Musée du Chateau d'Argent

Journal mars 2023

Mensuel du Château dArgent - N° 51 - Mars 2023.
 

Charles de Gaulle : LAlgérie. 

- Première partie - 

Ces numéros, consacrés à la Guerre dAlgérie, sont dédiés à la mémoire de Monsieur Jean-Pierre Bengold, de Ste Croix-aux-Mines, Président des Anciens Combattants, qui vient de nous quitter le 31 janvier 2023.
 
Dans l’histoire de la guerre d’Algérie la confusion est telle, que pour s’en sortir il faut suivre les événements au jour le jour.
 
Tout avait commencé au Maroc, le 11 décembre 1952. Des manifestants nationalistes et communistes avaient égorgé des Français et avaient été abattus par la police. Il y a eu 52 morts à Casablanca. Les leaders ont été arrêtés et le parti communiste marocain interdit. Le sultan Mohammed V est destitué par les Français. A Paris, le ministre d’Etat François Mitterrand démissionne. Il n’accepte pas les contestations nationalistes ni la déposition du sultan : « Qui accepterait, dit-il, que la présence de la France en Afrique du nord soit discutée ? Il sagit dy rester ».
 
L’année suivante, le 23 décembre 1953, René Coty est élu Président de la République française.
 
Celui qui succède à Mohammed V, au Maroc, Mohammed VI ben Arafa, est plus ouvert aux intérêts de la France. Ce qui fait que, par réaction, le terrorisme se développe dans l’ensemble du Maroc, avec, le 25 mai 1954, des attentats à Marrakech.
On est en pleine guerre du Viet-Nam. La France demande l’aide de l’aéronavale américaine, mais les Etats-Unis, craignant une internationalisation du conflit, refusent d’intervenir. La France capitule en mai 1954 et reconnaît l’indépendance du Viet-Nam de Bao-Daï par un traité, le 4 juin 1954.
Presqu’en même temps, le 21 juillet 1954, des accords signés à Genève, mettent fin à la guerre d’Indochine.
Et voici la Tunisie qui se met au diapason de la rébellion marocaine. Le 1er juin, une vague d’attentats contre les colons provoque un renforcement de la présence militaire française et la distribution d’armes aux civils. Mais toutes les tentatives françaises de rétablir l’ordre en Tunisie échouent. Le gouvernement de Pierre Mendès-France essaie d’appliquer une politique d’émancipation progressive des territoires, sous administration française mais, le 31 juillet 1954, il doit finalement reconnaître l’indépendance de la Tunisie. Tout en condamnant, le 4 décembre 1954, le régime instable de la IVe République, le général de Gaulle rend hommage à Pierre Mendès-France.
Avec l’exemple du Maroc, du Viet-Nam et de la Tunisie, l’idée d’indépendance commence aussi à travailler l’Algérie. Les nerfs de la population sont exaspérés par un tremblement de terre survenu le 9 septembre 1954 à Tlemcen (Orléanville), causant un demi-millier de morts.
Dès le mois de novembre, des actions armées de la rébellion se produisent un peu partout.
Le MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques) est dissout le 5 novembre et une guerre de partisans commence vraiment.
C’est pour l’Algérie française que François Mitterrand, alors Ministre de l’Intérieur, intervient : « Nous ferons tout pour que le peuple algérien, partie intégrante du peuple français, se sente chez lui, comme nous et parmi nous » (12 novembre 1954). Il proposera même un peu plus tard, que l’Algérie soit intégrée à la France.
 
Des projets de réforme en Algérie sont approuvés par le Conseil des ministres, notamment l’élargissement du droit de vote aux Musulmans (9 janvier 1955).
En janvier 1955, les actions de la rébellion algérienne se multiplient : dans les Aurès, avec l’Opération Véronique, et à Constantine. Jacques Soustelle est nommé Gouverneur général. Il avait dirigé les Services spéciaux en Algérie dès 1943 et était ministre des Colonies en 1945.
Les problèmes en Afrique du nord provoquent, le 5 février 1955, la chute du gouvernement Mendès-France.
Le 31 mars 1955 est voté l’état d’urgence en Algérie et le rétablissement de la censure.
Une étape importante dans la réflexion sur l’indépendance des colonies est franchie le 24 avril 1955 à la Conférence de Bandung (Ile de Java), avec Ahmed Soekarno, président de l’Indonésie, Nehru, Nasser, Zhou Enlaï. Les participants s’opposent à toute forme de colonialisme et de discrimination raciale, et dénoncent la politique raciale de la France en Afrique du Nord.
Le 21 mai 1955, la France renforce son armée et rappelle les réservistes. Le 29 août, les appelés du premier contingent de 1954 sont maintenus sous les drapeaux. Le 11 septembre, à Paris, en gare de Lyon, des émeutes éclatent parce que les rappelés refusent de partir en Algérie. Un an après, le 26 mai 1956, de violentes manifestations auront lieu contre les départs en Algérie, partout en France. En effet, la loi prévoit que les jeunes seront encore disponibles pendant trois ans, après leur service militaire. Le Ier contingent de 1953 est rappelé : ce sont des hommes de 23 ans, ayant quitté l’armée depuis 18 mois. Ils refusent de partir et la population les soutient. Trains et convois militaires sont arrêtés, mais la Presse se tait.
Le 11 juin, un journaliste français est assassiné au Maroc : Jacques Dubreuil plaidait pour l’entente entre la France et le Maroc. Fin septembre, le sultan du Maroc, Mohamed ben Arafa abdique. (Il reviendra triomphalement le 16 novembre à Rabat ). Des Européens sont assassinés à Oued Zem le 31 juillet et de nouveaux massacres ont lieu, toujours au Maroc, le 20 août. Une pré-reconnaissance de l’indépendance du Maroc, le 6 novembre 1955, à Celle- Saint-Cloud, stipule que « Le Maroc sera indépendant dans linterdépendance librement consentie ». C’est le 2 mars 1956, que la France reconnaîtra l’indépendance du Maroc.
Au mois d’août, les troupes françaises avaient dû évacuer une partie la Libye.
Le 20 juin 1955, des centaines de personnes sont arrêtées en Algérie, par les autorités, dont le secrétaire général du Parti communiste. Au mois d’août, dans le cadre de la répression anti-communiste, le journal l’Humanité est saisi en France.
Une grève générale est organisée en Algérie par le Front de Libération Nationale, le 5 juillet. Lui répond, le 20 septembre, une grève des commerçants européens.
Le 30 août 1955 l’état d’urgence est confirmé en Algérie et les conflits s’étendent à tout le pays. Les postes de commandement, mairies, gares, commissariats et gendarmeries sont bombardés. Dans les villages, les Européens et les Maghrébins francophiles sont massacrés par des paysans, aussi par des femmes. Ces émeutes sont durement réprimées par les forces de l’ordre.
Les parlementaires musulmans se prononcent, le 26 septembre, contre l’intégration de l’Algérie à la France. A l’O.N.U. s’ouvre une session sur l’Algérie, le 27 septembre.
En octobre, l’Assemblée nationale approuve une politique de fermeté en Algérie et vote la confiance au gouvernement.
Plusieurs membres du FLN condamnés à mort, dont le chef Mostafa ben Boulaïd, s’évadent le 11 novembre, de la prison de Constantine.
 
L’année 1956 s’ouvre, le 1er janvier, par la proclamation de l’indépendance du Soudan.
Le 4 janvier, soixante et un députés musulmans de l’Assemblée nationale demandent la reconnaissance d’une nationalité algérienne. En répartie, un « Comité daction et de défense de lAlgérie française » est créé le 14 janvier.
Quelques jours plus tard, des étudiants d’extrême-droite, à Montpellier, interdisent l’accès du restaurant universitaire aux étudiants algériens.
Alors que, début février, le général Catroux est nommé résident général en Algérie, à la place de Jacques Soustelle, des manifestations ont lieu contre Catroux et Guy Mollet. Le mouvement nationaliste modéré des Oulemas rejoint le FLN, suivi le 21 février, par Ferhat Abbas et Ahmed Francis. Le 9 mars, le FLN appelle à une grève des ouvriers nord-africains.
La Tunisie soutient les nationalistes algériens, avec Habib Bourguiba, qui devient président le 9 avril 1956.
Le 1er avril 1956 est constituée l’Union pour le salut de l’Algérie et son renouveau, par Jacques Soustelle, Georges Bidault et André Morice. Une semaine plus tard, soixante-dix mille « disponibles » sont appelés sous les drapeaux en France. Le 18 avril, un « Comité des Jeunes pour la solution pacifique des problèmes dAfrique du Nord », appuyé par la CGT et le Parti communiste appelle à une manifestation à la gare de Grenoble. Les manifestants coulent du ciment dans les aiguillages. Bientôt ce sera du sang : la répression est très dure, avec des grenades offensives lancées par les services de l’ordre. D’autres incidents ont lieu ailleurs. Pierre Mendès-France démissionne, en désaccord avec la politique du gouvernement.
Le 26 mai, la police déploie une vaste opération dans la Casbah, le centre d’Alger : dix-neuf appelés avaient été victimes d’une embuscade, le 18 mai, dans les Gorges de Palestro. Deux membres du FLN : Zabana et Ferradj sont condamnés à mort à Alger, le 19 juin. C’est ce qui prépare déjà, pour dans six mois, la bataille dAlger. Dans la Casbah règne désormais la terreur.
En Egypte, Gamal Abdul Nasser est élu à la présidence de la République le 23 juin.
Un élément non négligeable permettant de comprendre l’option pour l’Algérie française, fermement maintenue en ces années où la volonté d’indépendance s’étend partout en Afrique, est la découverte, le 26 juin 1956, d’un énorme gisement de pétrole au Sahara, à Hassi Messaoud : 1.280 millions de tonnes. Il fait de la France une puissance pétrolière. Cette découverte sera doublée de celle d’un important gisement de gaz naturel à Hass r’Mel, au mois de novembre de la même année.
Dès l’année 1958, le pétrole saharien sera acheminé par oléoduc jusqu’à Toggourt, et par voie ferrée jusqu’à Philippeville. Le 6 février 1958, la première cargaison de pétrole saharien arrive à Martigues.
Le parti communiste algérien se rallie au FLN, le 1er juillet 1956. Une grève générale des Algériens est organisée en France et à Alger. En août, les colons organisent un attentat dans la Casbah : il y aura plusieurs dizaines de morts. En septembre, au Maroc, l’association Présence française est dissoute.
Le 19 septembre, le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) est formé. Toujours en ce mois de septembre, le FLN commence à lancer des bombes dans les cafés européens. Les représailles prennent le nom de « ratonnades ».
Le gouvernement Guy Mollet propose, pour résoudre le problème, le principe suivant : cessez-le-feu, élections, négociations. Mais le FLN exige d’abord le droit à l’indépendance de l’Algérie avant toute négociation.
Le 19 septembre est fondé le Conseil national de la Résistance algérienne (CNRA). Une conférence du Front de Libération nationale se tient pendant 21 jours dans la vallée de la Soumamm.
L’Egypte continue à approvisionner en armes le FLN : le cargot Athos II chargé d’armes est intercepté par les autorités françaises le 16 octobre. Ce même mois, le Maroc et la Tunisie rappellent leurs ambassadeurs à Paris, ce qui entraîne la démission d’Alain Savary, secrétaire d’Etat chargé des relations avec ces deux pays. La Syrie se met aussi de la partie avec de graves incidents anti-français.
Le 22 octobre 1956, un DC3 envoyé par le gouvernement marocain, chargé de chefs FLN, est détourné vers l’aéroport algérien de Maison-Blanche. Rabah Bitat, Mohammed Boudiaf , Hocine Aid Ahmed , Mohammed Khider et Ahmed ben Bella devaient participer à un sommet algéro-maroco-tunisien.
Le 5 décembre, l’armée fait une descente à la Casbah.
 
L’année 1957 s’ouvre avec l’arrivée du général Massu et de la 10e division parachutiste à Alger. C’est le début de la « Bataille dAlger ».
Le 31 janvier, une grève générale organisée par le FLN est levée grâce à l’armée. Cependant, les 9, 10 et 26 janvier, le FLN a organisé des attentats meurtriers. Deux Musulmans innocents ont été lynchés par la foule.
Massu mobilise huit mille parachutistes et recourt à tous les moyens pour être efficace. Le 13 février est arrêté Mohammed Larbi ben Mhidi, membre du comité de coordination du FLN, et le 26 février des responsables du FLN sont arrêtés à Paris.
Les méthodes de Massu commencent à être dénoncées. Témoignage chrétien et l’Humanité font état de tortures pratiquées par le Français en Algérie : « Les Français emploient des procédés qui relèvent de la barbarie nazie », écrit Jean Muller, responsable scout, et mort en Algérie au mois d’octobre 1957. Le général Paris de la Bollardière proteste lui-aussi contre ces méthodes et demande à être relevé de son commandement le 28 mars.
Alors que l’Afrique noire française et Madagascar voient la victoire des nationalistes, le gouvernement français crée une Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels pour lAlgérie, le 5 avril 1957.
Le 22 mai, un convoi de tirailleurs algériens tombe dans une embuscade. Les rebelles sont poursuivis par les parachutistes du colonel Marcel Bigeard.
Le Mouvement nationaliste Algérien (MNA), mouvement rebelle concurrent du FLN, est dirigé par Messali Hadj. Il y a des règlements de compte entre les deux formations. Un raid du FLN, le 30 mai 1957, près de M’sila fait 301 morts.
Le 31 mai, le gouvernement Guy Mollet démissionne. Il avait tenu quinze mois et vingt et un jours, et avait été le plus long de la IVe République.
Début juin, le FLN et l’armée française s’accusent mutuellement d’avoir massacré 303 habitants du village de Melouza.
Le 10 juin, Maurice Audin est arrêté à Alger ( 1 ) . Deux jours plus tard, c’est le tour de Henri Alleg, militant communiste ( 2 )
Une émeute éclate, ce 12 juin, lors des obsèques de victimes d’un attentat au casino de la Corniche.
Sur l’initiative d’André Morice, ministre de la Défense, on commence à construire, en juin 1957, la ligne Morice, destinée à isoler l’Algérie de la Tunisie. Un verrouillage électrique, un champ de mines et de radars vont assurer la frontière.
Aux Etats-Unis, le 2 juillet 1957, le sénateur John F. Kennedy demande que le gouvernement intervienne en faveur de l’indépendance de l’Algérie.
L’autonomie est accordée au Nigéria, par la Grande-Bretagne, le 30 juillet de la même année.
La décolonisation s’étend à l’ensemble des anciens empires français et britanniques.
Le 25 juillet, la monarchie est renversée en Tunisie. Habib Bourghiba devient le premier président de la nouvelle république. Il reçoit des armes des Etats-Unis et de la Grande Bretagne, provoquant l’indignation française. Il compte aussi envoyer des armes aux rebelles algériens.
La Syrie, quant à elle, se tourne vers la Russie et en attend une aide économique et militaire . Le sultan Mohammed V devient roi du Maroc le 18 août 1957.
En Algérie, le 8 octobre, un stock de bombes explose dans la Casbah, faisant 28 morts. Le 17 octobre, une unité saharienne se révolte et massacre ses officiers.
Le 5 novembre, Félix Gaillard devient président du Conseil. Le jour d’après, un accord est conclu entre la France et le chef rebelle algérien Bellounis, hostile au FLN.
Le 7 novembre, une équipe de recherches pétrolières est massacrée au Sahara par des rebelles.
Le 10 décembre à New-York, l’O.N.U. reconnaît implicitement la représentativité du FLN.
La conférence de solidarité afro-asiatique s’ouvre au Caire, le 26 décembre 1957, avec la participation de l’Union soviétique.
 
La Yougoslavie elle-aussi livre des armes au FLN : le 18 janvier 1958, le navire yougoslave Slovenia, chargé d’armes, est intercepté. Le même jour, un accrochage se produit à Colomb-Béchar entre les armées marocaine et française. En janvier 1958 également, l’Union fédérale des Etudiants musulmans dAlgérie est dissoute par le gouvernement français.
Une loi-cadre, le 31 janvier, instaure des Conseils territoriaux de communautés, avec un Collège unique.
Mi-janvier, des batailles entre le FLN et l’infanterie française se poursuivent aux frontières. 15 fantassins du 3e R.I. venant de Sakiet en Tunisie, sont tués par 330 fellaghas. A partir de la Tunisie, le FLN tire aussi sur des avions de reconnaissance français. Trois semaines plus tard, l’aviation française bombarde Sakiet. Des camions de la Croix-Rouge sont atteints. Il y a 69 civils tués et 130 blessés. Le président Bourguiba rappelle son ambassadeur à Paris et exige l’évacuation de la base navale de Bizerte par l’armée française. L’opinion internationale reproche à l’armée française d’avoir attaqué les rebelles algériens dans un pays étranger.
Le 1er février 1958, l’Egypte et la Syrie fondent la République arabe unie.
Un événement important est, le 27 mars 1958, la saisie du livre d’Henri Alleg : La Question, qui dévoilait les méthodes et les tortures pratiquées par l’armée française en Algérie. Il ne fallait pas que l’opinion publique le sache.
Le 15 avril, le gouvernement de Félix Gaillard démissionne : c’était le 23e gouvernement depuis 1945. L’instabilité politique chronique d’avant guerre, tellement dénoncée par de Gaulle, persistait dans cette IVe République.
Le FLN attire même dans les rangs du sport : 9 footballeurs français rejoignent le FLN en ce mois d’avril 1958. En réponse, le 26 avril, des manifestations en faveur de lAlgérie française ont lieu à Alger.
Après une intervention de Ferrat Abbas, qui se montre favorable à une négociation, le général Salan envoie, le 9 mai, un télégramme au président Coty pour le mettre en garde contre l’abandon de l’Algérie. Ce même jour, trois militaires français sont exécutés par le FLN.
Le 13 mai 1958, Alger se soulève. La foule envahit le siège du gouvernement. Les parachutistes fournissent des camions aux émeutiers. Paris confère les pleins pouvoirs au général Salan, qui, sous les huées de la population, les transmet au général Massu. Un Comité de Salut public est créé. Pierre Pflimlin devient le nouveau président du Conseil et institue pour trois mois l’état d’urgence.
L’armée et les partisans de lAlgérie française en appellent à de Gaulle pour former un gouvernement de salut public.
 
Le 19 mai 1958, le général de Gaulle tient une conférence de presse au Palais d’Orsay.
En voici les grandes lignes :
Il parle d’une très dure épreuve, ces quatre dernières années, qui menace de devenir une crise nationale extrêmement grave.
A son habitude, le conférencier rappelle les grandes lignes du passé, à savoir tout ce que la France a accompli en Afrique du Nord et qui constitue un « capital moral », sur lequel, espère le général, l’avenir pourrait être construit.
Si les choses en sont arrivées là, ce n’est pas la faute à l’Algérie, mais bien aux gouvernements de la IVe République, à leurs carences et surtout aux querelles des partis. « Si les choses continuent de la façon dont elles ont été engagées, nous savons tous que le régime, tel quil est, pourra faire des programmes, manifester des intentions, exercer des efforts en sens divers, mais quil nira pas à des aboutissements. Nous risquerons que ces aboutissements nous soient un jour imposés du dehors, ce qui serait sans doute la solution la plus désastreuse possible » ( 3 ).  Il ajoute plus loin : « Dans le régime tel quil est, aucune valeur ne peut réussir » ( 4 ).
De Gaulle se présente comme un homme seul, ne se confondant avec aucun parti, aucune organisation, et n’exerçant aucune action politique. Il se dit prêt à assurer les pouvoirs de la République.
En Algérie, il y a, dit-il, une population qui est en guerre depuis des années, avec des meurtres et des attentats. Cette population constate qu’à Paris on ne comprend pas et on ne peut résoudre ses problèmes. « Elle voit à Paris les crises succéder aux crises, limpuissance à limpuissance, les mêmes représentants des mêmes partis se mélanger indéfiniment, sans quil
en sorte jamais rien de net, de précis, defficace. Comment veut-on quà la longue, cette population ne se soulève pas ? » ( 5 ).
Le général évoque les cris de « Vive de Gaulle ! » qui ont retenti le 15 mai au Forum d’Alger. Ici perce l’idéalisme dangereux, l’angélisme devrait-on dire, sur lesquels va planer jusqu’au bout sa pensée, et le tiendront dans l’illusion, loin des réalités : « (Les Algériens) donnent en ce moment, le spectacle magnifique dune immense fraternisation, qui offre une base psychologique et morale aux accords, et aux arrangements de demain, base infiniment meilleure que les combats et les embuscades. Enfin, ils donnent la meilleure preuve que les Français dAlgérie ne veulent pas, ne veulent à aucun prix se séparer de la Métropole. Car on ne crie pas : Vive de Gaulle ! quand on nest pas avec la Nation » ( 6 ).
Ce qu’a fait l’armée - voir ci-dessus… - c’était pour « empêcher que le désordre sétablisse ». Evidemment. «  Elle la fait et elle la bien fait » ( 7 ). « Elle est en contact étroit avec la population et partage ses sentiments ». Il souhaite qu’elle reste unie (elle ne l’est sans doute déjà plus !) et exemplaire.
Il craint que les communications soient coupées entre la métropole et l’Algérie. Ce serait au détriment des Français qui sont là-bas. Il faut absolument empêcher que l’Algérie s’écarte de la France, « ce quelle ne veut absolument pas, et la France non plus » ( 8 ).
Au cours des années précédentes, de Gaulle avait mainte fois parlé de l’Algérie.
En 1954, il se réjouit de la découverte, en Afrique du Nord, d’importants gisements de pétrole et de minerais qui abondent « dans notre Sahara » et peuvent « nous conférer, un jour, une puissance économique de premier rang » ( 9 )
Critiquant vivement l’OTAN, il pense que la France sera sous contrôle militaire et politique dans son action en Afrique du Nord :; « Dans le système appelé lOTAN, la France ne dispose pas des moyens dagir par elle-même ; or, cest là lapanage de sa souveraineté. Elle place ses armées, ses bases, ses communications directement sous une autorité qui nest pas la sienne. Elle est dans une situation de dépendance qui met, en fait, sous contrôle étranger toute action militaire et, par extension, toute action politique quelle entreprend dans des territoires qui lui sont, pourtant, rattachés : ainsi, hier et aujourdhui, de lIndochine ; ainsi, demain, de lAfrique du Nord. Et que serait-ce dans le cas dun conflit ! »
( 10 ).
Fin juin 1953, dans une conférence de presse tenue à l’Hôtel Continental, il répond à la question suivante d’un journaliste : « Que pensez-vous de la situation en Afrique du Nord ? Quelle est la politique qui, suivant vous, devrait y être faite ? »
« Il y a deux faits auxquels personne ne peut rien », répond le conférencier.
« Le premier, cest la passion nationaliste que lébranlement général du monde a, presque partout, fait flamber et qui se fait sentir, aussi, en Afrique du Nord française.
Le second, cest laffaiblissement qua, pour un temps, subi notre puissance et qui influs sur les esprits… » ( 11 ).
De Gaulle rappelle que la France a ouvert ses territoires d’Outre-mer à la civilisation, selon l’idéal d’« Union française », défini à la conférence de Brazzaville. L’œuvre accomplie là-bas est magnifique. Ces territoires, s’ils étaient séparés de nous, « seraient ou bien la proie du désordre, ou bien les victimes dune dictature totalitaire ».
Cette Union française pourrait prendre, suivant le cas, une forme de fédération entre Etats, par exemple entre le Maroc, la Tunisie et la France, soit « celle de lintégration dun territoire ayant son caractère à lui, par exemple lAlgérie, dans une communauté plus large que la France, avec toute la participation politique et administrative à fournir par les Algériens… ».
Déjà au cours de la 2e guerre mondiale, les premières mesures furent prises pour l’Afrique du Nord : le droit de citoyenneté octroyé en 1944 aux musulmans d’Algérie ; leur intégration dans les conseils généraux et municipaux, ainsi qu’à l’Assemblée nationale ; l’institution d’une « entité algérienne » ; « lamicale collaboration »  établie entre de Gaulle, alors président du gouvernement provisoire, avec le Maroc et la Tunisie. « Au cours de ces mêmes années, la France avait pu voir linoubliable participation des Algériens, des Tunisiens, à son redressement militaire et sa libération. Le moins quon puisse dire, cest quune base de départ politique et psychologique avait été établie pour marcher vers lassociation » ( 12 ).
Il déplore que le régime actuel n’est pas capable de mettre en place une telle solution. De Gaulle craint que,  d’étape en étape, les divers territoires de l’Afrique du Nord soient « soustraits à lUnion Française, pour arborer, en dehors delle, des formules fictives dindépendance ». Alors «  ils tomberaient, comme jadis, dans lanarchie politique et, au point de vue économique, dans tel ou tel système dexploitation internationale » ( 13 ).
Plus loin, dans la même Conférence de presse, il affirme que « le sort de lEurope est lié directement à ce quil advient de lAfrique » ( 14 ).
Dans une allocution du 24 juin 1956, de Gaulle revient sur les possibilités qu’offre le Sahara :
La France est « en plein essor économique » (…) ; elle « marche vers la puissance atomique », et son ambition est « de rendre fécond le Sahara » ( 15 ).
 
Ainsi, tout en ayant conscience que, dans beaucoup d’Etats africains, les idées d’autonomie se font de plus en plus insistantes, le général de Gaulle reste attaché à l’Algérie française et veut continuer à moderniser ce pays. Ce n’est pas seulement par tradition et fierté française, ni par égard pour le peuple d’Algérie, mais c’est surtout par intérêt  pour les énormes possibilités économiques du Sahara dont pourrait bénéficier la métropole.
A cette époque, jusque dans les premiers mois de 1958, il ne semble pas prendre la mesure du problème qui secoue l’Algérie. Il relativise, pense que, même grave et dangereuse, la crise est passagère. En 1958, un mois avant d’être appelé au pouvoir, il croit toujours que l’Algérie ne veut en aucun cas se séparer de la France.
 
Le revirement à 180° du général De Gaulle, président du Conseil, puis de la République, et la nouvelle politique algérienne, à partir du 31 mai 1958, ce sera le thème de notre prochain numéro.
 
Danielle Vincent.
 
N O T E S :
 
( 1 ) Maurice Audin : né le 14 février 1932 à Béja, en Tunisie, de nationalité française, il était assistant en mathématiques à l’université d’Alger, et membre du Parti communiste algérien. Il militait pour l’indépendance de l’Algérie. Le 11 juin 1957, au cours de la bataille d’Alger, il est arrêté par le 10e régiment de parachutistes du général Massu et meurt sous la torture le 21 juin 1957. Nous citons ici Wikipédia, qui lui consacre un important article :
« Pour ses proches ainsi que pour nombre de journalistes et dhistoriens, notamment Pierre Vidal-Naquet, il est tué pendant son interrogatoire par des parachutistes français.
Cette thèse a été longtemps rejetée par larmée française et lEtat français, jusquà ce que le général Aussaresses affirme avoir donné lordre de le tuer au couteau pour faire croire à un meurtre par des Algériens. »
En 2014, François Hollande est le premier à reconnaître officiellement la mort en détention de Maurice Audin, « sans toutefois rendre publics les documents le confirmant. En 2018, le président E. Macron reconnaît officiellement les responsabilités de lEtat français et de larmée française dans cet assassinat ».
Wikipédia écrit aussi que, pour « lopération dite bataille dAlger, la 10e division parachutiste du général Massu détient les pouvoirs de police dans la zone dAlger. Cette unité se livre massivement à la torture et aux exécutions sommaires. Paul Teitgen constate 3.024 disparitions en 1 an dans les cinq départements de la région algéroise ».
Cette immense affaire d’Etat, relatée sur Wikipédia, mérite évidemment bien plus que les quelques lignes que nous lui consacrons ici. Nous aimerions y revenir plus tard, après avoir réuni les documents suffisants.
 
( 2 ) Harry Salem, dit Henri Alleg, est né le 20 juillet 1921 à Londres. Ses parents étaient juifs russo-polonais. Journaliste français, membre du PCF et directeur du quotidien interdit : Alger républicain , il a pu parler une dernière fois avec Maurice Audin sur son lieu de torture.
Il est arrêté le 12 juin 1957 par les parachutistes de la 10e division de Massu, au domicile de Maurice Audin qui était son ami. « Il est séquestré un mois à El-Biar, où il est torturé lors de plusieurs séances, puis subit un interrogatoire mené après une injection de penthotal, utilisé comme sérum de vérité. Il est aussi torturé avec les életrodes, la torture par leau, pendaison et combustion avec torches et cigarettes » (Wikipédia). Ses bourreaux étaient les lieutenants André Charbonnier et Philippe Erulin, sous les ordres du capitaine Marcel Devis. Il est ensuite transféré dans différentes prisons d’Alger. C’est là qu’il écrit et cache ses récits de torture, parus plus tard dans son livre célèbre : La Question. Son épouse parvient à le faire publier aux Editions de Minuit, en 1958. L’ouvrage est immédiatement interdit. Il est alors réédité deux semaines après, en Suisse, par Nils Anderson et va partir clandestinement à 150.000 exemplaires.
Trois ans après son arrestation, Henri Alleg est inculpé d’ « atteinte à la sûreté extérieure de lEtat », et condamné à dix ans de prison. « Les officiers quAlleg a accusés ont tous nié ». Incarcéré à la prison de Rennes, il s’évade et, aidé par des militants communistes, il rejoint la Tchécoslovaquie et revient en France après les accords d’Evian. Il retourne ensuite en Algérie et participe à la renaissance du journal Alger Républicain. En 1965 il revient en France et devient secrétaire général du journal L’Humanité en même temps que membre du Pôle de renaissance communiste en France.
En l’an 2000, il cosigne «  lAppel des douze pour la reconnaissance par lEtat français de la torture », avec notamment Josette Audin, (veuve de Maurice), Simone de la Bollardière (veuve du général), Gisèle Halimi, Germaine Tillion, Pierre Vidal-Naquet (historien et auteur de : La Torture dans la République).
En 2005, Henri Alleg cosigne aussi une lettre au Président Jacques Chirac, demandant à l’Etat français de reconnaître l’abandon des Harkis en 1962.
Henri Alleg est décédé le 17 juillet 2013.
Parmi ses ouvrages :
La Question (Lausanne, éd . La Cité, 1958 ; Alger, éd. Tahma, 1992).
Mémoire algérienne : Souvenirs de luttes et d’espérances (Paris, éd.Stock,2005).
La guerre d’Algérie, 3 vol. ( Paris, éd. Delga, 2012).
 
( 3 ) Les éditeurs des Discours et messages ajoutent en note à cet endroit : « Les bons offices anglo-américains que la France a dû accepter après le bombardement de Sakkiet, en février 1958, ont montré le risque dinternationalisation que comporte la prolongation de la guerre dAlgérie » : Ch. De Gaulle, Discours et messages, tome V. Paris, éd. Plon, 1970, p. 5, note 1.
 
( 4 ) op.cit. p. 9.
 
( 5 ) op.cit. p. 7.
 
( 6 ) op.cit. p. 7.
 
( 7 ) op.cit. p. 8.
 
( 8 ) op.cit. p. 8.
 
( 9 ) Discours prononcé à Paris le 4 décembre 1954. Dans : Discours et Messages, op.cit. vol. IV, p. 301-302.
 
( 10 ) loc.cit. IV, p. 303-304.
 
( 11 ) op.cit. IV, p. 315.
 
( 12 ) op.cit. IV, p. 316.
 
( 13 ) op.cit. IV, p. 317.
 
( 14 ) op.cit. IV, p. 324.
 
( 15 ) op.cit. IV, p. 327. 
 
L A   P H R A S E   D U   M O I S  
 
« Le sort de lEurope est lié directement à ce quil advient de lAfrique »
 
Charles de Gaulle .
( Conférence de presse tenue à l’Hôtel Continental, le 30 juin 1955). 
 
Château dArgent : transmettre le savoir.
  
Vient de paraître, sur un sujet analogue : 
Abbé Lucien JENN :
Journal de captivité. Les camps français de Schirmeck et du Struthof en 1945.
Traduction, notes et commentaires : Danielle Vincent.
Ste Marie-aux-Mines, éditions du Château d’Argent, 2022, 229 pages.
Vente en librairie : Wackenheim et Espace culturel zone Nord (Sélestat), Librairie Oberlin (Strasbourg), Trait d’Union (Barr), Librairie Prangère (Ste Marie-aux-Mines). 
 
Comme nous venons de le voir, il ny a pas eu que la « barbarie nazie », mais aussi la barbarie française, lors de lépuration et de la Guerre dAlgérie.
  
La Voix dans le Désert. Mensuel gratuit du Château d’Argent.
Directrice de publication : Danielle Vincent.
Editions du Château d’Argent, 185 rue de Lattre de Tassigny, 68160 Ste Marie-taux-Mines.
Mise en page et impression : ZAPA Informatique.
ISSN : 2650- 67225.
Dépôt légal : 1er trimestre 2023.