Musée du Chateau d'Argent

Journal avril 2021

L A  V O I X   D A N S   L E   D E S E R T 
Mensuel du Château d’Argent - N° 25 - Avril 2021 
 
L  U  C  I  E  N     J  E  N  N        
Curé de Bischoffsheim  -  Basse -Alsace 
LE  JOURNAL  D’UN PRETRE ALSACIEN  EN  CAMP  DE  CONCENTRATION. 
LE  CAMP DE CONCENTRATION SCHIRMECK – STRUTHOF
PENDANT LA PERIODE FRANCAISE 
1 9 4 5
E X P E R I E N C E S     E T     D O C U M E N T S
(12 janvier 1945  -  24 décembre 1945) 
 
Première traduction française intégrale, introduction et notes par   
Danielle  VINCENT.   
 
11 mars 2O21.  Une légère pluie de printemps enveloppe la terre. Les premières fleurs s’ouvrent déjà, et de timides chants d’oiseaux se font entendre au loin, baignant de mystère et d’espoir le paysage voilé,  dans l’attente de Pâques.  J’entends une autre musique encore au fond de moi,   celle du maître de tous les temps :    « Wachet auf,  ruft uns die Stimme… »,  et  les chorals de ses Passions.
Les yeux pleins de larmes,  je lis le message de l’abbé Jenn.  Car c’est plus que le récit d’une vie : c’est le témoignage d’un prêtre, avec sa foi profonde, son sens du sacrifice pour autrui, sa grande érudition, son amour des Ecritures, son ouverture de cœur aux « frères séparés » .     C’est   le reflet d’ une haute vision du sacerdoce.  En même temps,  un  attachement à la vie, à l’Alsace,  un optimisme indestructible et  une grande humanité.
Je n’avais de cesse de  le connaître.  Et je remercie l’archiviste de l’Evêché, Monsieur Jean-Louis Engel,  d’avoir permis cette rencontre.  Tant d’autres, grands Alsaciens, que j’aimais tellement, l’ont accompagné,  quand Lucien Jenn m’a tendu la main :  Eugène Fischer,  Henri Bischoff,  les chanoines Reinagel,  Timmer,  Monseigneur Elchinger… tous ceux qui sont déjà  dans cette mystérieuse lumière.  C’est l’amitié qui forge l’Eglise éternelle.  Le reste, les épreuves, les faiblesses et les manquements, ce sont les pierres du chemin.
 
Le journal de Lucien Jenn,  en langue allemande, et dans sa présentation actuelle, tient deux cent quinze  pages.  Il a attendu si longtemps, soixante seize années, avant d’être enfin traduit,  que je ne voulais pas prolonger cette attente en entreprenant l’édition d’un ouvrage.  Si Dieu le veut, ce livre verra le jour, mais pour l’instant,  notre bonheur sera d’en publier une vingtaine de pages tous les mois dans ce mensuel :  La Voix dans le Désert.  Pour aplanir les chemins du Seigneur et préparer sa venue  (Jean 1/ 23 ).
 
 Lucien JENN est né à Bitschwiller-les-Thann (Haut-Rhin) le 8 février 1884.
Il est ordonné prêtre à Strasbourg, le 25 Juillet 191O.
Assistant au Collège épiscopal de Zillisheim (Haut-Rhin) à partir du 27 août 191O.
Etudes de Philosophie à Freiburg-im-Breisgau et à Strasbourg de 1912 à 1914.
Infirmier et aumônier militaire durant la guerre 1914-1918.
Professeur au Collège  épiscopal de Zillisheim à partir du 1er janvier 1919.
Directeur de l’Internat St Joseph et professeur au Collège épiscopal St Etienne de Strasbourg à partir du 1er avril 192O.
Curé de Bischheim (Bas-Rhin) dès le 3O juin 1925.
Curé de Bischhoffsheim (Bas-Rhin) à partir du 14 février 1929.
Du 12 janvier au 22 décembre 1945, l’abbé Jenn a été interné (internement administratif) d’abord au Camp de Schirmeck, puis au Camp du Struthof (Bas-Rhin) ; libéré par arrêté du Préfet, mais interdit de séjour dans le Bas-Rhin, il se retire à Guevenatten (Haut-Rhin), à partir du 1er janvier 1946.
De 1947 à 1956, il part aux Etats-Unis, d’abord chez son frère à Oscala (Nebraska), puis il sera :
Aumônier d’un Orphelinat et de deux Prisons à Lincoln (Nebraska), de 1947 à 1948,
Professeur et aumônier au St Michaels College de Santa-Fé (Nouveau Mexique), tenu par les Frères des Ecoles chrétiennes, de 1948 à 1956.
Missionnaire dans les faubourgs de la ville portuaire de Veracruz (Mexique) en 1956.
De retour en Alsace,  et aumônier à l’Orphelinat St Joseph de Thann à partir du 1er novembre 1956.
Il se retire à Thann à partir de 1963 où il décède le 25 septembre 1976.
Il est inhumé à Bischoffsheim.
 
Sur l’histoire du manuscrit de l’abbé Lucien Jenn,  nous  citerons ce qu’en dit l’historien Bernard Wittmann :
« Peu avant sa mort, survenue en 1976, l’abbé Lucien Jenn a remis son manuscrit, plusieurs centaines de feuillets de tous formats, avec une écriture difficile à déchiffrer, à l’abbé Jean Keppi (1919 – 1998), qui présidait alors aux destinées de l’hebdomadaire catholique L’Ami du Peuple / Der Volksfreund,  et ceci aux fins de publication.  Sur ces feuillets, Lucien Jenn avait soigneusement noté, presque au jour le jour, tout son vécu durant son internement dans les camps français du Struthof et de Schirmeck. Un témoignage rare et de premier ordre.  Mais avant de l’éditer, il fallait d’abord le dactylographier.  Dans cette attente, le manuscrit  resta rangé dans un tiroir du bureau de l’abbé Keppi durant plusieurs années.  En 1995, celui-ci finira par remettre  les feuillets à Gabriel Andrès, un collaborateur du journal, qui accepta de taper ce texte à la machine, travail qui s’étala sur environ deux ans.  A défaut d’une publication intégrale jugée trop onéreuse, on pencha alors plutôt en faveur d’une publication de larges extraits. Mais peu après, l’abbé Keppi décédait à son tour en ayant toutefois laissé le soin à Gabriel Andrès de décider de la destinée de ce « Tagebuch ».
Alors que je cherchais des témoignages sur les camps français du Struthof et de Schirmeck, en vue de la rédaction  de mon  « Histoire de l’Alsace autrement » ( parue en 1999), ce dernier me confia le texte dans lequel j’ai pu puiser des informations inédites, dont j’ai d’ailleurs fait état dans mon ouvrage. Vu son intérêt historique évident, cette page sombre de l’histoire alsacienne ayant toujours été soigneusement occultée, il suscita un vif intérêt parmi mes lecteurs et certains historiens. C’est ainsi que ce « Tagebuch » a refait surface.
Parce qu’il brise un tabou historique en jetant une lumière crue sur les abominations qui se passèrent aux camps français du Struthof et de Schirmeck durant toute l’année 1945, sa publication semble indispensable :  elle relève du devoir de mémoire ! »
 
« Je soussignée, Lucienne Jenn, habitant 23 rue des Jardins à 688OO Thann, autorise par la présente, André  Hugel, habitant à 6834O Riquewihr, 4 route de Mittelwihr, à rendre publics les écrits de mon oncle, le Curé Lucien Jenn de Bischoffsheim.
Ce sont les relations, au jour le jour, laissées par le Curé Jenn lors de son séjour en 1945 aux camps de Schirmeck et du Struthof, écrites en allemand et qui seront présentées sur environ 22O pages.
Il est prévu, en première démarche, d’éditer en photocopies une vingtaine d’exemplaires qui seront remis, entre autres, au camp du Struthof et au Mémorial d’Alsace-Lorraine de Schirmeck, aux Archives départementales du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, ainsi qu’à ceux qui ont participé à la publication et dont la liste est en fin de page.
Cette autorisation permet aussi de publier ces textes, soit en allemand, soit en français, au cas où il nous serait possible de trouver un éditeur. Le bénéfice d’une telle opération sera versée à une œuvre humanitaire à préciser.
Il a semblé important aux destinataires cités sur la présente, que cette période dramatique, qui fait aussi partie de notre histoire, ne soit pas occultée.
En accord avec ce qui précède :
M.Gabriel Andrès  - Strasbourg                          M.André Hugel  -  Riquewihr
M.Bernard Wittmann  -  Strasbourg                   M.le Chanoine  Geissler  -  Strasbourg
M.Raymond Piéla  -  Kindwiller                          Dr Yves Boeglin  -  Thann
 
 
Lucien  J  E N N  : 
 A  propos de l’Auteur.  
  
On m’a demandé de raconter l’  histoire de ma longue et très riche existence : c’est une tâche difficile et même  épineuse.  Je pense ici à une phrase que j’ai lue récemment :  « Ce ne sont que les récits vécus qui méritent d’être racontés  et écoutés ».
 
On ne peut pas dire qu’il y a eu dans ma vie de grandes actions et des dates mémorables, mais tout ce que j’écris ici a été vécu, souvent douloureusement, et de ce fait, mérite d’être raconté et d’être lu.  C’est ainsi qu’en regardant en arrière, je trouve beaucoup de raisons de rendre grâces pour la manière dont le Seigneur m’a conduit et entouré de sa providence.
 
1884 est l’année de ma naissance. Je suis né à Bitschwiller  (  1 )  où mon père était instituteur principal à l’école communale. Pour subvenir aux besoins de sa nombreuse famille    il devait, en plus de son activité d’enseignant, assurer le service d’organiste et de secrétaire de mairie.  Comme maître d’école, il gagnait, à l’époque, 1.1OO Mark par an   (  2 ).  Mon père aimait  sa profession, on pourrait presque dire : ses  activités.   Pour moi, son aîné, il a été un modèle de conscience professionnelle ; dans ses paroles, ses actes et sa manière de prier, se révélait une âme profondément chrétienne.  Pour ses deux auxiliaires, il était un père et un ami.  Il était aimé et estimé dans tout le village.
 
Ma mère, Maria Kolb, était native de Rammersmatt  ( 3  ). Elle était la fille du fermier du Rossberg.  Aujourd’hui encore la ferme montagnarde du Rossberg inférieur s’appelle Ferme Kolb.  Ma bonne et chère maman accomplissait fidèlement en silence et avec courage ses multiples tâches de mère et de maîtresse de maison. Il n’y avait alors pas d’eau courante. Ma mère devait pomper à l’évier de pierre  ( 4  )  l’eau nécessaire à la cuisson et à la toilette.  Il n’y avait pas non plus de chauffage central. Dans chaque pièce se trouvait un fourneau en faïence,  qui était alimenté au bois et demandait un entretien permanent. Il n’y avait pas encore de cuisinière électrique ni de réchaud à gaz à la cuisine, et pas davantage de lampe électrique dans la salle de séjour.  Des lampes à pétrole et des bougies assuraient l’éclairage dont on avait besoin.  On n’avait pas non plus de machine à laver.  Pendant les grandes journées de lessive, tous les mois, on faisait venir deux ou trois lavandières pour aider ma mère.  On n’avait ni Dash, ni Persil, ni Fact, ni Omo,  comme s’appellent tous  ces produits de lessive. On confectionnait, à partir de la cendre de bois du fourneau,  une lessive qui lavait non seulement « blanc », mais aussi « propre ».  Comme c’était agréable et reposant, le soir, quand parents et enfants étaient assis ensemble autour de la table ronde, sous la grande lampe à suspension.
Il y avait sur la table un épais recueil de la Vie des saints  -  l’Ecriture sainte en vécu -  que j’aimais feuilleter et lire le soir.  De belles gravure ornaient le livre et elles me plaisaient tellement, que je les vois encore aujourd’hui devant mes yeux. Très tôt, le Seigneur et ma pieuse maman avaient versé dans mon coeur l’amour du sacerdoce, et la vie des saints confortait chaque jour cet appel en moi.  Je n’ai jamais eu de problème  en décidant de suivre cette vocation.
Mon père souhaitait que je reste en classe chez lui jusqu’à mes quatorze ans. Bientôt je pris mon premier cours de latin auprès d’un vicaire, Monsieur l’abbé Bixel, futur curé de Blotzheim. Après ma Première communion, je pus gagner le collège de Zillisheim, où je passai sept ans et demi de ma jeunesse et où je pus, en 19O5, avec encore sept camarades d’école, couronner mes études par l’Abitur.  Le niveau élevé de cet examen, la jeunesse actuelle peut à peine se le représenter.
 
Nous avions un devoir à faire en cinq langues :  latin, grec, allemand, français et hébreu ou anglais.  En maths, on s’élevait aussi jusqu’aux  sphères de la géométrie dans l’espace. Quatre de ces  « Abituriens » sont allés au Grand séminaire pour se préparer à la prêtrise et aux études universitaires.  Notre promotion a été la première à suivre les cours de la Faculté de théologie.  Le séminaire était un lieu de prière et de resourcement intérieur ; l’université, celui d’un intense travail intellectuel.  Nous n’étions pas constamment enfermés entre les quatre murs du séminaire. Nous avions chaque jour des contacts avec les étudiants  des autres facultés ;  nous en connaissions déjà beaucoup depuis le collège et avec lesquels nous sommes restés amis toute la vie.
 
Nous, quatre théologiens, sommes devenus prêtres et restâmes fidèles à notre sacerdoce.  Hoffner s’est élevé jusqu’au titre de chanoine titulaire.  Aby  fit son examen de doctorat à l’université de Bâle, avec une thèse de philo intitulée : « Schopenhauer et la Scolastique ».  Holder ( ? sic), le plus savant de la classe, resta un pieux et zélé curé de campagne, mais mena en plus un travail d’écrivain, vaillant défenseur et authentique ami de sa patrie alsacienne .
En ce qui me concerne, les prochaines lignes en parleront : ce sera la vérité, pas du roman  
( 5 ) .
 
Parmi les quatre « Abituriens » laïcs , Oberlé,  qui était instituteur à Colmar, fut tué lors de la première attaque sur Mulhouse.  Imbach, qui était passé en Allemagne après un grave accident, travailla comme conseiller pédagogique au collège de Siegbourg, aux environs de Bonn. Il venait de prendre sa retraite lorsque, après une dernière visite en Alsace, il mourut à Siegbourg. Neff, qui fit du droit, devint, après la guerre,  sous- préfet d’Altkirch. Quiquerez qui, avec moi, a survécu à tous les copains, était notaire aussi à Altkirch.  Je lui ai rendu visite plusieurs fois là-bas : un gentil et fidèle ami.
En 191O, je reçus l’ordination sacerdotale et célébrai ma première messe à Moosch avec Haffner  ( ? sic).  Le professeur d’université Muller assura la prédication.  De 191O à 1912 j’étais maître d’études au collège de Zillisheim.  En 1913-1914 je suivis des études de philosophie et de langues anciennes aux universités de Fribourg-en-Brisgau et de Strasbourg.  En 1914, j’ai dû interrompre ces études car j’ai été incorporé dès le deuxième jour de la mobilisation générale. De 1915 à 1918 on m’a  affecté comme aumônier militaire officiel dans l’armée allemande.  En tant que tel, je n’ai pas seulement assisté spirituellement les soldats allemands, mais aussi les prisonniers français et italiens  (  6 ), les blessés et les mourants.  Mon journal de guerre a, jour après jour, conservé toutes les expériences et les circonstances de ces temps d’épreuve.  Une période de forte implication sacerdotale.  Je n’ai pas tenu compte des uniformes, car je ne prenais garde qu’aux âmes immortelles,  envers lesquelles j’étais responsable et pour lesquelles je priais chaque jour. J’ai enterré des centaines de morts.
 
Après la guerre, j’ai été professeur au collège de Zillisheim.  En 192O, l’évêque, Mgr Ruch, me nomma supérieur de l’internat St Joseph  (vulgum klepperes)  (  7 )  de Strasbourg, et en même temps, professeur de français, allemand, latin et grec au collège St Etienne, où j’avais à assurer seize heures d’enseignement par semaine.  Avec mes élèves du Klepp, je montai plusieurs pièces classiques en français et allemand.  Ce qui était encore possible à l’époque, serait aujourd’hui impensable et irréalisable avec la politique d’enseignement qu’on a menée. Nous nous sommes mesurés à des pièces comme  « La jeune fille d’Orléans » de Schiller,  « L’Avare » et « Le Bourgeois gentilhomme » de Molière, « Athalie » de Racine et encore d’autres.  Monseigneur Ruch, qui assistait aux représentations, avait dit une fois, à l’issue d’une prestation :  « Vos élèves ont joué comme de véritables Parisiens et comme de véritables Berlinois ! ». On est malheureusement loin, aujourd’hui,  de  cet idéal du bilinguisme,  très loin.  Pourtant la Pologne n’est pas perdue encore !  (   8  )
 
En 1925, j’ai été nommé  curé de Bischheim, une paroisse d’un faubourg de Strasbourg, qui était en grande partie menée par des Communistes et qui, de ce fait, me causa un travail pénible et beaucoup de tracas. J’avais deux vicaires à mes côtés pour m’aider.
Mon père, dont je raconterai plus loin le chemin de croix, avait pris entre-temps sa retraite. Ma mère était morte en 1915 à Bréviandes près de Troie, où elle s’était réfugiée.  J’ai pris mon père et ma sœur célibataire Martha avec moi au presbytère. De son épreuve aussi, je parlerai plus loin.
Comme président du cercle alsacien Charles Borromée, j’ai essayé de fournir les bibliothèques paroissiales de bons ouvrages allemands – et aussi français. Pour cette tâche, mon dévoué vicaire, M.l’abbé Schlotter, m’a beaucoup aidé. Ma  soeur aînée, toujours serviable, s’est chargée de l’envoi des livres.  Cette tâche, que je ne considérais que comme une action purement sociale et culturelle, a été tournée à mon grand détriment par la presse, en soupçons et attaques sournoises, comme s’il s’était agi d’un travail de sape politique et anti-français.  Monseigneur Ruch, cependant, m’avait aidé et encouragé dans cet effort de diffuser une saine littérature. Il m’écrivit :  « Je souhaite que votre œuvre fasse beaucoup de bien ».  Lorsque mon père fit une attaque cérébrale et fut incapable de supporter plus longtemps le  mouvement et le bruit de la ville, je demandai à l’évêque… (  9  )
Malgré  tout, la méchante attaque contre moi ne cessa point.  « Celui qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage. »    
 
 
 -       Camp de concentration  Schirmeck-Struthof,  1945.     -
 
 Expériences et documents. 
 Si le monde veut retrouver la Paix, il faut que disparaissent le mensonge et la rancune,
 Qu’à leur place règnent en maîtresses souveraines, la vérité et la charité.   Pie XII. 
 Iste pauper clamavit et Dominus exaudivit eum et de omnibus tribulationibus salvavit eum. Ps. 33,7   ( 1O  ) . 
 
 -       J  O  U  R  N  A  L      - 
 Le souvenir de la souffrance endurée confère sa profondeur à l’existence (LeTemplier) 
 Ne pleure pas, parce que le bouquet de roses a des épines,
 Mais réjouis-toi de ce que le bouquet d’épines porte des roses.  (Proverbe arabe)
  
Le Dr K.Drexel, dans :  Médecin de campagne en Sibérie, écrivait à propos de son Journal :
« J’ai exactement noté ici ce que j’ai appris, ce qui m’avait fait plaisir, en  l’accompagnant toujours de quelques remarques. C’est pourquoi, je m’efforçais chaque soir à faire mon introspection.  Je relevais tout ce qui me touchait particulièrement : le temps, les gestes d’amitié, les nouvelles et les bruits qui couraient, et aussi mon humeur ;  certains petits détails  ont été ajoutés,  qui aident à faire revivre le jour oublié depuis longtemps ».
 
Ps.138,3:  Domine…omnes vias meas praevidisti. 
 (Seigneur, Tu  connais d’avance toutes mes voies ). 
 
Moi aussi, j’ai voulu écrire un tel journal et je l’ai fait ; malheureusement, la première partie en a été perdue  ( 11) .  C’est ainsi que je peux seulement tirer de l’oubli mes expériences au camp de Schirmeck et les faire revivre ici.
 
Le 12 janvier 1945,   le jour de l’anniversaire de mon père,  deux FFI  ( 12  ) et un lieutenant vinrent m’arrêter au presbytère de Bischoffsheim,  mais sans pouvoir me produire un mandat d’arrêt.  C’était un acte purement arbitraire. On me conduisit à Oberehnheim ( 13   ), où l’on m’enferma avec d’autres prisonniers,  des femmes et des enfants aussi, dans la cave à charbon d’une villa.  Je rencontrai là-bas M. le curé Rauch de Bergheim ,  qui avait été soupçonné comme moi d’être du côté des Allemands. On disait jadis : « interioribus non iudicat praetor », mais la populace l’a fait, et comme elle, plus tard, les tribunaux  ( 14  ).
Le jour suivant, au soir, on m’appela pour me conduire dans une chambre. Là, un FFI essaya de m’intimider en brandissant son revolver. Il marchait de long en large dans la pièce, et m’invectiva en criant sauvagement.  Je lui répondis sur le même ton et de façon si énergique, que l’abbé Rauch pouvait m’entendre de la cave.  Lui-même avait fait une crise de nerfs lors d’un semblable interrogatoire.
Je fis à mon interlocuteur la remarque, que je ne trouvais aucune différence entre les manières de nos libérateurs et les méthodes nazies.
Le  soir, je fus cité à comparaître devant une commission composée d’officiers et de « lieutenants FFI ». Là aussi, je suis resté droit dans mes bottes.  Je défendis mes convictions régionalistes. Je pris ouvertement le parti de la langue maternelle alsacienne,  et si clairement, qu’on rapporta à un percepteur de Bischofsheim, qui avait essayé d’intervenir en ma faveur,  avoir rarement vu un homme qui, comme l’abbé Jenn, défendait son point de vue avec autant de liberté et de franchise.  
Les messieurs de la Commission affirmèrent, qu’à partir de maintenant, il ne sera permis de prêcher qu’en français.
 
Le troisième jour, tous les prisonniers de la villa furent conduits dans les baraquements vides d’un ancien camp de prisonniers russes. La nuit, il faisait tellement froid là-dedans, que nous ne pouvions pas dormir. Pour nous réchauffer un peu et ne pas geler, nous étions obligés de bouger sans arrêt.  Le jour suivant, au soir,  je fus isolé des autres détenus.  Un soldat français, l’arme à l’épaule, accompagné d’un chien policier, me promena bien en vue à travers les rues de la commune. Il me déposa, environ une demi-heure, avec le chien, dans la salle de police de la mairie. Ensuite, on m’enferma dans une cellule, en face de l’hôpital  communal.  Dans la pièce voisine,  des Polonais prisonniers  - ou plutôt libérés – bavardaient et chantaient.  De dormir, il n’en était pas question.  On avait placé devant moi un repas composé de purée de pommes de terre et de viande, avec une sauce particulièrement noire et grasse,  à laquelle on avait mélangé à mon insu de l’huile de ricin, pour me « purger » ; car pendant l’interrogatoire avec les officiers, j’avais dit que mon arrestation allait bientôt causer ma fin, étant donné mon âge et mes maux d’estomac chroniques  ( 15 ).   
Au matin, je vis un camion devant la porte ; il était chargé de « mauvais » Alsaciens.  J’étais le dernier qu’on devait chercher et transporter au camp de concentration de Schirmeck.  Comme il n’y avait plus de place pour moi,  on me hissa simplement dans le camion par-dessus la tête des « voyageurs ».  Ce qui ne réussit pas totalement, car je dus laisser pendre mes longues jambes à l’arrière du véhicule.  En traversant ma paroisse de Bischoffsheim,  j’ai encore pu faire un triste salut d’adieu à mes paroissiens, qui m’avaient repéré.  Arrivé au portail d’entrée du camp, j’ai ressenti les effets du laxatif et demandai à redescendre ; il était grand  temps !  En revenant, alors que tous les autres étaient déjà descendus, je remarquai que les affaires que j’avais emportées avaient disparu. Je le signalai immédiatement. On me répondit que je n’avais qu’à chercher moi-même. Je cherchai et trouvai : on avait dissimulé et fourré le paquet sous le siège du conducteur. Il n’était pas monté là de lui-même !
L’abbé Rauch fut affecté avec moi au baraquement  n° 1.  La nuit, couchés à même le sol,  j’étendis ma large cape sur nous deux, pour nous protéger du froid tenace et pouvoir un peu dormir.  Le lendemain matin, on a dû rendre nos soutanes et mettre la tenue verte des prisonniers. A partir de là, nous n’avons plus été que des numéros.  Lire le bréviaire  n’était plus possible, et célébrer la messe, totalement exclu.
 
Le jour suivant commencèrent les corvées, comme on les appelait, qui nous incombaient à nous autres détenus. La corvée d’essence était la tâche la plus terrible.  Il fallait transvaser l’essence des fûts dans des bidons que les Américains utilisaient pour leurs véhicules, et c’était fait dehors,  dans une neige d’un pied de haut, sans manteau et en tremblant de froid.  Chacun avait peur, le matin, d’être désigné pour cela ;  moi, je l’ai été tout le temps et je voyais combien mes camarades me plaignaient,  oiseau de malchance.
Un autre chantier était le déchargement des obus. Ils pesaient environ quatre-vingt dix livres. Je n’étais pas capable de porter un tel poids ni même de le traîner, moi, vieil homme de soixante ans.  Le Marocain de garde, pensant que je voulais me soustraire  à ce travail,  me frappa en plein visage.  Un sergent avait remarqué l’incident  et accourut.  Je lui expliquai que je ne refusais pas de travailler, mais qu’il m’était totalement impossible d’accomplir cette tâche-là.  Il me conduisit alors à un autre wagon, dont les caisses oblongues, remplies de mines, étaient à décharger. J’ai pu le faire, car  ces caisses n’étaient pas aussi lourdes que les longs obus.  Parmi les prisonniers, il y avait aussi l’abbé Cridlig de Gertwiller.  Il avait eu la chance d’être nommé doyen du baraquement et était ainsi dispensé des lourdes galères.  L’abbé Rauch et les sept pasteurs internés avec moi n’avaient pas cette chance.
D’autres corvées étaient moins astreignantes. Par exemple, celle des chaussures. Le père Krumb, rédemptoriste, qui, dans le village voisin, desservait une paroisse orpheline,  avait signalé à la direction du camp, que les vieilles chaussures entassées là-bas l’intéressaient pour être distribuées aux pauvres, et proposait que les prêtres du camp les lui amènent. On ne s’y attendait pas, mais on nous en donna l’autorisation et après,  nous nous sommes bien régalés dans la cuisine de cet accueillant presbytère .
Nous avons eu la même chance avec les Américains.  Pour installer un hôpital de campagne,  ils avaient demandé l’aide des prisonniers du camp, et particulièrement de ceux qui comprenaient un peu l’anglais.  Avec le professeur Schwarz de Barr et quelques autres, je me proposai.  Le travail fini, nous avons été tellement gâtés que nous en sommes tombés malades. Nos estomacs affamés n’étaient plus habitués à une nourriture aussi  riche et abondante. Une autre fois,  un cultivateur du coin avait eu besoin des prisonniers pour transporter le fumier, à partir de l’écurie jusqu’à une colline où se trouvaient ses champs. Ce travail, assez fastidieux et pas particulièrement propre, nous a permis pourtant de calmer notre faim avec la viande en conserve qu’il nous avait donnée.
Un épisode affreux, dont j’ai été le témoin, m’est resté en mémoire.  On avait annoncé l’arrivée de familles allemandes  détenues.  Quelques-uns d’entre nous avaient été envoyés à la gare pour aider les arrivants à porter leurs paquets.  Le commandant courait le long des rangées de ces exilés, criant des insultes et faisant claquer sa cravache, apparemment pour bien montrer qui était  le maître ici.  Au milieu du groupe, se tenait un pauvre vieil homme aux cheveux blancs, qui s’était peut-être un peu comporté maladroitement.  Dans une rage aveugle, et comme une bête, un type des FFI abattit sa crosse sur le pauvre hère qui gémissait et criait grâce, en vain. Deux gendarmes qui se tenaient tout près, ne remuèrent pas un doigt pour protéger le vieillard de ces brutalités gratuites.
Ces prisonniers allemands furent conduits à la grande halle, où ils ont pu s’asseoir sur de la laine de bois humide.  Nous avions le cœur brisé de voir la situation désespérée de ces personnes,  dont la  seule faute était d’avoir un  extrait de naissance allemand.  Le vieil homme qui avait été si maltraité, s’est ouvert les veines la nuit suivante. Sa douleur et son malheur avaient été si grands, qu’il ne pouvait en supporter davantage.  Le commandant W., et tous les prisonniers du camp ont pu en témoigner,  a tenu un discours  de circonstance, que l’on ne pouvait imaginer plus  arrogant et écoeurant.    C’était si ignoble, que je n’ose même pas en citer un mot.
 
Le 5 avril 1945   j’ai été libéré du camp de concentration de Schirmeck, camp d’internement administratif, centre de séjour surveillé  ( 16 )  -  sur l’intervention de l’évêque, mais envoyé en résidence surveillée au mont Ste Odile. Ensemble, avec M. le curé Cridlig de Gertwiller et le Père Muller de Berg, je partis jusqu’à Dorlisheim dans un camion, qui devait chercher du charbon à Strasbourg. Là-bas, je déchargeai mon lourd paquetage chez M. le curé Kirschner, qui était juste absent,  et je suis allé à pied « à la maison », à Bischoffsheim. De  loin, le clocher de ma paroisse me faisait signe et me souhaitait la bienvenue. Le chemin me conduisit d’abord au Bruderberg où, dans la petite chapelle, je rendis  grâces à la Vierge miséricordieuse pour sa protection particulière dans les premiers jours de ma captivité.  L’abbé Cridlig   qui, en chemin, avait pu arrêter une voiture, avait annoncé mon arrivée au presbytère. Lothar, le père capucin,  et mon vicaire, l’abbé Oberlé vinrent au-devant  du revenant.  Enfin, de nouveau à la maison !  Hans, mon neveu, était allé de suite en vélo à Hindisheim chez le curé Schlotter, mon ancien vicaire, pour lui apporter l’heureuse nouvelle de mon retour. Le curé Schlotter prit illico sa bicyclette pour nous rejoindre et prendre de tout son cœur part à ma joie.  Le soir, vint aussi M. le curé Scharwatt, qui s’apprêtait à visiter ses réfugiés rhénans dans le village. Un de ses paroissiens devait célébrer sa communion solennelle. Le curé Scharwatt   était aussi un de ceux qui m’avaient condamnés ; maintenant qu’il avait appris la vérité sur l’affaire, il se taisait.  Lorsqu’il se résolut à accepter l’invitation de ce « Boche », il ne s’attendait pas à  tomber sur le « lion » dans son antre, ni à rencontrer son zélé protecteur et défenseur, M. l’abbé Schlotter.
Le samedi, je recueillis les confessions de quelques communiants . Le dimanche – fête de la communion solennelle -  je chantai la grand-messe et distribuai la sainte communion aux enfants.  Pendant les prières d’intercession, je leur fis une petite allocution où j’expliquai comment on trouve force et consolation en Jésus-Christ au temps de l’épreuve. Je remerciai aussi tous les paroissiens qui avaient signé en ma faveur ; quatre familles avaient refusé de signer :  Georges Haberer, Beck, Lehn et Stoeckel.
Monsieur Schl… avait cru bon d’ajouter à sa signature la remarque :  « Comme prêtre, je n’ai rien à lui reprocher », et son gendre, M. Joseph Hartz, le nouveau chef des FFI, donna sa signature avec le commentaire suivant :  « Au sujet de ce qui est mentionné plus haut, je ne prends aucune responsabilité ».  Miss Cordela (une Irlandaise qui loge ici), m’avait silencieusement tendu la main vendredi matin à l’issue de la messe ;  ainsi que me le fit savoir Monsieur Leo Lehmann, elle essaya  de retirer sa signature.  Alsace, pays de la peur !
En règle générale, je ne vis que des visages réjouis, témoignant de leur satisfaction de me voir enfin de retour.  Il était temps, bientôt, de penser à regagner le mont Ste Odile  ( 17 ).    Auparavant Hans, mon neveu, se rendit à Saverne pour prendre des nouvelles du père et de la tante, qu’on avait également arrêtés (ou projeté  de le faire ?).
Joseph, mon frère, se portait relativement bien,  mais avait une fois été en grand danger d’être fusillé,  lorsque le sieur Friedrich, un chef des FFI,  affirma que mon frère avait écrit à un adjoint parisien, pour lui demander de jeter à la Seine une valise de documents qui le compromettaient.  Rien qu’un abominable mensonge !  Au dernier moment, l’affaire a été  élucidée et mon frère disculpé.  La méchanceté des hommes est parfois pire qu’on ne le croit.  Par bonheur, la remarque de Calderon, dans le « Joseph féminin »   ne   s’appliqua pas ici; il dit,  par la bouche d’Eugenias :  «  Un texte  de loi veut que le faux témoin supporte toujours lui-même la punition qui vise l’inculpé »  ( 18  ).
Mon frère avait trouvé une occupation de peintre à la maison d’arrêt de Colmar :  peintre en bâtiment mais aussi artiste.  Tante – ma sœur – est, paraît-il, très amaigrie.  Elle travaille  à côté comme bibliothécaire, mais est officiellement employée comme blanchisseuse. Grâce à  leurs activités déclarées, les deux ont évité d’être envoyés à Schirmeck ou au Struthof.
 
Mardi, le 1O avril.   On a enfin gravi la montagne sainte de notre petite patrie alsacienne, où ma « custoda  libera », ma liberté surveillée ou contrôlée,  pourrait durer des semaines ou même des mois. Le vicaire général Daubner, alias Douvier, est ici en réalité le premier prisonnier…de l’évêque.  L’abbé Cridlig s’est rendu sans attendre au mont Ste Odile.  Le curé Rauch n’est pas encore ici.  Est-ce que les chefs ne lui ont pas joué un tour à cause de  son     « rapport ambivalent » remis au commandant Tressel ?
De quelle manière me rendre au lieu indiqué ?  Les moyens de transport étaient rares à l’époque.  Victor Fischer me conduisit là-haut avec la charrette de Peter Lehmann et le cheval de Joseph Kirmann.  Lucienne et mon aide de maison Maria, m’accompagnèrent.  Après avoir pris leur casse-croûte du soir,  du jambon de Klaus Koestel,  mes accompagnateurs redescendirent  et me laissèrent là-haut dans cette  bienfaisante et revigorante solitude.
Hier, le vicaire du curé Rauch est venu prendre des nouvelles de son supérieur.  M. l’abbé Schlotter et le lieutenant Wernert m’ont également fait une visite et ont amené Hans, mon neveu et ma nièce Lucienne.  Celle-ci avait emporté les clés de ma chambre, ce qui fait que Hans a dû remonter  pour me les rapporter. Il ne s’est pas laissé décourager par la pluie. Un bon et gentil garçon ! J’ai été si heureux de passer l’après-midi avec lui.  En partant, il me pria de lui donner ma bénédiction sacerdotale.  Le vicaire Schiff de Haguenau et le curé Moschler séjournent ici pour se reposer. Le prix de la pension pour les religieux - car d’autres personnes ne sont pas admises pour le moment, sauf exception – s’élève à quarante Francs par jour ; c’est vraiment donné.
Je lis Saint Jean Bosco de Auffray   et l’Apprentissage de l’Art d’écrire de Payot . En  outre,  j’étudie l’anglais et le français. J’ai bon appétit, et je pense retrouver bientôt mes forces.  Les premiers jours, on avait du soleil. Depuis deux jours, c’est de nouveau le brouillard.  Demain, le temps sera meilleur.
 
15.4.45    En ce dimanche, j’ai chanté la grand’messe.  J’avais pour lecteurs M.le curé de Gertwiller et le jeune aumônier. J’étais un peu refroidi car hier, j’ai transpiré en visitant Niedermunster et la petite chapelle St Jacques.  Aux vêpres, j’ai reconnu un de mes paroissiens.  M. Klaus Koestel  d’Oberehnheim avait amené ici  Madame Schell, qui voulait me  parler au sujet de la maladie et du décès de son mari,  mon compagnon de baraquement. Elle pleurait et me demanda de dire une messe pour le défunt, cette semaine encore.  Je l’avais assisté dans sa mort.
J’ai eu cet après-midi la joie de rencontrer un ancien élève, que je n’avais plus revu depuis vingt ans. C’était M. Lorber, d’Ebersheim. Camille Brunissen, le frère du directeur, qui a pris son repas avec nous à midi, me l’a amené.  Lorber est à Ebersheim… président du Comité d’épuration  ( 19  ).
Le soir, le vicaire général Douvier, qui s’était rendu à Strasbourg pour bénir le mariage d’un couple ami, m’a rapporté que la préfecture a été fort contrariée par le fait que je ne sois pas monté « de suite » au mont Ste Odile.  La préfecture (de qui s’agit-il ?)  oublie les aléas de la vie, par exemple :
  1. Les vingt puces et deux punaises  dont je voulais d’abord me débarrasser.
  2. Que ma soutane, mon manteau et mon linge avaient dû, d’abord, être remis en ordre.
  3. Que je ne pouvais me dispenser de soigner mon estomac malade, en jeûnant dimanche.
  4. Que je devais d’abord trouver un moyen de locomotion, car j’étais trop faible pour faire le chemin à pied. Trouver un moyen de transport n’était pas si simple. J’ai dû effectuer cinq visites afin de résoudre ce problème.   Ce « manquement » aura-t-il de mauvaises conséquences ?   Sur la fiche qui m’avait été donnée en quittant Schirmeck, aucun délai n’était mentionné, et il fallait bien me laisser une certaine marge  avant de me rendre dans ce lieu de liberté surveillée.  Il fallait aussi que je me procure de l’argent et des cartes d’alimentation.
Qui m’a dénoncé à la préfecture ?  Sûrement pas des amis de la paix, de la tranquillité et de l’ordre, mais des individus que la vue de   leur curé vieilli et amaigri a fait réfléchir.  Et qui ont voulu, de ce fait, s’en débarrasser au plus vite.
 
17.4.45     Lucienne, ma nièce ( 2O ), voulait fréquenter le Lycée de jeunes filles de Strasbourg. Elle n’a pu suivre les cours qu’un seul jour.  A cause d’un soudain bombardement de Strasbourg, l’école a dû fermer de nouveau.  Du vendredi jusqu’au samedi, elle est restée à la cave, de neuf heures du soir à quatre heures du matin.  Le lendemain tôt, elle a apporté ses livres au père Lothar de Koenigshofen et est retournée à Bischoffsheim. Elle s’était réjouie de passer la journée avec moi.  Je lui ai acheté une broche en souvenir et, pour les enfants du  voisin, qui m’avait souvent rendu de grands services, je lui donnai aussi de petites choses pour leur faire plaisir.
Les tonneaux de vin, dans la cave du presbytère, sont vides tous les deux. Pour les remplir de nouveau, il faudrait dépenser des cent et des mille.  Si mes compagnons de souffrance du camp de Schirmeck étaient libres, on pourrait déjà s’attaquer à ce problème.  Cette nuit, j’ai fait, de deux à quatre heures, une veillée de prière avec l’abbé Cridlig. Que de choses j’avais à dire à Notre Seigneur !  Remettez tous vos soucis au Seigneur !  Devant le tabernacle j’ai lu les deux versets :  Venez à moi, vous tous qui avez de la peine et  êtes chargés et je vous soulagerai… Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai  (Mt 11) .  Et nous devrions être abattus ?
 
2O.4.45    Le jour est déjà loin où  « cum custodiente me milite » (Act 28/6), sous garde militaire, je fus conduit à travers Oberehrheim. Nous autres, prêtres prisonniers, n’avons jamais mieux su à quel point, dans toutes les circonstances de la vie, on peut tirer force et consolation de la lecture du bréviaire et de la Bible.  Avec St Paul prisonnier, nous pouvons dire :  « Ego, viri fratres, nihil adversum plebem faciens, aut morem paternum vinctus, traditus sum in manus… Romanorum qui cum interrogationem de me habuissent, volaerunt me dimittere, eo quod nulla esset causa mortis in me. »  (Act 28/17-18)  (  21 ).  Car nous sommes les serviteurs de Dieu ; les prêtres sont comme les Apôtres : des êtres célestes, des semeurs d’Eternité.
Toujours de nouveau jaillissent de la parole de Dieu, des phrases qui vous pénètrent jusque dans le cœur et ne vous lâchent plus. Dans l’Epître de la messe du saint pape alsacien  (  22   ), une petite phrase m’interpelle :  « Dei enim adintores sumus »  (« Car nous sommes collaborateurs de Dieu »).  Qui pourrait saisir toute la profondeur et le devoir de responsabilité qui se trouvent dans ce verset ?  Qui pourrait exprimer plus succinctement la grandeur et la noblesse du sacerdoce,  que cette phrase : « Dei adintores sumus » ?  Dieu semble avoir besoin de nous. Nous autres prêtres devons l’aider, devons nous investir pour lui.  « Apostoli » dit, en ce jour, St Hilaire dans le bréviaire,  « apostoli autem sunt rerum coelestium praedicatores et aeternitate veluit satores ». Nous portons la vie éternelle dans nos mains sacerdotales et malheur à nous si nous oublions de répandre la vie éternelle dans les cœurs !
Hier, la demoiselle Albertine Obrecht est venue et m’a apporté du beurre et des petits pains, ainsi que des pommes et des œufs de la part de la famille Bentz-Geissel.  Avec ces dons si particuliers, ces  bonnes personnes essaient de me témoigner leur amitié et leur fidélité.  Je sais que je peux aussi compter  sur leurs prières.
La petite Lisiane, la fille d’Elisa Geissel, m’écrit :  « Monsieur le curé, je prie tous les jours pour vous ». Et le trésorier de la paroisse,  Rob.Geissel,  gravement malade, me dit, quand je le vis, il y a huit jours :  « Nous avons prié chaque jour pour vous ».
Moi aussi, je l’ai fait ; chaque jour, au camp, j’ai offert à Dieu ma souffrance et ma peine pour mes paroissiens.  « Sine intermissione memoriam vestri  facio semper in orationibus meis ». L’autre phrase de l’Apôtre, je peux l’énoncer  également :  « Saepe proposui ire et vos (et prohibitus sua musque adhuc) et aliquem  fructum habeam…in vobis » ( Epître aux Romains), ce qui veut dire :  « Souvent, j’avais entrepris de vous visiter  (jusqu’ici j’en ai toujours été empêché), afin de me réjouir par votre présence » ( 23   ).   « Prohibitus sum usque adhuc », et aussi plus tard, car jamais plus je ne pourrai retourner comme prêtre chez mes anciens paroissiens. Où me conduit le cours de ma vie ?  Que m’apportera l’avenir ?   ( Ici : biographie succincte, en note).
« Là où Tu veux que je sois, ce sera bien,
  Mets-moi dans le feu ou les grandes eaux,
  Dans les fleurs ou dans le sang »  (Joh.Sorge)  (  24   ).
Je voulais déjà fermer ce petit journal, quand mon regard tomba sur un  passage du bréviaire, que j’avais souligné hier, pendant la prière. Ces phrases-là aussi, peuvent ùetre appliquées aux prêtres de Schirmeck :  « Judaei (FFI) qui ab Jerosolyma descenderant…circumsteterunt eum, multas et graves causas objicientes, quas non poterant probare » (Act 25/7) (  25   ), que je traduis ainsi :  « Les ( FFI ) d’Oberehnheim m’entourèrent et portèrent beaucoup d’accusations contre moi, qu’ils ne pouvaient cependant pas justifier ».  Le mot « Judaeis » est intéressant dans le plaidoyer de l’Apôtre. Car je n’ai rien fait contre mes compatriotes…Si je suis dans mon tort et que j’aie commis  un crime qui mérite la mort, je ne refuse pas de mourir. Mais si rien ne tient, des accusations portées contre moi, personne n’a le droit de me livrer à eux. Et malgré cela, nous avons été livrés à nos adversaires ; il nous manque la possibilité de dire, comme l’apôtre : « Caesarem appello » : « J’en appelle à César ! ».
 
22.4.45    Aujourd’hui dimanche, en la fête de St Joseph, le chanoine Brunissen  (  26   ) a chanté la  grand’messe en l’honneur de son saint Patron,  assisté par les deux larrons de Schirmeck, M. le curé Rauch et moi-même.  Qu’est-ce qu’on ne raconte pas !  Au Struthof, il y aurait eu de la casse.  Le commandant aurait été  condamné à quatre ans de prison et deux autres tortionnaires à six ou sept ans.  On raconte que la visite du président du Tribunal de Strasbourg, accompagné d’un substitut, et le rapport du curé Rauch, ont déclenché ces mesures.
Il paraît que la vie dans le camp de Schirmeck, où mon frère Joseph se trouve aussi, est devenue plus supportable.  Le curé Rauch disait toujours de nouveau : « Si je m’engage, ce n’est pas pour moi seul, mais pour tous mes camarades ». Son sacrifice est devenu une bénédiction pour tous et, dans le camp, le respect envers les prêtres catholiques est grand, aussi de la part des Protestants.
Beaucoup de bien a germé, issu du mal que nous avons enduré.  En partant de Schirmeck, j’entendais encore ce que disait, à quelques copains, le chef  du baraquement 1 :  « Il a fait beaucoup de bien ! ».  Il pensait sans doute aux célébrations du soir, que j’assurais presque régulièrement, surtout les derniers jours, et qui étaient fréquentées quasiment par tous avec grand intérêt,  en particulier, dirais-je même,  par les Protestants  Bien des grains de blé n’auront pas été semés en vain !
Nous  deux, mis en sûreté,  avions  une grande joie aujourd’hui.  Chacun a eu sa petite surprise.  M. le curé Cridlig a pu embrasser sa vieille maman et moi, ma sœur Elise, qui est venue de Mulhouse à Strasbourg par le premier train, ensuite de là jusqu’à Sélestat, puis jusqu’à Bischoffsheim  en camion . Ma sœur s’est beaucoup réjouie de me revoir, bien que cette rencontre ait été en même temps douloureuse pour elle, lorsqu’elle  constata que le travail forcé et la cure de jeûne à  Schirmeck   n’ont pas été sans laisser  de traces chez moi.
Toute une nuée de jeunes garçons est arrivée de Gertwiller, la paroisse de l’abbé Cridlig. J’ai pu saluer de nombreux paroissiens de Bischoffsheim. Les cadeaux d’amitié qu’ils  m’ont apportés étaient si nombreux, que j’ai dû en donner deux paniers pleins à la cuisine :  du cake, un poulet déplumé, des œufs, des petits pains, du choux-fleur, bref, tout ce avec quoi on a pensé me faire plaisir. Jean a même monté la petite radio. Je ne sais pas si je vais avoir le droit de garder cet appareil.
 
24.4.45    Aujourd’hui, pendant la promenade, je suis tombé en pleine forêt sur un sanglier, avec plusieurs petits.  C’était juste au moment où je me remémorais, pour mieux les retenir, quelques termes anglais,  dont en particulier celui qui désigne le sanglier :  « the wild bear ».  Après cette impressionnante leçon de choses, je ne serai pas près d’oublier ce mot.
 
25.4.45     Au cours de la procession de St Marc, le chanoine Douvier a eu une petite absence.  Dans la litanie de tous les saints, il a dit que, parmi les maux dont on désire être délivré, on avait oublié les sangliers.  En effet, le sieur Brunissen n’avait pas été particulièrement édifié d’apprendre que ces animaux à durs poils, redoutables pour ses champs de pommes de terre, s’étaient  manifestés.  Pour se prémunir contre ces hôtes indésirables, il a fait clôturer ses champs.  Mais est-ce que ce grillage sera suffisant,  quand ces animaux impétueux fonceront dessus de toute leur force sauvage ?  Un beau matin, en faisant son inspection,  M. le Directeur se lamentera comme le psalmiste : « Exterminavit eam aper de Silva » (Ps 79) ( 27 )
 
27.4.45    Ce matin, en me baladant, j’ai trouvé, juste à l’endroit où étaient passés les sangliers, de magnifiques truffes.  Comme mon père, grand connaisseur de champignons, se serait réjoui, s’il avait été là !  De vraies truffes,  de la famille des morilles, nous n’en avions jamais trouvées  lors de nos battues de champignons.  Nous ne les connaissions que par les livres.  Je me souviens encore de notre joie à  dénicher les premières morilles, les premières amanites, les premières chanterelles.  J’étais un petit garçon à l’époque, mais je pourrais encore aujourd’hui en retrouver les endroits sur le chemin des prés, à Bitschwiller.  « La vraie joie, c’est de se réjouir des petites choses ».
 
28.4.45       Madame Blasy de Colmar me racontait aujourd’hui, qu’elle avait été reçue en audience privée avec l’évêque Matthias, par le pape Pie XII. Quand le Saint Père apprit qu’il était Alsacien, il lui dit : « Même le pape ne peut contenter les Alsaciens.  Quand je leur adresse la parole en allemand, il y en a qui rouspètent et disent :  Nous sommes pourtant Français ; le pape devrait nous parler en français !  Quand je leur parle en français, d’autres rouspètent, parce qu’ils ne comprennent rien . »   C’est là le problème de l’Alsace :  il s’amplifie de nouveau aujourd’hui.  Où trouver les personnes avisées qui sauraient désigner le vrai chemin, la bonne solution ? La Suisse et le Canada sont là  pour nous montrer comment on peut faire droit à chacun  (  28  ).      
 
29.4.45     La guerre semble, Dieu merci, tirer à sa fin  (  29  ) .  A San Francisco, Himmler a proposé la reddition.  Dans le sud de l’Allemagne et en Italie, les troupes ont déposé les armes.  Le camp de concentration de Dachau a été libéré  (  3O  ).  La  chasse aux  membres du Parti a commencé.  Hitler, lui, est invisible.  Ce sont les dernières informations de la radio.
Cette semaine, l’abbé Cridlig et moi, avons repris nos prières nocturnes, de nouveau pendant quatre heures, dans la nuit de vendredi à samedi.  Ce fut une belle occasion de porter tous les problèmes du monde devant le Seigneur, ceux de l’Eglise,  de la Heimat, des prêtres et des familles, et les miens aussi.  « Media nocte surgebam ad confitendum tibi »  (Ps 118,55)  ( 31)      
Ce dimanche, Anna Wimmer et Maria Schuster étaient de nouveau là.  A Bischoffsheim, en effet, le bruit circule, que j’ai été cherché par la police et de nouveau conduit à Schirmeck.  Les deux visiteuses sont venues pour voir si c’était vrai.  Leur joie  - mais de courte durée  -  a été grande,  de me rencontrer encore là-haut  ( 32 ).  Le chef des FFI, Joseph Hartz, était aussi là  avec sa famille et son gendre, Jules Offner. Qu’est-ce qu’ils voulaient, ceux-là ?  Cette fumée témoignait-elle quand même de la présence d’un feu ?  J’ai de suite  intercepté le sieur Hartz qui essayait de me fuir, et je lui ai dit tranquillement, mais avec aplomb,  que j’interprétais sa signature  et celle de son gendre Salomon, au bas de la pétition des paroissiens en ma faveur, non comme une tentative de prendre mon parti, mais comme une offense.  Je n’avais certainement pas mérité d’être traité ainsi par les deux familles.  Ou j’étais coupable, ou bien innocent.  Dans le premier cas, il ne fallait pas signer. Innocent : une signature, d’accord, mais sans commentaires.  « Dites-moi donc, Monsieur Hartz, pourquoi j’ai dû aller à Schirmeck. Vous reconnaissez vous-même, que je n’ai pas envoyé Auguste Meyer à Schirmeck, et ces lettres  - je les lui donnai – vous prouvent à quel point j’ai été diffamé. »   (   33   ).
 
-        N  O  T  E  S        - 
(  1  )       Bitschwiller-lès-Thann, Hautes-Vosges. 
(  2  )       Un mark 19OO équivalait à environ 2O euros actuels.  1.1OO marks par an équivalaient à 22.OOO euros, soit un salaire de 1.8OO euros par mois. 
(   3  )       Rammersmatt, dans l’arrondissement de Thann-Guebwiller. 
(   4  )       Il s’agit d’un évier extérieur en grès avec une pompe.  On l’appelait  la « pierre d’eau ». 
(   5  )      Aus meinem Leben. Dichtung und Wahrheit.  L’autobiographie de Goethe avait été écrite entre 18O8 et 1831. 
(   6  )     Alliée d’abord à l’Autriche-Hongrie et à l’Allemagne,  l’Italie décide de rester neutre en 1914,  puis entre en guerre, le 24 mai 1915 contre l’Autriche-Hongrie et, le 27 août 1916 contre l’Allemagne.  Elle mobilise  5.615.OOO hommes, et comptera 6OO.OOO disparus ou prisonniers, 65O.OOO morts et presque  un million de blessés. 
(  7  )      L’Internat St Joseph   (Association Adèle von Glaubitz) était une institution pour enfants pauvres, fondée en 1864.  L’orphelinat accueillait les fillettes de moins de douze ans  jusqu’en 1979, des jeunes filles et des garçons, par la suite.  
(   8  )      Un dicton pour signifier que la partie n’est pas encore perdue. 
(  9  )      Phrase inachevée dans le texte original.  Les mêmes griefs avaient été faits à Joseph Rossé, et ce sont probablement les ouvrages des Editions Alsatia, en allemand, que l’abbé Jenn avait diffusés partout. 
( 1O  )      Psaume 33 (34) /7 :  « Quand un malheureux crie, Dieu l’entend, et Il le sauve de toutes ses détresses ». 
(  11 )      Il s’agit probablement de son journal de guerre 14-18.  Il mentionne cet écrit ci-dessus, p. 4,  3e §.  Il parle aussi d’un récit sur les épreuves de son père,  ci-dessus, p. 5, 3e §. 
( 12  )      Forces Françaises de l’Intérieur, recrutées parmi les résistants et ayant combattu dans les armées françaises de la libération.  Les FFI avaient en général, mauvaise réputation.  (Voir :  La Voix….n°  22,  note 8  et  n° 24, note  7). 
(  13  )     Oberehnheim :  Obernai. 
(  14  )     « Interioribus non iudicat praetor » :    « Le magistrat ne peut porter de jugement sur la vie intérieure »,  principe qui fonde la liberté  de pensée.  L’abbé Jenn estime être  puni  sur la foi de simples soupçons  sur ses opinions.  Il fait ici probablement allusion aux tribunaux de la Révolution française  qui, pour un simple soupçon ou une rumeur,  envoyaient la personne à  l’échafaud. 
(  15  )     En 1945,  Lucien Jenn avait 61 ans. 
(  16  )     En français dans le texte. 
(  17  )    C’est le retard qu’il a mis à rejoindre cette résidence surveillée du Mont Ste Odile, qui a  valu à l’abbé Jenn un deuxième internement, en camp de concentration,  à partir du 3O avril 1945. 
(  18  )    Pedro Calderon  (16OO – 1681)  était un poète et dramaturge castillan, auteur de plus de deux cents textes dramatiques marqués par la contre-réforme,  notamment :  « La vie est un songe » (1635) , « La dévotion à la croix »,  « Le grand théâtre du monde ». 
(  19  )   Une étude intéressante est celle de Christiane Kohser-Spohr :  L’Epuration économique en Alsace  (Presses Universitaires de Rennes, 2OO8), qui écrit :  « Après 1945, le silence et la crainte accompagnent le phénomène de l’épuration en Alsace, suscités par les schémas réducteurs  de l’après-guerre, qui ne correspondent pas à la situation que vivent les Alsaciens à la Libération ». 
(  2O  )     Voir plus haut,  p.  2.  C’est Lucienne qui détenait le Journal et avait donné, le 21 mars 2014, l’autorisation de le traduire et de le publier. 
(  21  )    Il s’agit d’Actes 28/16 où il est question du soldat qui gardait St Paul.  Act. 28/17-19 :  « Au bout de trois jours, Paul convoqua les principaux des Juifs ; et quand ils furent réunis , il leur adressa ces paroles :  Hommes frères, sans avoir rien fait contre le peuple ni contre les coutumes de nos pères, j’ai été mis en prison à Jérusalem et livré de là entre les mains des Romains.  Après m’avoir interrogé, ils voulaient me relâcher, parce qu’il n’y avait en moi rien qui méritât la mort. Mais les Juifs s’y opposèrent, et j’ai été forcé d’en appeler à César, n’ayant du reste aucun dessein d’accuser ma nation. » 
(   22  )    Bruno d’Eguisheim  (1O12-1O54), était devenu pape en 1O48, sous le nom de Léon IX. 
L’évidente collaboration de l’homme avec Dieu est un point-clé de la théologie catholique et de  la contestation protestante.  La Réforme ne la nie pas totalement,  mais refuse  d’y voir une œuvre méritoire et salvatrice de l’homme.  Ici, l’abbé Jenn est persuadé que le salut peut dépendre de nos actes,  alors que la pensée protestante  le fait dépendre  de la seule grâce divine, indépendamment des œuvres humaines,  toujours imparfaites  et entachées  de  mal. 
(  23   )      Epître aux Romains, 1/ 1O – 13. 
(  24  )    Reinhard Johannes  Sorge (1892-1916) est un jeune poète allemand né à Berlin. D’abord disciple de Nietzsche, il se convertit au Catholicisme lors d’un voyage à Rome en 1913.  Mobilisé dans l’armée allemande, il est tué dans la Somme en 1916, à 24 ans.  On lui doit des essais dramatiques : Der Jüngling,  Der Bettler.  Il est imprégné d’une mystique de la nature et du cosmos, et un peu sur la ligne de Nietzsche, recherche l’Homme nouveau se sacrifiant pour l’Humanité. 
(  25 )    Actes 25/7 :  « Quand il (Paul) fut arrivé, les juifs qui étaient venus de Jérusalem l’entourèrent et portèrent contre lui de nombreuses et graves accusations, qu’ils n’étaient pas en état de prouver ». 
(  26 )     Joseph Brunissen est né à Niedernai (Bas-Rhin)  le 13 novembre 1884. Il est ordonné prêtre le 25 juillet 191O.  Il est nommé maître d’études  au Collège épiscopal de Zillisheim, puis vicaire à St Pierre le Jeune de Strasbourg. Aumônier militaire pendant la première guerre mondiale, secrétaire et trésorier de l’Evêché dès 1918, chargé de l’organisation des Pèlerinages diocésains, enfin, à partir de 1933, Directeur du Mont Ste Odile à     où il organisa des travaux de rénovation   et  fonda l’Adoration perpétuelle.   Il resta à ce poste jusqu’à sa mort, le 25 juillet 1953.  Il est inhumé au Mont Ste Odile. 
(  27  )     Psaume 79 (8O)/14 :  « Le sanglier de la forêt la ronge,  et les bêtes des champs en font leur pâture ». 
(  28  )     En donnant en exemple ces Etats confédérés, il pense que la solution pour l’Alsace est l’autonomie, au sein d’une Confédération.     
(  29  )     Hitler disparaissait le lendemain, 3O avril 1945. 
 ( 3O )    Dachau, dans la région de Munich, a été le premier camp de concentration nazi ;  il a été mis en place le 2O mars 1933. On a pu y dénombre 31.951 morts. Il a été fermé le 29 avril 1945.  Il accueillait des prisonniers de droit commun, des minorités ethniques.  Il a été agrandi en 1937 pour pouvoir héberger  6.OOO personnes.  Il reçoit alors des « récalcitrants  au travail dans le Reich », des prisonniers politiques et des Juifs.  En 194O, on y compte 1O.OOO prisonniers.   Plus de 4.OOO  prisonniers de guerre soviétiques   y sont exécutés  dès 1941.  Juifs et fonctionnaires communistes y sont exécutés en masse. Comme au Struthof,  on y a pratiqué des expériences médicales cruelles sur les détenus.  Dachau était le centre d’une pléthore  de cent quarante camps desservant des usines d’armement  dans le sud de la Bavière.  Il était surpeuplé en 1944, avec 3O.OOO détenus, parmi lesquels sévissaient des épidémies.  Le 29 avril 1945, le camp est libéré par les unités américaines ; mais les nazis avaient déjà commencé à l’évacuer   fin avril 1945 et envoyé 25.OOO détenus vers le Tyrol.  (Source internet). 
(  31  )    Psaume 118 (119) / 55,  qu’on peut traduire ainsi :   « Au milieu de la nuit, je me lève pour Te parler ». 
(  32  )   Au Mont Ste Odile. 
(  33  )   La traduction  française de la deuxième mise en captivité de l’abbé Jenn  au Camp de Schirmeck puis au Struthof, en 1945,  sera  entamée dans notre mensuel n° 26,  du mois de mai 2O21. 
 
L A    P H R A S E    D U     M O I S : 
«  La vraie joie, c’est de se réjouir des petites choses. » 
(Lucien Jenn,  27 avril 1945).
 
                                                                                                     
La Voix dans le Désert.  Mensuel gratuit du Château d’Argent.
Directrice de publication :  Danielle Vincent.
Editions du Château d’Argent, 185 rue De Lattre de Tassigny,  6816O Ste Marie-aux-Mines.
Mise en page et impression : ZAPA Informatique.
ISSN : 265O-7225.  Dépôt légal :  2e trimestre 2O21.