Journal septembre 2019
L A V O I X D A N S L E D E S E R T
Mensuel du Château d’Argent - N° 6 Septembre 2O19
Le livret militaire de Marcel Ferdinand N., tué à la bataille de Koursk (1943) :
Le livret militaire de Marcel Ferdinand avait fait deux mille six cents kilomètres depuis la région de Belgorod en Russie jusqu’à Sélestat, en 1943. Il a sans doute été remis à ses parents après sa mort au combat. Dans ce livret militaire, nous avons trouvé deux documents probablement insérés ensuite par la famille : une lettre adressée à Marcel par son beau- frère Marius, alors qu’il ignorait sa mort et qui lui a été retournée par la poste de campagne, avec la mention : « Gefallen für Grossdeutschland » ; et une lettre du 13 mars 1944 de ce même Marius à sa femme, lui disant qu’il se trouve à l’hôpital de Riga, gravement blessé d’une balle dans la tête, mais espère revenir bientôt à la maison.
Ce livret est arrivé entre nos mains soixante seize ans plus tard. Il retrace l’itinéraire d’un destin, et il est imprégné d’une mort tragique, car le livret militaire était conservé par le soldat dans son uniforme jusqu’à sa mort. Il est témoin d’une des plus grandes batailles de la deuxième guerre mondiale, et d’une idéologie qui n’a pas voulu s’éteindre.
Marcel Ferdinand était né à Sélestat le 15 juillet 1922. Il habitait avec ses parents, Marcel et Sophie N. au Fischerbach à Sélestat.
Le jeune Marcel, de confession protestante, célibataire, avait passé son Abitur à dix-huit ans, en 194O, quelques mois sans doute après l’annexion de l’Alsace, le 25 juillet 194O. Il savait le français et l’anglais. Il se destinait à entrer dans l’Administration.
Sur son livret militaire, il est précisé que Marcel est bien « Volksdeutscher Elsässer », Alsacien allemand de souche, c'est-à-dire dont deux grands parents étaient nés Allemands.
Le 4 août 1941, à dix-neuf ans, il rejoint l’Arbeitsdienst, prête serment au Führer le 9 novembre 1941, et termine son service de travail obligatoire le 23 mars 1942.
Le Service du travail obligatoire avait été instauré en Alsace par décret le 8 mai 1941.
Le décret sur l’intégration obligatoire des Alsaciens dans la Wehrmacht est, quant à lui, promulgué le 25 août 1942.
Marcel s’engage volontaire dans l’armée allemande le 2O janvier 1943. C’est précisé dans le document. Tout était consigné dans les livrets militaires. On ne pouvait pas prétendre, par exemple, avoir été enrôlé de force, alors qu’on était volontaire . Lui voudrait être affecté à la Luftwaffe.
Beaucoup d’Alsaciens avaient devancé l’appel. Parce qu’ils souhaitaient une certaine affectation, comme c’était le cas de Marcel N. Mais aussi par cet enthousiasme de jeunesse qui veut refaire le monde, comme on va le retrouver chez les jeunes de seize ans de la Werwolf, dernier espoir d’Hitler en septembre 1944. Beaucoup étaient déçus par les revers et l’attitude de la France. D’autres avaient des parents qui, en 1918 auraient aimé rester Allemands et avaient mal vécu l’annexion forcée française. Dans les clauses du traité de Francfort de 1871, il était en effet bien précisé que l’Alsace serait rattachée à l’Allemagne à perpétuité. Ce qui n’avait pas non plus échappé à Adolf Hitler. D’autres pensaient que leur famille gagnerait un certain prestige et que la carrière du père serait facilitée, surtout si, par la suite, le jeune homme
s’engageait dans les sections spéciales. La plupart ne pensait jamais que l’Allemagne allait perdre la guerre.
On pouvait certes choisir son affectation quand on était volontaire. Mais comme on était en temps de guerre, on vous mettait là où l’on avait le plus besoin de vous. C’est ainsi que Marcel est enrôlé dans le 7e régiment d’infanterie de Kapuste, en Tchécoslovaquie. Comme toutes les nouvelles recrues, volontaires ou non, il prête son serment de soldat le 17 février 1943. Il reste dans ce régiment jusqu’au 31 mars 1943.
Les jeunes de valeur étaient vite repérés par les unités d’élite, qui prospectaient partout, même parmi les jeunes de l’Arbeitsdienst, pour avoir des recrues. Les SS étaient en première ligne des combats et perdaient beaucoup des leurs. Ils avaient constamment besoin d’être remplacés. Beaucoup de « Malgré-nous » ne voulaient pas en faire partie, sachant qu’ils seraient trop exposés. Ce n’est que plus tard, en 1944, que les incorporés de la classe 26 avaient été dirigés automatiquement vers les unités SS. Comme les autres, Marcel avait certainement subi la pression des officiers SS. Ce beau jeune homme blond, de type arien, a sur la photo un regard fanatisé.
Le 1er avril 1943, il rejoint les Schutzstaffel. L’engagement dans l’armée pouvait être, selon le cas, forcé ou volontaire; mais l’engagement dans les SS était toujours volontaire. Sauf, comme nous l’avions mentionné, à la fin de la guerre, pour la classe 26. Après la guerre, on a aimé faire croire que l’enrôlement dans les SS était lui-aussi forcé, et on l’a volontairement confondu avec l’embrigadement forcé dans la Wehrmacht.
Le 1er avril 1943 le jeune Marcel est affecté en Russie au 1er régiment de blindés, le 1st Panzer Genadier Regiment LAH Russland (Leibstandarte Adolf Hitler, une section spéciale proche du Führer).
Il est doté des armes suivantes :
Une carabine 98 lz, dont la marque n’est pas mentionnée, mais qui était probablement un Mauser.
Une M.-G. 15, la mitrailleuse qui était en dotation dans toute l’armée.
Le pistolet O8, de 9mm, que seuls les officiers portaient et qui était déjà utilisé en 14-18.
Il avait certainement reçu une formation accélérée avant d’intégrer les divisions de blindés. En tant qu’ officier SS, il était à l’avant des combats et dirigeait son char en compagnie de deux autres hommes.
Il est tué le 5 juillet 1943, à dix jours de son vingt et unième anniversaire, dans le secteur de Belgorod, où il est aussi enterré. Les Allemands avaient appelé cette bataille : « Die Blutmühle von Belgorod ». C’était à une centaine de kilomètres de Koursk, au cours de l’opération « Citadelle ».
Le 5 juillet 1943, la campagne de Russie était déjà perdue pour l’Allemagne. La 6e armée du général von Paulus était encerclée par les Soviétiques à Stalingrad le 22 novembre 1942 et capitulait le 31 janvier 1943. Staline avait voulu présenter à l’armée allemande de Stalingrad les honneurs de la guerre.
Mais le 28 janvier de la même année, Hitler avait mobilisé tous les hommes âgés de seize à soixante cinq ans. Il voulait continuer la campagne de Russie coûte que coûte.
La débâcle s’est produite à Koursk, le 13 juillet 1943, lors de la plus grands bataille de chars de l’Histoire. L’opération Citadelle avait duré dix-huit jours. Dans les deux camps, allemand et russe, ils s’étaient battus comme des titans.
Le livret militaire de Marcel N., témoin de la bataille de Koursk, met à jour plusieurs problèmes que l’on n’a jamais voulu résoudre :
D’abord, celui du travail obligatoire des Alsaciens pour l’Allemagne.
Le travail obligatoire était légalisé en France dès le 9 janvier 1941 : tous les Français nés en 1921 devaient effectuer un stage de huit mois dans les chantiers de jeunesse. C’était donc avant la promulgation du décret sur le travail obligatoire en Alsace, sorti le 8 mai 1941.
En Allemagne, depuis le 1er janvier 1939, toutes les jeunes filles de moins de vingt cinq ans étaient obligées d’effectuer un service civil au bénéfice du Reich.
Dès juillet 194O, les usines d’armement, les aciéries, l’industrie automobile et les houillères françaises travaillaient pour l’économie de guerre allemande.
Loi du vainqueur oblige.
Le 16 juin 1942, Pierre Laval accepte que les Français aillent travailler en Allemagne, en échange de la libération de prisonniers de guerre.
Le 4 septembre 1942 est entrée en vigueur la loi mobilisant la main d’œuvre française de vingt et un à trente cinq ans pour le compte de l’Allemagne.
Le 16 février 1943, le gouvernement français crée le Service du travail obligatoire pour les jeunes nés entre le 1er janvier 192O et le 31 décembre 1922. C’est un service de deux ans, pour les classes 194O, 1941 et 1942.
On a estimé à environ cinq millions le nombre de Français travaillant pour le Reich.
Le Service du travail obligatoire instauré en Alsace le 8 mai 1941 n’était donc pas une nouveauté, ni une exception. Et le contexte n’était pas seulement alsacien, mais allemand et français.
L’autre problème soulevé par le cas de Marcel N. est celui du Service militaire obligatoire en Alsace sous le régime allemand.
Il a été décrété le 25 août 1942.
Il faut rappeler que dès le 9 février 192O, les Alsaciens étaient de nouveau appelés sous les drapeaux en France. Celle-ci avait enrôlé de facto dans son armée les Alsaciens qui avaient déjà servi dans l’armée allemande pendant la guerre 14-18. Ainsi, Georges Wodli, le résistant strasbourgeois, né Allemand le 15 juillet 19OO, avait été mobilisé dans l’armée allemande à la fin de la Grande guerre, et fut obligé d’effectuer le service militaire français en 192O à Toulon.
En 14-18, deux cent cinquante mille Alsaciens avaient combattu dans les rangs allemands.
Si l’on veut remonter plus loin, pour comprendre l’enrôlement obligatoire des Alsaciens dans la Wehrmacht, on peut rappeler que les armées napoléoniennes embrigadaient les soldats de tous les pays conquis : c’était ça, la Grande armée. C’était la loi du vainqueur et il n’y avait aucun crime de guerre à cela.
Notons que, le 27 mars 1944, Vichy autorisait l’engagement des Français dans les SS.
Le procès de Nuremberg, en définissant les chefs d’accusation, le 1er octobre 1946, n’avait pas étendu le terme de « crime de guerre » ou de « crime contre l’humanité » à l’enrôlement forcé des Alsaciens dans l’armée allemande.
C’est la raison pour laquelle le président de la République allemande n’a jamais voulu accepter de qualifier l’enrôlement des Alsaciens dans l’armée du Reich du terme certainement abusif de « crime de guerre ».
Nous avons volontairement changé la première lettre du nom de famille de Marcel, et passé sous silence d’autres détails de son livret militaire qui auraient pu compromettre sa famille.
Nous remercions notre cousin René, qui a combattu comme Malgré-nous en Pologne, et nous a donné bien des renseignements et des explications sur le sujet.
A. et D.V.
La phrase du mois :
« La mort de celui qui échoue est certes vaine, mais jamais déshonorante »
(Le bushido, code d’honneur des Samouraï).
A noter :
Séminaire d’été à la Scierie-musée Vincent de Ste Croix-aux-Mines, samedi 7 septembre 2O19 à 14h3O, sur le thème : « Albert Schweitzer musicien ». Entrée libre.
La Voix dans le Désert. Mensuel gratuit du Château d’Argent.
Directrice de publication : Danielle Vincent.
Editions du Château d’Argent, 185 rue de Lattre de Tassigny 6816O Ste Marie-aux-Mines
Imprimerie des Editions du Château d’Argent
ISSN : 265O-7225 Dépôt légal : 3e trimestre 2O19
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