyage en Algérie, de Gaulle explique que les Algériens auront à choisir entre francisation, autonomie ou indépendance.
Le 16 septembre 1959 se produit le tournant :  de Gaulle propose l’autodétermination à l’Algérie.  Le GPRA refuse et pose l’indépendance comme préalable à toute négociation :
« On peut envisager le ,jour  où les hommes et femmes d’Algérie décideront de leur sort en connaissance de cause. Compte tenu des données algériennes, nationales et internationales, je considère nécessaire que ce recours à l’autodétermination soit aujourd’hui proclamé » ( 34 ).
 
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Au jour le jour, que s’était-il passé depuis   le 1er juin 1958, quand l’Assemblée nationale a voté la confiance  au général de Gaulle et que celui-ci a constitué son gouvernement ?   ( 35 )
 
Dès le 4 juin 1958,  de Gaulle entreprend un voyage en Algérie.  Il charge le général Massu des fonctions de préfet à Alger, et nomme le général André Zeller chef d’état major de l’armée de terre.  De Gaulle effectuera plusieurs voyages en Algérie au cours de cette année-là : le 4 juin à Alger,  le 23 août où, dans un discours à Brazzaville, il parlera de la dé colonisation et de la possibilité d’un référendum, le 3 octobre à Constantine.  D’autres suivront:  le  22 juillet 1959,  le 27 août 1959, le 12 décembre 1960.
En juillet 1958,  les troupes françaises commencent à être évacuées de Tunisie et du Maroc.
Le 16 août, le chef nationaliste Bellounis,  anti-FLN et collaborant avec les Français est tué.
L’Amicale des travailleurs algériens pro-FLN est interdite.
Le 19 septembre est formé le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne), présidé par Ferhat Abbas.
Un charnier FLN est découvert le 21 septembre.
Le 18 novembre, de Gaulle reconnaît que la volonté d’indépendance des pays africains est légitime.
En ce mois de novembre 1958, la république est proclamée en Mauritanie, au Mali, au Sénégal,  au Tchad, au Congo et au Gabon.  En décembre, suivent le Centre-Afrique, la Côte d’Ivoire, le Dahomey, la Haute-Volta et le Niger.
Le 21 décembre, de Gaulle est élu président de la République.
 
Le 18 mars 1959 à Paris, la police interdit une manifestation pour la fin des tortures en Algérie et en France, organisée par la ligue française des Droits de l’Homme.
Un mois plus tard, Le Monde publie un rapport accablant sur les camps de regroupement en Algérie. L’enquête avait été effectuée par Michel Rocard,  socialiste et Garde des Sceaux :  l’Armée avait regroupé un million d’Algériens afin de contrôler certaines régions.  Dans ces camps, les conditions étaient effroyables et un enfant  mourait par jour.
Une enquête analogue avait été publiée dans La Croix, le 11 avril 1959, par Mgr Jean Rhodain, secrétaire  général du Secours catholique.
Le Premier ministre Michel Debré contesta ces documents, disant qu’ils étaient issus d’une campagne de dénigrement menée par le Parti communiste.
Le 23 mai 1959, un avocat du FLN est assassiné et, en juillet, une vague d’attentats sévit en France.  Le 22 juillet, le général Maurice Challe attaque la Kabylie et détruit près de la moitié de l’armée du Front de Libération Nationale.
Le 16 septembre 1959, de Gaulle propose l’autodétermination à l’Algérie.  Le GPRA exige l’indépendance avant toute négociation.  Ce revirement complet du Général provoque  la consternation en France parmi les fidèles à l’Algérie française.
 
Le 5 janvier 1960, le journal Le Monde publie un rapport de la Croix-Rouge sur la torture en Algérie.
Le 24 janvier éclate à Alger la Journée des barricades :  Le général Massu, représentant l’Algérie française  avait été destitué de son commandement à Alger, ayant   critiqué, dans un journal allemand, la politique algérienne de de Gaulle.  Cette mise à l’écart de Massu provoque la colère des partisans de l’Algérie française et les gardes nationaux européens, dirigés par le lieutenant  Bernard Mamy, érigent des barricades. Le général Challe fait intervenir les parachutistes et commande de tirer sur les gardes de l’Algérie française. Les Français tirent les uns sur les autres.  La Journée des barricades fait 6 morts et 26 blessés du côté algérien ; 14 morts et 123 blessés parmi les forces de l’Ordre.
Dans une allocution radiodiffusée, le  29 janvier 1960, de Gaulle s’exclame :
« Français d’Algérie, comment pouvez-vous écouter les menteurs et les conspirateurs qui vous disent, qu’en accordant le libre choix aux Algériens, la France et de Gaulle veulent vous abandonner, se retirer de l’Algérie et la livrer à la rébellion ?  Est-ce donc vous abandonner que d’y envoyer et d’y maintenir une armée de 500.000 hommes pourvue d’un matériel énorme,  (…) d’y consacrer cette année même, des dépenses civiles et militaires d’un millier d’anciens milliards, d’y entreprendre une œuvre immense de mise en valeur, de tirer du Sahara, à grand effort et à grands frais, le pétrole et le gaz  pour les amener jusqu’à la mer ? » ( 36 ). 
On comprend de suite que, pour de Gaulle, la France restera en Algérie, quelle que soit l’option engagée par un référendum.
Le 13 février et le 1er avril 1960, la France fait exploser deux bombes atomiques au Sahara. La troisième est pour le 27 décembre de la même année.
Cette année 1960 voit l’accession à l’indépendance de plusieurs pays africains :  Sénégal, Mali, Somalie, Madagascar, Congo belge.  Un mois plus tard, la guerre civile éclate au Congo belge, et en août se produisent  de sanglants incidents entre la Somalie et l’Ethiopie,  ce qui n’était  pas encourageant pour les partisans de l’indépendance algérienne.
C’est le 5 septembre 1960 qu’apparaît officiellement, dans une déclaration du général de Gaulle, l’expression « Algérie algérienne ».  « L’Algérie algérienne est en marche.  Cela veut dire une Algérie dont le destin dépende de ses habitants et dans laquelle la gestion des affaires appartienne à ses habitants. Mais le bon sens, encore une fois, commande que cette Algérie algérienne soit étroitement unie à la France »  ( 37 ).
On se trouve ici à la charnière de l’évolution du général de Gaulle,  entre sa prise de position pour l’Algérie française et sa « conversion » à l’Algérie indépendante.
Néanmoins,  l’aide au Front de Libération Nationale est toujours condamnée, comme à Paris, le réseau Francis Jeanson,  le 1er octobre 1960.
En octobre,  200  intellectuels français se déclarent favorables à l’Algérie française.
Déjà, le 14 septembre, le général Raoul Salan s’était officiellement positionné  en faveur de l’Algérie française,  qu’il déclarait « inaliénable »  ( 38 ).
La déclaration du général de Gaulle  pour une Algérie « algérienne » et les condamnations afférentes, vont provoquer des émeutes.  Le 12 décembre 1960, des affrontements entre les deux camps font 60 morts à Alger et 4 à Oran.
 
L’année  1961 s’ouvre sur le fameux référendum organisé en France et en Algérie sur l’autodétermination du peuple algérien. 3 Français sur 4 votent en faveur de l’autodétermination, soit 75,26 %.
Quinze jours plus tard, le général Challe  demande à être mis en retraite anticipée.
Une conférence entre le gouvernement français et le FLN est prévue pour le 1er avril 1961.
L’Organisation de l’Armée secrète fait assassiner le maire d’Evian, Camille Blanc, le 31 mars.  Plusieurs attentats OAS se produisent le même jour :  au domicile de François Mitterrand,  à la Bourse de Paris,  au Bar Montmartre et au Consulat des Etats-Unis à Alger.
Trois semaines plus tard, dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, a lieu le putch des généraux Zeller, Jouhaud, Salan, Challe, auxquels s’ajoute le général Marie-Michel Gouraud, le 23 avril.  Leur mot d’ordre est :  « Garder l’Algérie ».
Les parachutistes occupent le centre d’Alger. Ils arrêtent le commandant en chef (le général Gambiez) et le délégué général Jean Morin.  Paris déclare l’état d’urgence. Le général Challe se rend, et les Algériens ressentent cela comme une trahison.
Le pari des cinq généraux putchistes était fragile, car la marine et l’aviation restèrent fidèles à de Gaulle.
Le colonel Godard,   ancien membre de la Résistance antinazie,  officier de renseignements à Alger, restructure l’OAS sous le commandement du général Salan.
La conférence d’Evian  s’ouvre le 20 mai 1961.  Le FLN y est représenté par Karim Belkacem.  La conférence est suspendue trois semaines plus tard.
Se posait en effet la question du Sahara. La France voulant garder le Sahara et de ce fait l’exclure de l’Algérie, des émeutes se produisent début juillet à l’appel du FLN.
Les pourparlers commencés à Evian reprennent le 20 juillet 1961 en Haute-Savoie, à Lugrin. Mais ces négociations sont à leur tour  suspendues par le GPRA, le 28 juillet.
Suivent de nombreux attentats au plastic organisés par l‘Armée secrète à Oran (le 18 août) et à Paris, où l’on dénombre 13 attentats.
Le FLN, lui, organise une manifestation pacifique de Maghrébins en région parisienne : elle est violemment réprimée par les forces de l’Ordre, faisant de nombreux morts.  Le préfet de police, Maurice Papon, est mis en cause pour la brutalité de la répression.
Le 1er novembre 1961, pour le 7e anniversaire de l’insurrection,  des émeutes à Alger font 77 morts.
 
En 1962,  les attentats au plastic se poursuivent en France et à Alger, à la suite de l’arrivée de brigades spéciales anti-OAS, appelées les « Barbouzes ». Il y a 18 morts à Alger lors d’une attaque contre la villa des Barbouzes le 29 janvier.   Les nombreux attentats se produisant par l’OAS en métropole seront appelés « la guerre des Barbouzes ».  120 plasticages ont lieu en deux jours en Algérie ;  ce sera  l’Opération Rock’n roll.
Christian Fouchet est nommé haut-commissaire de France en Algérie, le 19 mars 1962.
La veille,  le cessez-le-feu est signé à Evian.
Les accords d’Evian  reconnaissent la souveraineté algérienne et proposent un nouveau référendum, avec choix entre trois options :
1)  Que l’Algérie soit un département français.
2)  Qu’elle  soit autonome.
3)  Qu’elle soit indépendante.
 La guerre franco-française  se rallume  la semaine d’après,  avec un massacre rue d’Isly à Alger :  des soldats français ont ouvert le feu sur un cortège pacifique, au plateau des Glières. Il y a 46 morts et 200 blessés.
Le référendum sur  la souveraineté algérienne reconnue par les accords d’Evian a lieu le 8 avril 1962.  Les accords d’Evian sont approuvés  à 90,7 %. Les Européens commencent à quitter l’Algérie.
Cependant, le FLN et l’OAS continuent à se battre en Algérie :  en mai,  l’OAS incendie des maisons et le FLN réplique par des lancers de grenades.  « Jamais la violence n’avait atteint une telle intensité »  ( 39 ).
En juin, l’OAS incendie la Bibliothèque nationale.
Le 17 juin, les responsables de l’OAS quittent Alger. Raoul Salan avait été arrêté le 20 avril, et Edmond Jouhaud capturé à Oran le 25 mars.  De sa prison, il appellera l’OAS à négocier.
Le 3 juillet1962 est une date historique : le référendum proposé par les accords d’Evian est tenu :  99,72 % des votants approuvent l’indépendance de l’Algérie dans la coopération avec la France.
Des milliers de pieds-noirs quittent l’Algérie  ( 40 ).
Le 16 août, l’Algérie devient membre de la Ligue arabe, et le 8 octobre, membre de l’ONU.
Le 25 septembre 1962, Ferhat Abbas est élu président de l’Assemblée  nationale algérienne.
Il proclame la République algérienne populaire.
Le  29 septembre, Ahmed ben Bella est élu résident du Conseil.
Le Parti communiste est interdit le 29 novembre 1962.
 
D.V.                                            
 
A  P  E  N  D  I  C  E   :
 
LES  ACCORDS  D’EVIAN. 
Deux rencontres  entre négociateurs français et algériens avaient eu lieu, d’abord à Evian, du 20 mai au 13 juin 1961, puis Lugrin, du 20 au 28 juillet 1961.  Le 31 mars 1961,  le maire d’Evian avait été assassiné par l’OAS pour avoir accepté la tenue des négociations dans sa ville.  Les accords sont signés le 18 mars 1962 à l’Hôtel du Parc à Evian.
 
La guerre d’Algérie avait opposé environ 130.OOO combattants algériens contre 400.OOO soldats français.
Elle avait causé la mort de 250.000 à 400.000 Algériens  (Un million et demi, selon l’Etat algérien),  28.5OO soldats français, 30.000 à 90.000 soldats français algériens (les Harkis), 4.000 à 6.000 civiles européens, et fait 65.000 blessés.
 
Les accords de cessez le feu, du 18 mars 1962 prévoyaient  entre autres :
-  La libération des prisonniers dans un délai de 20 jours, et une mesure d’amnistie générale.
-  L’organisation d’un référendum d’autodétermination dans les 6 mois maximum.
-  La réduction des forces militaires françaises présentes en Algérie à 80.000 hommes dans un délai d’un an, et le retrait total dans un délai de trois ans.
 
Ces accords « mettent fin officiellement à 132 années de colonisation française et à 7 ans et cinq mois de guerre »  (Source Wikipédia). 
 
 
N   O   T   E   S   : 
 
(  1  )       Le Monde,  27 avril 1998.
 
(  2  )     Jean-Pierre Roux,  dans : Henri Alleg, La Question. Editions de Minuit, 2008, p. 86 et 90.
 
(  3  )       opera citato, p. 91.
 
(  4  )       Discours et Messages, t. V, p. 10.
                 
(  5  )       p. 13.
 
(  6  )       p. 14.
 
(  7  )       p. 16.
 
(  8  )       p. 16.
 
(  9  )       p. 16.
 
( 10 )      Allocution radiodiffusée,  13 juin 1958 :  op.cit. p. 18.
 
( 11 )       H. Alleg, op.cit. p. 26.
 
( 12 )       op. cit. p. 26
 
( 13 )       Discours  et Messages,  t. V,  p. 16.
 
( 14 )       op.cit. p. 16.
 
( 15 )       p. 18.
 
( 16 )       Allocution du 17 juin 1958,  op. cit. p. 20.
 
( 17 )       p. 23.
 
( 18 )       op. cit. p. 49.
 
( 19 )       p. 26.
 
( 20 )       p. 40-41.
 
( 21 )       Discours du 4 septembre 1958 à Paris, op.cit. p. 44.
 
( 22 )       26 septembre 1958, op.cit. p. 46. 
 
( 23 )       p. 46.
 
( 24 )       Discours prononcé à Constantine le 3 octobre 1958 : op.cit. p. 50.
 
( 25 )       p. 54 – 55.
 
( 26 )       H. Alleg, op.cit. p. 14.
 
( 27 )       Cité par Jean-Pierre Rioux dans :  Le Monde du 27 avril 1998.
 
( 28 )       Discours et Messages  V, p. 55.
 
( 29 )       p. 55.
 
( 30 )       7 décembre 1958 :  op. cit. p. 63. 
 
( 31 )       p. 63.
 
( 32 )       Déclaration du 8 janvier 1959 :  op.cit. p. 72.
 
( 33 )       p. 158.
 
( 34 )       p. 120.
 
( 35 )       Nous nous inspirons de la trame de la Chronique du 20e siècle, déjà citée.
 
( 36 )       Nous soulignons.  Op.cit. p. 164.
 
( 37 )       Conférence de presse à l’Elysée, 5 septembre 1960 :  op.cit. p. 241
 
( 38 )       Salan  déclare l’Algérie française inaliénable  dans une conférence de presse
               donnée à Paris  le 26 octobre 1960, alors qu’il  est déjà installé à Alger. A la suite
               de cela, il reçoit l’interdiction de rester en Algérie et est menacé d’arrestation.
 
( 39 )       Chronique du 20e siècle, op.cit. p.  940.
 
( 40 )       Pieds Noirs :  Français d’origine algérienne.
               A  ne pas confondre avec les Harkis, qui étaient des Algériens combattant dans
               l’Armée française.
 
 L A     P  H  R  A  S  E     D U      M  O  I  S : 
 
« Jamais je n’ai ressenti plus profondément  la joie et la fierté d’être du grand combat de l’Algérie pour sa liberté ».     
 Henri Alleg :  Prisonniers de guerre   (Les éditions de Minuit,  196,   p. 18.
 
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