Musée du Chateau d'Argent

Journal mars 2021

L A  V O I X   D A N S   L E   D E S E R T 
Mensuel du Château d’Argent - N° 24 - Mars 2021

 

 JOSEPH   ROSSE :      JOURNAL DE MON EXIL

(2 décembre 1944  -  2 février 1945).

- III -

(Suite de  LA  VOIX  DANS  LE  DESERT,  n° 23,  février 2O21) 

Journal meines Exils. Tages- und Tatsachenbericht von Joseph Rossé, vom 2.12.1944, am Tage seiner vorgesehenen Verhaftung durch die Gestapo, bis am 2.2.1945, Tag des Befreiung von Colmar, nachdem er sich selbst dem Préfet Fonlupt stellte.
(Fonds Rossé de la Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg. Première publication en allemand par Jean-Jacques Ritter, dans : Cahiers Joseph Rossé n° 2, automne 2O19, pp.8-46).
 
Traduction française, introduction et notes par Danielle Vincent.
 
Joseph Rossé se cache dans la maison de Madame Sittler, docteur en médecine, 26 rue des Têtes à Colmar. Le couple Sittler reçoit parfois des amis à table, qui commentent les événements et les drames des villages environnants, victimes des combats de la Poche de Colmar. Le Dr Sittler a la confiance de la Gestapo et peut, sans éveiller de soupçons, venir en aide, de mainte façon, à beaucoup de personnes en difficultés. Circulant partout, Madame Sittler apporte des nouvelles chaque jour, qui sont saisies sur le vif par son protégé.
Parfois aussi certains amis viennent le voir en grand secret, et lui racontent les derniers potins. Ces informations sont transcrites souvent avec un apparent détachement, et même avec humour. L’ancien enseignant et rédacteur de presse se révèle par son sens du détail, la clarté et la précision du style, le souci constant d’objectivité.
Il ne cherche pas à plaire, n’épargne personne et se garde de prendre parti pour l’un ou l’autre camp en présence. Il n’hésite pas à révéler les abus et exactions dont il entend parler, ceux des Allemands, des Américains ou des Forces Françaises de l’Intérieur, ni à déplorer la situation économique et militaire où se débat toujours la France.
Il doit se douter que ses lignes tomberont dans certaines mains. Sincères et sans apprêt, on dirait qu’il ne pense même pas qu’elles puissent être utilisées contre lui, quel que soit le camp vainqueur.
Il semble cependant que ce journal soit resté au fond d’un tiroir pendant des années, et que personne n’ait songé à le produire au procès de Nancy, le 29 mai 1947, dans sa version originale, ou en traduisant certains passages, étant donné que les juges ne savaient pas l’allemand (1). Son biographe, Michel Krempper, a relevé, dans son ouvrage : Aux sources de l’autonomisme alsacien-mosellan (éd.Yoran, 2O15, p. 343), que les pièces à charge faisaient défaut.
Or le sentiment anti allemand de Rossé est visible à chaque page. Son Journal, s’il avait été connu lors de son procès, aurait pu servir aussi à sa décharge : les accusations de collaboration avec l’ennemi et de volonté de nuire à la défense nationale ne se justifient ici d’aucune façon.
Reste cependant, que son hostilité à l’encontre des Alliés et son option inchangée pour l’autonomie de l’Alsace y sont trop évidentes. Mais, lors du jugement de Nancy, en 1947, ce n’est pas pour cela que Joseph Rossé a été condamné.
 
Vendredi le 12 janvier 1945 - Le nouveau bourgmestre (Oberbürgermeister) de Colmar, Schmidt, est un Alsacien de vieille souche, qui quitta l’Alsace en 1918, arriva comme quatrième maire de Strasbourg (Bürgermeister) et qui a maintenant pris la succession de Manny (2). Il semble être un homme très jovial, selon l’ancien secrétaire en chef Ruscher, et, depuis les 14 (sic) jours qu’il est ici, a déjà passé 2 jours à la chasse. Une des premières mesures qu’il a prises a été de supprimer l’interdiction de fumer, décrétée par Manny.
Hier, Zimmerbach, Eguisheim, Houssen et Wettolsheim ont été bombardés. Il y a eu 6 morts à Eguisheim et 3 dans les deux autres communes.
A partir de Colmar, le secteur de Wintzenheim est de plus en plus canardé. Les Alliés se battent de façon accrue pour remporter la vallée de Munster, où ils avancent petit à petit. Ils semblent vouloir contourner Colmar qui, par cette tactique, est fortement éprouvée …
Vogel et les autres chefs de district (Ortsgruppenleiter) sont entraînés quotidiennement au Fronholtz à l’usage du Panzerfaust (3) et d’autres armes. On va bientôt les fourrer dans un vrai uniforme de soldat. Ce sera le résultat d’un processus normal, que chaque individu sensé a pu voir venir…
L’offensive allemande en Alsace du nord et en Lorraine s’est intensifiée et maintenant tire à sa fin. Ils sont arrivés jusqu’à la frontière nord de la forêt de Haguenau. Parallèlement, les Allemands ont réussi à avancer entre l’Ill et le Rhin jusqu’à Kraft, qui se trouve à environ 15 km au sud de Strasbourg. Mais c’est un si mince avantage, un étroit couloir, qu’il ne pèse pas dans la balance.
 
Samedi, le 13 janvier 1945 - La nuit dernière, Wintzenheim a été fortement bombardée ; il y a eu d’importants dégâts et près de 2O morts. L’orphelinat de la Croix de Pierre a aussi été mitraillé mais heureusement, les obus ne sont tombés que dans la grange…
Les Allemands du Reich, qui doivent se trouver maintenant à Colmar, passent presque tous la nuit dans l’ancien hôpital. Celui-ci est fortifié de tous côtés et semble devenir la citadelle et le noyau de la défense de Colmar. Quand on saura ça de l’autre côté, ce quartier de la ville devra compter avec d’intenses bombardements. Le fameux Pyschlaut (4) aussi, passe ses nuits là-bas et non à l’hôpital.
A Turckheim, le Dr Arnold est décédé. On ignore si c‘était par accident ou par suicide ; car il avait dénoncé le Dr Fels, qui a été expulsé. Le Dr Arnold aurait été puni en cas de retour des Français.
A Horbourg, le fameux restaurateur Schmitt, ancien chef des pompiers et importante figure des Radicaux est également parti en Allemagne. Il était aussi un délateur et craignait les justes représailles.
Le retour des chefs de district (Ortsgruppenleiter) (5) de Baden se fait toujours plus au détriment de la population alsacienne ; en effet, ces individus contribuent, par leur connaissance des personnes et des lieux, à l’application de mesures auxquelles la population s’oppose de toutes les façons. Par exemple, à Jebsheim, 4 jeunes gens, qui s’étaient cachés pour ne pas devoir jouer au soldat, ont déjà été pris à cause des renseignements fournis par le chef de district qui est de retour…
Le chef de district d’Ostheim, Bechbuehler, qui est revenu, a été si mal reçu par les habitants de sa commune, qu’il a disparu sans laisser de traces.
 
Dimanche, le 14 janvier 1945 - Les bombardements inutiles ont fortement refroidi l’enthousiasme pour les Américains et les Français. Des cercles de plus en plus larges avouent que l’Alsace ne peut attendre de salut ni des Allemands ni des Français, mais ne peut compter que sur elle-même. C’est pourquoi, toujours plus d’Alsaciens font cette prière : « Seigneur, garde-nous de nos libérateurs ; Seigneur, libère-nous de nos protecteurs ».
Hier, la rue de Fribourg a été durement bombardée ; le combat pour la sortie de la vallée de Munster s’accentue et se renforce constamment… Le Courrier de Colmar invitait hier son personnel à accepter de suite un autre travail…
J’insiste toujours sur l’idée que les Alsaciens, qui ont opté pour le régime nazi, vont bientôt reconnaître qu’ils ne s’y trouveront jamais bien. Ce que j’entends dire par ces Alsaciens-là me conforte dans ces prédictions. Ainsi par exemple, l’avocat Wicker, le chef du Front du Travail (Arbeitsfront), disait : « on se sent tellement déraciné !...»
Mme Dr S. disait hier soir que l’avocat Irrmann, maire de Wintzenheim, avait joué un très vilain rôle pendant toutes ces années, en tant qu’homme de confiance et informateur de la Gestapo, et ne pourra en aucun cas rester ici, car mal lui en prendra… René Gruecker est revenu de Labaroche à Colmar. Il affirme que, d’un point de vue stratégique, il n’était pas utile d’évacuer cette localité. L’armée n’a ordonné cette évacuation que pour pouvoir pénétrer dans les maisons abandonnées et s’emparer des vivres qui y étaient stockées…
 
Lundi, le 15 janvier 1945 - La récente offensive allemande nous apprend des choses sur la politique menée par les Américains et les Français dans les parties de l’Alsace qu’ils ont occupées.
En général, ils semblent avancer avec circonspection. A Mulhouse, c’est Wicky qui est de nouveau maire, et à Strasbourg, Naegelen. (6). Il paraît qu’à Mulhouse, jusqu’à 12 personnes ont été condamnées à mort, et plusieurs d’entre elles par contumace, comme par exemple l’avocat Hascher. On dit qu’à Ribeauvillé Auguste Sipp a été exclu du conseil municipal.
La commune de Boofzheim a connu un mauvais sort ; elle a été reprise vendredi. Les Allemands affirment que la population civile a tiré hors des caves. Mais ce n’est sûrement pas vrai ; c’étaient des soldats français. Malgré tout, les hommes entre 16 et 6O ans ont dû se présenter samedi matin et ont été conduits à Colmar, où ils sont astreints, depuis, aux travaux de fortification dans les premières lignes ; à Ingersheim, ils ont eu hier des blessés…
Hier, un obus non éclaté (Blindgänger) est tombé dans la ville et a arraché la tête d’un enseignant nommé Hilt…
Des groupes séditieux ont été évacué hier des écoles colmariennes…
Lors de l’occupation de Strasbourg par les Allemands, le conseil municipal dans son entier a réussi à se sauver ; donc aussi Roehn, Schupfel, Gaedecke, etc… Banngraf de l’administration des Ecoles s’est également sauvé.
Mueller, Fuss et Heidelberger sont arrêtés.
Haug, le directeur de l’Ecole supérieure de Haguenau est l’homme de confiance de la Gestapo à Koenigsfeld…
Hilt était professeur des Arts et Métiers. Il était assis sur une chaise à côté d’une collègue. On n’a plus retrouvé sa tête, malgré toutes les recherches.
Elle semble avoir été déchiquetée en mille morceaux. Son cadavre était resté sur la chaise sans la tête, et a été amené ainsi à l’hôpital et enterré…
 
Mardi, le 16 janvier 1945 - Les circonstances ne sont pas favorables en France. Ces jours-ci, une interdiction générale de déplacement pour les civils a été promulguée. Seuls les militaires ont encore le droit d’utiliser le train. La pénurie de charbon et les destructions du réseau ferré sont probablement très importants.
De plus, ces jours-ci, les Français de 2O et 21 ans ont été mobilisés. Apparemment, on a besoin, en face, d’un grand nombre de nouveaux soldats pour combler les trous qui se creusent journellement…
Selon un avis public du maire, il y aura de nouveau du gaz dès demain, mais seulement entre 11 et 13 heures…
Comme on l’a entendu dire, tous les bureaux administratifs etc… du… quartier de Colmar doivent être déménagés, car on prévoit là-bas de forts bombardements.
Dans ce contexte, le nouveau bourgmestre (Oberbürgermeister) a, paraît-il, ordonné une réorganisation des 3 cliniques confessionnelles. D’après lui, il s’y trouve des personnes qui ne sont pas si malades que ça pour devoir être hospitalisées, mais qui ne restent là que par accointance religieuse. Celles-ci doivent en être expulsées pour faire de la place.
Les jeunes Alsaciens qui, il y a 8 jours, étaient arrivés dans un camp de formation militaire, ont maintenant été transférés à Ulm. Ils vont certainement être bientôt mobilisés et enrôlés dans l’armée…
Turckheim est fortement bombardé depuis quelques jours. Il paraît qu’en un seul jour, il y a eu 4O morts.
 
Mercredi, le 17 janvier 1945 - J’ai entendu qu’une délégation de FFI (7), donc des terroristes ainsi nommés, avait rendu visite à l’abbé Zemb, et à cette occasion, il a aussi été question de moi ; c’est pourquoi j’ai prié Zemb de venir me trouver pour que je puisse recueillir des renseignements de première source. Il est venu me voir en civil cet après-midi vers 4 heures. D’après ce qu’il m’a dit il ressort que :
- Il est vrai que les militants des cercles français se sont montés en organisation de FFI dans l’Alsace non occupée. Leur chef doit être l’Abbé Vuillemin, vicaire à Zimmerbach. Ce jeune homme a été, il y a quelques années, renvoyé du Collège de Zillisheim à cause de son incompétence. De là, il est allé dans une paroisse vacante en France, et a fait ses études là-bas où l’on est moins exigeant. Quand la guerre a éclaté, il a été ordonné, bien qu’il n’ait eu que quatre années de séminaire derrière lui. C’était à condition qu’il retourne au séminaire une fois la guerre finie, et ce, pour un an encore. Puis il est devenu soldat. A l’armistice, il ne pouvait ou ne voulait plus retourner en France et obtint le poste de vicaire à Zimmerbach, sous la direction du curé de Walbach. Ce Vuillemin se sent appelé, à présent, à jouer un rôle important en politique, et paraît être le chef des FFI. Lors d’un discours, lundi dernier, chez Zemb, il était accompagné de 2 messieurs dont l’un, l’ingénieur Brueckner, est le premier directeur provisoire de la Soierie d’Art de Colmar.
- La FFI ne veut pas s’engager militairement. En réalité, elle ne prétend agir efficacement que lorsque le pays sera occupé, pour alors répandre partout son influence et superviser toute l’administration. Il ne doit y avoir ici qu’1 seul préfet. En outre, tous les postes doivent être occupés par des gens de confiance des FFI. Ils ont des idées excentriques, par exemple, qu’après l’occupation, tous les employeurs devront garder leurs ouvriers et employés, et les payer, qu’ils aient ou non du travail ; tous les entrepreneurs devront remettre en totalité les bénéfices qu’ils ont faits pendant la guerre, plus précisément : la moitié à l’Etat et l’autre moitié aux FFI. Et ne serait rendu public que ce qu’ils auraient ratifié… Vuillemin dit que dans leur FFI, les Communistes se font tout petits. Il est intéressant d’apprendre que Vuillemin a affirmé que, grâce à leurs espions et personnes de confiance, les FFI ont les meilleurs rapports avec la Gestapo, et savent d’avance ce qui se passe là-bas. C’est ainsi que, par exemple, Vuillemin avait averti le curé Oberlechner avant son arrestation et l’a incité à se cacher. Celui-ci ne l’a pas pris au sérieux et a, de ce fait, été arrêté.
- Les FFI contactent déjà les industriels et leur proposent de mettre à la disposition de la population civile d’éventuels stocks de marchandises : ainsi, par exemple, H.Stoffel dans l’entreprise Hertzog de Logelbach. Vuillemin affirme que les FFI ont le grand mérite de faire que l’approvisionnement de la population colmarienne s’effectue à peu près correctement ; ils aident l’office municipal de l’alimentation à trouver des vivres et des stocks.
Vuillemin dit que son organisation marche brillamment à Strasbourg, alors qu’elle a totalement capoté à Mulhouse. C’est pourquoi il y a eu là-bas de graves excès. La FFI est mal disposée envers le curé Oberlechner. Elle lui reproche de n’être pas resté à Mulhouse, mais d’être retourné à Colmar en se faufilant entre les 2 fronts. Oberlechner, quant à lui, a été arrêté pour la 2e fois, parce qu’une Française, qui lui avait été recommandée par les propriétaires de l’Hôtel Europe, et qui était en réalité une espionne, avait été cachée par lui pendant 1O jours, et en avait reçu des conseils pour s’enfuir en Suisse – ce qui lui a réussi. Par bonheur, lors de son arrestation, il n’a pas pu être confronté à cette personne, et il a donc pu raconter ce qu’il voulait pour obtenir sa libération. (Le fait que l’espionne était parvenue à se sauver en Suisse, Oberlechner l’a appris lors de son interrogatoire, par la secrétaire, pendant que l’agent de la Gestapo était appelé au téléphone ; cette secrétaire était une ancienne élève d’Oberlechner). Vuillemin dit qu’Oberlechner sera de nouveau arrêté et prétend l’avoir averti ces jours-ci.
La délégation est venue chez Zemb dans un double but : 1. Vuillemin s’est d’abord extériorisé à mon sujet. La FFI sait que j’ai achevé 2 brochures, l’une concernant en général la cause de mes amis, et une deuxième pour ma défense personnelle. La première a été imprimée. Ils savent, paraît-il, où elle se trouve. Zemb avait contribué à la rédaction. Vuillemin dit qu’ils en ont un exemplaire. Mais il a demandé à Zemb – et c’était la raison essentielle de sa visite – de lui procurer un exemplaire de la brochure, afin de pouvoir bien s’en inspirer quand ils en parleront dans leurs réunions. La brochure ne doit en aucun cas être connue. Zemb a expliqué qu’il ne sait rien de toute cette affaire : qu’ il est possible que j’aie écrit quelque chose de ce genre, mais qu’il n’est pas au courant.
A mon sujet, Rossé, Vuillemin a poursuivi, concernant cette brochure : « A Rossé il n’arrivera rien quand nous redeviendrons Français ; car il a fait beaucoup de bien. Mais nous n’acceptons pas qu’il joue de nouveau un rôle politique, car il a dit, lui, que nous devrons nous accommoder de notre appartenance au 3e Reich. Vuillemin affirme aussi avoir un brillant candidat comme futur député pour le secteur de Colmar.
Selon Vuillemin, mon arrestation n’était pas pour de bon, mais n’était qu’un leurre imaginé par la Gestapo.
Mais Zemb pourrait lui rétorquer, qu’il lui a été donné de participer incidemment à cette affaire et, en connaissant tous les détails, sait que cette arrestation n’était pas une manœuvre, mais au contraire très sérieusement préparée.
Vuillemin prétendait aussi que j’avais fondé, avec un certain Wiederkehr, une association autonomiste : la L.N.A. (Ligue Nationale d’Alsace), ce qui est une invention de A.à Z.
2. Vuillemin dit que son programme pour son association est déjà bouclé ; il ne lui manquerait plus que le volet social et il a demandé à Zemb de lui en faire une esquisse. Zemb a refusé en prétextant qu’il n’est pas spécialisé dans les questions sociales et, par ailleurs, tellement submergé de travail, qu’il ne pourrait absolument pas envisager cela.
Et ainsi, le groupe a dû se séparer sans résultat, mais avec la promesse de se réunir de nouveau bientôt chez Zemb. Il faut encore ajouter que Vuillemin affirmait savoir exactement, grâce à son groupe d’espions, tout ce qui se passait derrières les coulisses colmariennes.
En conclusion : quelles sont les conclusions à tirer de cette entrevue ?
1. Il est certain que des milieux francophiles, en particulier aussi des officiers de réserve, se sont amalgamés aux FFI. Là se sont aussi retrouvés un certain nombre d’éléments qui étaient en mauvaise posture, et espéraient - comme en 1918/1919 - trouver de cette façon des fonctions et des avantages. Il faudra compter avec cette organisation, surtout dans les premiers temps, quand la gestion à venir sera dans le flou, et nous ferons bien de ne pas nous en faire d’avance un adversaire.
2. Vuillemin est, à coup sûr, moitié fanfaron ; il faut leur laisser user les cornes, à lui et à ses FFI, et ce sera très rapidement le cas. Nous n’avons pas le moindre intérêt à nous charger trop vite de la responsabilité de ces problèmes quasi insurmontables ; ces cercles nationalistes n’ont qu’à le faire. Vuillemin n’a aucune idée de ce qui s’est passé avant la guerre, et de toute façon, pas de la politique. Il pourrait tout au plus devenir une espèce de chèvre d’Eguisheim des anciens soldats du front (8).
3. L’entreprise de Vuillemin n’a aucun sens ; car Strasbourg et Mulhouse sont Français depuis 2 mois et là-bas, on a déjà trouvé des solutions aux problèmes qui vont se poser après l’occupation de Colmar ; ces mesures vont automatiquement être appliquées à la région colmarienne. Par la force des choses, Colmar a été exclu de ces initiatives.
4. Il est regrettable, pour le parti catholique, d’avoir de nouveau un Wetterlé-Riediger, qui sera utilisé par la Gauche contre l’Alsace chrétienne ( 9).
5. Il est évident qu’il y a des traîtres parmi le personnel dirigeant de l’Alsatia ; volontairement ou non, ils donnent des informations aux milieux hostiles à l’Alsatia, sur tout ce qui se passe chez nous. Ce sera une des tâches principales, dans les premiers temps suivant l’occupation , de les démasquer et de les évincer sans égards.
J’ai conseillé à Zemb de garder de bonnes relations avec Vuillemin, par diplomatie et pour avoir des informations, mais en restant prudent dans tous les cas.
Juste après avoir écrit tout cela, le Kolmarer Kurrier (Courrier de Colmar) du 18/1/1945, me vient entre les mains ; il parle du commissaire général que les Français ont placé à Strasbourg. Il en résulte que l’ensemble de l’Alsace sera traité comme une seule région ; Colmar sur le même plan que Mulhouse et que Strasbourg.
 
Jeudi, le 18 janvier 1945 - Les personnes âgées qui sont hébergées à l’Hospice de la rue du Staufen ou ramenées là-bas à partir des villages évacués, meurent comme des mouches. Depuis le début du mois, Zemb a compté environ 45 décès…
Les fonctionnaires qui sont revenus de leur exil volontaire à Baden, par exemple Engel, le directeur du Centre départemental de la rue du Staufen, affirment que les ides de mars, du 1er au 15 mars, amèneront un grand changement. Ils parlent de nouveaux avions allemands, qui volent à 1.5OO km à l’heure et qui, utilisés en grand nombre, vont changer complètement la face de la guerre (1O).
Attendons toujours…
En ville circulent de folles rumeurs au sujet d’une avancée des Allemands sur Bollwiller et Ensisheim. Je ne pense pas qu’elles soient crédibles. Il semble seulement évident que les Américains essaient d’entreprendre partout des offensives pour empêcher les Allemands de transférer des troupes à partir d’ici vers les fronts, très menacés depuis quelques jours, dans les Ardennes et à l’Est…
Le Courrier de Colmar de ce jour révèle que les Français ont institué un Commissaire régional pour l’ensemble de l’Alsace, ce qui entraînera une administration unitaire et centralisée pour toute l’Alsace…
Je viens d’apprendre après coup, que 3 obus sont tombés hier dans la maison des Sœurs de Ribeauvillé, rue St Jean, et 2 dans la maison du Dr Haren, au rempart du Champ de Mars…
 
Vendredi, le 19 janvier 1945 - Hier, Colmar a de nouveau été bombardé jusque dans la nuit. Ce bombardement n’a aucun sens.
Ont été touchés, entre autres, la brasserie Reiner dans la rue Corberon, l’atelier de serrurerie Metz dans la rue des juifs, le cabinet du Dr Haren, la Sécurité sociale, l’ancien Hôtel National près de la gare, et le garage Ich dans la rue de Rouffach. Dans la rue Corberon une personne a été tuée sur la chaussée, et elle n’a pas encore pu être identifiée.
De nouvelles recrues sont appelées actuellement, apparemment pour des camps de formation militaire, mais en réalité pour servir dans l’armée allemande (Wehrmacht) elle-même…
A présent, le Dr Schwartz a été transféré à Gaggenau ; on ne peut ainsi plus espérer qu’il soit libéré avant la fin de la guerre…
Le Dr Pyschlaut veut vider entièrement l’hôpital de Colmar qui est trop exposé aux tirs d’artillerie. On lui a d’abord proposé Marbach, mais il dû y renoncer à cause des problèmes de déplacement. Il négocie en ce moment avec Neuf-Brisach pour avoir son hôpital ; il brigue aussi l’Ecole supérieure de Jeunes filles de Colmar. Il est peu probable que les pourparlers aient du succès…
Le bulletin d’information de la Wehrmacht annonçait hier, que les Russes avaient pris Cracovie, Varsovie, Czentochau, Kielce et Tomaschau. De ce fait, ils ont pratiquement toute l’ancienne Pologne entre les mains. De ce fait, notre ami Sosnowsky a dû lui-aussi faire sa valise et s’enfuir vers l’ouest ; après s’être enfui de Varsovie, il s’était établi à Czenstochau…
 
Samedi, le 2O janvier 1945 - Depuis lundi, nous avons caché ici, dans la maison, un 3e personnage de la Gestapo, en plus de Louis Hartmeyer et de sa femme ; il s’agit d’un certain Jochem. Il est officier de réserve français et employé aux usines Kiener, dans le civil. En son temps, il aurait dû être arrêté avec l’officier de réserve Luth, mais il s’est échappé et caché. Il se trouvait d’abord dans une maison des environs de la rue du Stauffen ; les gens ont déménagé et il a dû chercher une nouvelle cachette, ce qui l’amena dans la rue Speck. .. Or, un obus est tombé la semaine dernière dans la maison voisine et a tué 5 membres de la famille Weinzorn de Niedermorschwihr, qui s’y était réfugiée. De peur, les logeurs de Jochem ont quitté leur appartement et sont partis à la ville. Jochem, alors, n’a pas su où aller. Il est voisin des Sittler, dans la rue du Serpent, et encore en parenté avec leur lointaine famille. C’est pourquoi Mme Sittler l’a hébergé, jusqu’à ce que Koch, de la Gestapo, disparaisse. Car Koch, qui habite à côté de Jochem, le connaît bien, et c’est la raison pour laquelle Jochem ne peut retourner chez lui aussi longtemps que Koch est là. Dès qu’il sera parti, Jochem reviendra se cacher dans sa maison. Il faut dire que beaucoup, qui se sont cachés sans faire attention, ont été découverts. En effet, lorsque la Gestapo recherche quelqu’un, quel que soit le motif, elle commence toujours par une fouille minutieuse de son domicile… Ce matin et cet après-midi, on entendait pendant des heures l’intense vacarme des rafales en direction d’ Ensisheim – Bollwiller. On doit se battre là-bas. Depuis quelques jours, on entendait parler d’une éventuelle prise d’Ensisheim et de Bollwiller, mais, comme beaucoup d’autres bruits, cela s’est révélé faux.
La commune d’Ostheim est complètement occupée à l’heure actuelle par les Alliés. Ils ont traversé la Fecht et ont ainsi dépassé un important obstacle à leur avancée sur Colmar…
 
Dimanche, le 21 janvier 1945 - Le couvent de l’Oelenberg a dû être évacué. Les Pères ont trouvé refuge à Ste Marie.
Le Courrier de Colmar d’hier parle pour la première fois de la nomination du nouveau bourgmestre de Colmar. Le Dr Schmidt s’affiche comme bourgmestre en chef (K.Oberbürgermeister) , ce qui est un autre signe que l’ère Manny est définitivement révolue.
Le directeur d’école Schlageter, le général Forster et d’autres personnalités allemandes, sont revenus à Colmar, pour voir leur mobilier et sauver ce qui peut encore l’être. Ils sont tous écoeurés de découvrir comment les SS et la Wehrmacht se sont comportés là…
Comme on l’a dit, il y a maintenant en Alsace du sud une armée russe qui s’investit du côté allié ; elle est composée d’émigrants russes qui se trouvaient en France. Les Français jouent dans ce conflit un rôle toujours plus pitoyable. Où est donc la fière armée française ?
A Colmar, l’Alsatia occupe en ce moment 66 personnes ; quelques-uns de nos collaborateurs ont trouvé du travail et des sous chez celui qui a su les appâter… L’offensive russe qui dure depuis quelques jours et menace maintenant la Silésie, plonge les alsaciens qui se trouvent là-bas dans une mauvaise situation. On sait que les Alsaciens qui sont établis dans le Reich, sont retenus de force en Silésie. Ces gens risquent d’être traînés en Russie, et personne ne peut dire s’ils pourront revoir un jour leur pays (11). Notre pauvre Alsace et ses habitants traversent une terrible tragédie…
 
Lundi, le 22 janvier 1945 - Les Allemands semblent vouloir passer la partie de l’Alsace qu’ils occupent encore en coupe réglée. On vient ainsi d’apprendre que, très prochainement, 2.OOO têtes de bétail vont être transférées de l’Alsace occupée vers l’Allemagne…
De source sûre, on sait que Colmar a encore de la farine jusqu’au 2O février. Si, jusque- là, il n’y a pas de nouveaux arrivages - ce qui est douteux – on aura de graves problèmes pour trouver du pain…
On a toujours dit que les sympathisants d’Hitler étaient en grand nombre issus de la masse des chômeurs. Ceci est vrai, ainsi que l’atteste, par exemple, le cas du Pg. Boeringer, directeur des NSV colmariennes (12).
Dans le temps, il était serveur, puis il a été sans travail pendant un an et demi, jusqu’à ce qu’il ait trouvé dans le Parti de nouveau du travail et de l’argent. Ses origines expliquent son comportement souvent très vulgaire.
Boeringer a été nommé, ces derniers jours, chef de district quelque part dans le Pays de Bade.
Comme on l’apprend par des gens qui ont pu venir à Colmar entre les 2 fronts – Auguste Sipp a été arrêté à Ribeauvillé, en raison de ses tractations avec les Allemands. Ses 9 enfants se trouvaient aux Trois-Epis. Ils ont dû s’enfuir de là avec leur sœur de Ribeauvillé et se trouvent maintenant à Muhlbach, où ils sont mal en point. Il paraît surtout qu’on les laisse sans assistance. Finker de Colmar et Wolff, le directeur de banque, se chargent maintenant des enfants et s’efforcent d’assurer leur entretien.
 
Mardi, le 23 janvier 1945 - Comme on le sait, il ne paraît qu’un seul journal en langue française pour toutes les parties occupées de l’Alsace, la Liberté d’Alsace, sous les presses du Journal de Mulhouse (Mühlhauser Tageblatt)…
La Poste de Colmar fonctionne de nouveau depuis environ 14 jours, mais au ralenti. Le courrier qui était arrivé fin novembre a été distribué et on pouvait redonner au guichet les lettres qui devaient être réexpédiées. Depuis hier midi, c’est de nouveau terminé. Pourquoi ce brusque changement, on ne sait pas. Le bombardement insensé de Colmar et la destruction de beaucoup de localités alsaciennes font prendre conscience à toujours plus d’Alsaciens, qu’ils ne peuvent trouver leur salut ni auprès des Français, ni des Américains. Le sentiment favorable à une autonomie grandit de jour en jour.
Ce matin, très tôt, il y a eu de violents combats au nord et à l’ouest de Colmar. En cours de journée, on entendait aussi, venant du sud, de façon prolongée, de forts coups de canon ; on a appris que les Alliés ont pris Houssen et que la route Colmar-Wihr est sous leur feu. Ils ont aussi attaqué dans la région de Mulhouse-Thann, et à l’ouest de Guebwiller, mais sans succès. A Colmar, la plupart des barrages pour chars ont été recouverts de terre (13). La garnison est en alerte maximale. La prison a été évacuée presque totalement… A cause des grands succès dans le nord de l’Alsace, ; Eisenhover voulait apparemment renoncer à Strasbourg (14).
Les Français s’opposent à cette éventualité. Il y a eu, de ce fait, des pourparlers très animés entre Américains et Français ; c’est ce qu’annonçait Pajot à Radio Sottens, vendredi dernier.
 
Mercredi, le 24 janvier 1945 - Sans permission spéciale, il est interdit aux civils de traverser le Rhin pour se rendre de Baden jusqu’en Alsace. Beaucoup d’Alsaciens allaient à Baden et y achetaient des denrées alimentaires qu’on ne trouve plus en Alsace ; ils les rapportaient ici, dans leur sac à dos. L’interdiction ci-dessus a été promulguée pour empêcher ce trafic…
Les soldats allemands se plaignent de ce qu’il y ait aussi à présent des partisans armés dans les forêts, entre Colmar et Rouffach. D’après ce qu’on a appris ces derniers jours au sujet de l’abbé Vuillemin et de ses gens, tout ça ne paraît pas étonnant…
Le Commissaire d’Etat Koch, de la Gestapo, a rendu les clés de son logement en disant : « On s’en va maintenant, et quand on reviendra je ne serai de toute façon plus là »…
Le Courrier de Colmar annonce aujourd’hui que le Gauleiter distribue gratuitement :
5Ogr de graisse, 1OOgr de sucre, 1OOgr de farine pour chaque citoyen ; en plus, 1OOgr de viande.
2 rouleaux de bonbons pour les enfants.
1 litre de vin pour 4 personnes, 2 litres pour 5 personnes.
1O cigarettes pour chaque homme…
Les récents succès des Allemands en Alsace du Nord menacent à présent sérieusement Strasbourg. On peut prévoir le sort qui attend la population dans cette ville, par ce qu’a dit un haut gradé de la Gestapo : « Je voudrais que nous ne restions qu’une heure à Strasbourg et à Mulhouse, pour faire payer à la population tout ce qu’elle nous a fait »…
 
Jeudi, le 25 janvier 1945 - Toute la nuit d’hier à aujourd’hui il y a eu à Colmar de forts tirs d’artillerie et de mitrailleuses. Les Américains se sont rués sur le Rosenkranz et sur Houssen et Wihr…
Durant toute la nuit, des chasseurs alpins ont été débarqués sur la route de Mulhouse ; ils venaient de Finlande et avaient été déversés dans la vallée de Munster…
A Riedwihr, une centaine d’Américains ont été fait prisonniers.
Théo Cattin est arrivé à l’hôpital O.T. St George (15). Toutes les tentatives faites pour sa libération ont été vaines jusqu’à présent…
Ce matin, Fashauer est venu me trouver. Il m’a entretenu particulièrement de la visite des agents de la Gestapo au pasteur Heitz, et aussi de la réaction de Vogel à propos de mon arrestation . Il va me faire un rapport à ce sujet…
Vogel affirme que, dans les localités occupées par les Français, tous les hommes de 16 à 5O ans sont de suite évacués. Mais cela ne semble pas plausible. A Boofzheim et ailleurs, à tout le moins, les hommes ont été laissés sur place.
Paul Schall, Pierre Hauss, Schlegel et d’autres ont pu tous se sauver à temps. Ils se trouvent à Oberkirch, au siège de la direction (Gauleitung), et attendent ardemment de pouvoir de nouveau retourner en Alsace.
Un obus est tombé dans la maison de Zemb – la fameuse Villa Zemb .
 
Vendredi, le 26 janvier 1945 - L’offensive russe d’une part, au cours de laquelle récemment Breslau et Poznan ont été occupées, et d’autre part une attaque des Américains contre Munzenheim avec le bombardement de Breisach, ont été une menace pour Colmar. Les Allemands préparent leur départ. La Gestapo a renvoyé 2 camionnettes et les autos sont sur le point de partir d’une minute à l’autre. Suhr, le chef de la police – et des SS – avait toute la nuit une voiture stationnée devant sa porte. Hier après-midi, le local principal de l’imprimerie de l’ancien lycée de jeunes filles a été vidé. Devant la Ville de France, on chargeait hier sur une camionnette tous les portrais et tous les drapeaux d’Hitler, que l’établissement possédait encore, pour les évacuer. Le directeur d’école Schlageter, lors de sa courte réapparition à Colmar, a emballé 1O caisses remplies de documents et les a emportées ; parmi eux se trouvaient aussi les documents de Saint-Jean…
Le médecin du district, Eisenlohr, a été destitué pour la même raison que Manny. Il est remplacé en attendant par le médecin conseil Kunker…
Les troupes qui sont arrivées hier et avant-hier, et vont être engagées à présent, étaient en route depuis début octobre et sont très fatiguées…
Lors de la réunion des chefs de districts (Ortsgruppenleiter), le chef d’arrondissement (Kreisleiter) Glas a déclaré : « Jusqu’à présent, il n’y a eu qu’un seul déserteur parmi nous, l’ancien Ortsgruppenleiter Sengel ». Glas croit qu’il est chez les Américaines, ce qui est absolument faux…
A Colmar, on peut récupérer auprès de la police les appareils de radio confisqués, si on en fait la demande. Mais ce ne sont que des vieux appareils usagés. La Wehrmacht a pris les meilleurs…
L’avocat mulhousien Hascher affirme qu’à Mulhouse, les Partisans sont dirigés par l’ancien Ortsgruppenleiter Gruenenberg… Hier et aujourd’hui on entendait des tirs continus dans le sud de Colmar. A Bollwiller il y a sans doute des bombardements en ce moment…
 
Samedi, le 27 janvier 1945 - Les informations données en allemand par la Wehrmacht font état, dans les derniers jours, de combats au sud-est de Ribeauvillé. Il est probablement vrai que les Américains essaient d’avancer vers Breisach, ainsi que l’ont laissé deviner les fortes canonnades qu’on entendait ces derniers jours à Colmar. Ils veulent contourner Colmar. Houssen et Riedwihr sont américains, à ce qu’il paraît. Neuf-Brisach a été fortement bombardé ; la Poste est, paraît-il, complètement en ruines. A Colmar, les Allemands du Reich ont peur d’être piégés. C’est pourquoi ils se tiennent en état d’alerte maximale, fin prêts à partir, avec leurs voitures déjà chargées.
C’est aussi pourquoi la Gestapo ne passe plus la nuit à Colmar, mais à Rouffach ; elle ne vient que le matin à Colmar pour son service.
Les Allemands du Reich, à Colmar, ne logent plus à l’hôpital, leur résidence principale, mais au Couvent des Jésuites dans la rue de Bâle, afin de pouvoir immédiatement s’enfuir par la route, vers Sundhoffen, ou par Ste Croix…
Vogel a fait transporter ses meubles par camion quelque part, avec l’aide de Finker ; on ne sait pas où. Il a été aperçu avec sa femme en train de tirer deux valises sur un traîneau. On ignore s’il est parti avec sa femme en Allemagne, ou s’il se cache quelque part en Alsace ; en tout cas, il a disparu du paysage. Dr Febray, qui avait été condamné à mort, il y a quelques temps, parce qu’il ne voulait pas travailler au déblaiement, et a été gracié (16), est revenu avant-hier à Colmar, sur demande du service sanitaire ; en effet, nous n’avons pas de médecin pour soigner les maladies du poumon, et il est un pneumologue réputé…
 
Dimanche, le 28 janvier 1945 - Les Allemands veulent vider complètement l’Alsace d’hommes en état de combattre. C’est ainsi que, ces derniers jours, les employés ukrainiens, dont aussi le chauffeur Mohrlock de l’Alsatia, ont été rappelés. C’est aussi pourquoi la Carte du Travail a été introduite, par ordre du chef de la police et des SS. Celui qui n’en a pas reçu du Service du Travail ou n’exerce pas d’emploi légal en Alsace est transféré en Allemagne au rendement.
Madame Hentz, qui était de nouveau invitée aujourd’hui à la maison pour le repas de midi, a raconté, d’après des informations reçues directement de Wissembourg, qu’à leur arrivée, les Américains ne se sont absolument pas préoccupés des orientations politiques des habitants . Au sujet de l’argent, ils ont appliqué le cours 1 : 15 ; ils veulent qu’on reste tranquilles et qu’on observe les strictes règles de discipline; à part ça, ils laissent la population en paix. Si cela se passait partout ainsi, ce serait magnifique…
Les nouvelles d’hier de la Wehrmacht, qui nous parviennent aujourd’hui, reconnaissent que Riedwihr a été perdu et aussi que les Alliés ont réussi à traverser l’Ill. C’est ce qui confirme l’impression que l’on a depuis quelques jours, à savoir que les Alliés avancent vers Breisach et tentent de cerner Colmar…
On a appris que le Conseil municipal de Colmar s’était réuni vendredi dernier pour préparer le budget de 1945 et nommer un commissaire au Logement. Ce sera le Dr Pyschlaut. Lors de cette séance, le nouveau bourgmestre a été présenté. C’est en effet une grande affaire, et représentative du régime, que la ville puisse recevoir un nouveau bourgmestre, sans qu’un seul citoyen ni le Conseil municipal soient consultés, ou ne puissent dire un seul mot…
 
Lundi, le 29 janvier 1945 - La nuit passée, les Alliés ont tiré de nouveau environ 2O fois dans la ville, avec de lourds obus. Ce bombardement est absolument inutile et franchement idiot : une rage de détruire.
Par cette neige si haute à présent, les combats sont très difficiles sur le Front de l’ouest. Les Américains ne sont pas comme les soldats russes, qui se moquent des intempéries…
Aujourd’hui, toue la journée, il y a eu des combats acharnés en direction nord-est de Colmar. Dans son rapport d’hier, la Wehrmacht reconnaît la perte de Bischwihr et Wickerswihr. Il apparaît que les Alliés s’avancent d’une part vers Marckolsheim et d’autre part vers Neuf-Brisach, près du Rhin. Vers le soir, la bataille a pris une intensité maximale ; de Colmar, on voyait deux brasiers sur Hochbourg. Comme je l’ai appris plus tard, l’école et une grange à l’arrière ont entièrement brûlé. Dans l’école, où se trouvait aussi la salle municipale, tous les appareils de radio, qui avaient été réquisitionnés par la commune, ont brûlé.
Il devait y avoir plus de 6O appareils…
Aucun civil n’a plus le droit d’aller à Hochbourg – Andolsheim. Tout cet itinéraire est déclaré secteur de guerre…
Aujourd’hui, environ 2OO jeunes gens ont dû se présenter à l’appel pour le service militaire. Mais, comme on l’apprend, presque aucun ne s’est annoncé…
Les travaux de fortification à Ingersheim et dans la forêt de la Fecht sont totalement suspendus. Ils ne se poursuivent que dans la région de Sundhoffen…
 
Mardi, le 3O janvier 1945 - Ce matin encore, de violents combats sur Wihr au Val et Andolsheim se poursuivaient. Ils ne se sont apaisés un peu que vers midi. La Wehrmacht annonçait hier soir la prise de Grussenheim par les Américains.
Les nouvelles d’aujourd’hui laissent entendre que les Alliés avanceraient en traversant le canal. Mais on ne précise pas jusqu’où ils sont venus. On pense que ce sont Bischwihr, Munzenheim et Fortschwihr qui sont occupés. Des bruits circulent selon lesquels Wihr au Val l’est aussi. Sundhoffen a été lourdement bombardé et il s’en suit toutes sortes de dégâts, paraît-il…
A midi, il y a eu de nouveau nombre d’obus qui ont volé dans la ville et sont tombés tout près ; ainsi dans la rue Corberon, la ruelle Bitterstall, le petite rue de la Laine, etc…
Un obus est aussi tombé dans la sablière Hartmeyer, où les Allemands ont disposé une pièce d’artillerie ; tous les servants de la batterie ont été tués, paraît-il…
Comme on l’a appris ici, les Américains ont renoncé à leur projet d’évacuer la population d’Ostheim vers Ste Marie-aux-Mines. H.Renz par exemple, serait de nouveau dans son magasin à Ostheim.
Le développement dramatique des événements à l’Est semble susciter les bruits les plus invraisemblables dans la ville ; ainsi, on dit que Goebbels a démissionné et que l’ambassadeur von Papen serait en Espagne (17) ; les soldats devraient partir de Colmar ; l’armée allemande aurait reçu l’ordre de se retirer en douce etc… Il est évident, et un aveugle peut le voir, que ce ne sont que des bruits ridicules, qui ne méritent même pas d’être réfutés sérieusement…
 
Mercredi, le 31 janvier 1945 - Le violent bombardement pour la prise de Colmar se poursuit encore aujourd’hui, surtout à l’est de la ville, et sans interruption. On apprend ce soir que les Américains sont à Hochbourg…
Vogel est effectivement reparti en Allemagne avec sa femme. Il a écrit une lettre à l’Alsatia, où il s’excuse d’être parti sans avoir pris congé. Il avait reçu la mission d’accompagner en Allemagne un certain nombre de combattants du Volkssturm. Il avait été doté d’un véhicule militaire pour cela. Comme sa femme ne voulait plus rester dans leur maison fortement endommagée par les bombardements, il est parti de suite et l’a emmenée avec lui…
Deux grands camions ont aujourd’hui transporté vers l’Allemagne les appareils de radio qui avaient été confisqués aux gens de Colmar.
Les ouvriers qui travaillaient aux terrassements dans la forêt de la Fecht et dans le site du Ladhof, ont été mitraillés et se sont repliés dans la région de Sundhoffen…
 
Jeudi, le 1er février 1945 - La nuit dernière, encore, la lutte à mort pour le territoire situé entre Colmar et Neuf-Brisach s’est poursuivie. Les Alliés sont, paraît-il, à Horbourg-Wihr et ont même poussé jusqu’à Sundhoffen. Le rapport de l’armée allemande reconnaît qu’il y a eu des avancées alliées, mais ne donne aucune précision.
Cette nuit, dans le bombardement de Colmar, une citerne de l’usine à gaz a été touchée et démolie…
Le Commissaire de région (Landkommissar) Kroepfle, a, paraît-il, reçu cette nuit à 3 heures, l’ordre de se replier par Rouffach sur Nambsheim. Le Commandant de la Ville est parti, lui-aussi, par le même chemin.
La Gestapo a transféré en Allemagne, sur la rive droite du Rhin, un grand nombre de détenus politiques de la prison de Colmar. Elle a même fait pas mal de nouvelles arrestations. C’est ainsi que Jean Strafmass a été arrêté…
Le Service sanitaire des troupes de la région de Colmar, qui se trouvait jusque-là chez Neumeyer, dans la rue Corberon, a été transféré à Rouffach. Tout porte à croire que les Allemands prévoient malgré tout que Colmar pourra être perdu dans un proche avenir (18)
 
« Sous la pression des menaces et pour éviter dans la mesure du possible des ennuis à mon épouse, je me présente immédiatement à la justice » écrit Joseph Rossé à son ami, le sénateur Médard Brogly, le 8 février 1945. Rossé n’est arrêté que le 24 février. Véritable Ponce Pilate, le préfet Xavier Louis Jacques Fonlupt-Espéraber s’en lave les mains : « Pourquoi le criminel Rossé n’est pas paru devant les tribunaux ? Ce n’est pas le préfet qui dirige la justice. Je me suis contenté de prendre un arrêté d’internement, avec mise sous séquestre des biens, mais Rossé, que la police n’a pas retrouvé, s’est livré lui-même aux militaires. Je n’ai donc jamais eu d’action sur l’affaire » (19). Alors que Joseph Rossé est incarcéré à Colmar, à Strasbourg puis à Nancy pour « collaboration et intelligence avec l’ennemi », les Communistes, Socialistes et Francs-maçons essaient d’obtenir sa condamnation à mort. Lors de son procès, qui se déroule du 29 mai au 12 juin 1947, et qui fait grand bruit, il est condamné à quinze ans de travaux forcés, vingt ans d’interdiction de séjour en Alsace, à l’indignité nationale à vie et à la confiscation de tous ses biens (2O). Il a 55 ans. On le traîne de prison en prison, à Nancy, Clairvaux, Epinal, Fontevrault, aux conditions très dures, et à Villeneuve-sur-Lot à la maison centrale d’Eysses, où il reste de septembre 195O jusqu’à sa mort par maladie, le 24 octobre 1951. Il est inhumé au cimetière du Ladhof à Colmar.
Joseph Rossé avait tenu un autre journal, à partir de son arrestation, le Tagebuch 1945-1951 : ce manuscrit en allemand fait partie du Fonds Bilger-Sturmel, et est conservé à la Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg sous la référence MS.6.998.
 
Notes :
(1) Michel Krempper : Joseph Rossé, 1892-1951. Alsacien interdit de mémoire . Préface d’Andrée Munchenbach. (éd. Yoran, 2O16), p. 28O.
 
(2) Karl Schmidt, Oberbürgermeister de 1944 à février 1945. Edouard Richard, également député, le remplace à la libération jusqu’en octobre 1947.
Au sujet de Luzian Manny, voir note 4, La Voix…n° 23.
 
(3) L’arme allemande Panzerfaust : voir note 3, La Voix…n° 23.
 
(4) Pyschlaut, médecin chef allemand à l’hôpital de Colmar. Il en est question dans le Journal de Rossé le 1O décembre 1944, où il est dit qu’il pratiquait des avortements d’enfants illégitimes (La Voix… n° 22).
Voir aussi : 3 janvier 1945 (La Voix… n° 23).
Nous n’avons pas réussi à en savoir plus sur le personnage.
 
(5) Les Ortsgruppenleiter de retour après leur fuite vers l’Allemagne : voir 4 et 5 janvier 1945, La Voix…n° 23.
 
(6) Auguste Wicky (1873 – 1947) maire socialiste de Mulhouse de 1925 à 104O, révoqué, arrêté et expulsé en 194O, il rejoint la Résistance à Agen et revient à Mulhouse le 28 novembre 1944, où il reprend son mandat de maire jusqu’à sa mort en janvier 1947. C’est Jean Wagner, secrétaire de la SFIO, qui lui succède. Marcel-Edmond Naegelen (1892-1978) , fils d’un boulanger alsacien et né à Belfort, Socialiste SFIO, président de la Société des écrivains d’Alsace et de Lorraine, il bat Karl Roos aux élections régionales de 1937. Adjoint dès 1939 au maire de Strasbourg Charles Frey, il organise l’évacuation des Alsaciens et s’active dans la Résistance au sein du mouvement Combat Il est réélu à Strasbourg maire adjoint de Charles Frey de 1945 à 1947, puis conseiller général et député. Ministre de l’éducation nationale dès janvier 1946. Croix de guerre et médaille de la Résistance.
Sous l’occupation, on trouve comme maires de Strasbourg : Theodor Ellgering (juin 194O - mars1941), Robert Ernst ( mars 1941 – novembre 1944).
 
(7) Sur les Forces Françaises de l’Intérieur, voir note 8, La Voix… n° 22. Elles n’étaient appréciées ni de Leclerc, ni de Rossé, qui a une idée très négative des FFI et notamment de l’abbé Vuillemin, considéré depuis comme un héros de la Résistance. Ce sont, à ses yeux, des terroristes ; Vuillemin en particulier lui semble être un ambitieux et un profiteur.
 
(8) Sans doute cette expression populaire désigne-t-elle une mascotte ou un objet de dérison.
 
(9) L’abbé Vuillemin, farouchement anti germanique rappelle à Rossé le fanatisme jacobin de l’abbé Emile Wetterlé (1861’1931) , qui lui valut finalement l’hostilité du parti catholique UPR (Union Populaire Républicaine). Lucien Riedinger, membre du réseau Kléber-Alsace de Colmar, avait été arrêté avec un large groupe de patriotes colmariens les 15 et 16 décembre 1942, dont Robert et Edmond Borocco et Louis Voegtli, maire de Wintzenheim, ainsi que l’aumônier de l’Hôpital militaire de Colmar (jusqu’en 194O), l’abbé Charles Venner. Lucien Riedinger avait été condamné à un an et demi de prison, sept autres ont vu leur condamnation à mort commuée par Hitler lui-même en service dans les dangereux commandos de déminage : les Himmelfahrstkommando. Pour Rossé, Vuillemin fait le jeu des résistants alsaciens majoritairement de gauche et anti-cléricaux.
C’est ici l’occasion de se demander quelle était la position de Rossé face à la Résistance française et alsacienne. Elle était active dès 1941 et Rossé ne pouvait l’ignorer. Dans le Conseil National de la Résistance créé par Jean Moulin, diverses tendances étaient représentées : chrétiens, socialistes, communistes. Dans son Journal d’exil, Rossé n’y fait pas allusion. Les résistants sont appelés « militants des cercles français » ou « cercles nationalistes » (17 janvier). Les FFI, alimentés par une grande partie des réseaux français et alsaciens, ne suscitent chez lui que du mépris. Ils ne sont, à ses yeux qu’ « une avant-garde communiste déguisée » (Journal…,8 décembre 1944) ou, pire encore, des terroristes (17 janvier). Une interprétation superficielle de ce phénomène, qui étonne chez l’auteur. Apparemment, il n’est sensible qu’ aux martyrs de l’autonomisme. Cette lacune est sans doute apparue dans les discussions lors de son procès, et n’a pu être ignorée, même si le journal n’a pas été produit.
 
(1O) Il pense probablement ici au biréacteur de chasse Messerschmitt 262, «Sturmvogel », premier avion à réaction du monde, déjà à l’essai en avril 1941 avec moteur à pistons, puis en juillet 1942 avec turboréacteurs. Il est mis en service en avril 1944. Construit en 143O exemplaires, il n’avait pas , malgré ses performances (878 km/h , Match O,71), répondu aux attentes. Hitler, fixé sur les bombardiers, avait trop tardé à donner le feu vert à cet avion de chasse. Le Me-262 était très difficile à piloter. En-dessous d’une certaine vitesse, ses turbines s’arrêtaient et ne pouvaient plus être démarrées. Il prenait feu avec une remise des gaz trop brutale. Le décollage et l’atterrissage, trop lents, le rendaient particulièrement vulnérable, et il avait besoin d’avions de garde pour le protéger. Il était trop rapide et volait trop haut pour être performant contre les chasseurs alliés. La plupart des Me-262 ont été détruits, beaucoup aussi par les Allemands eux-mêmes pour protéger le secret de cette nouvelle technologie.
 
(11) Les accords de Munich (3O septembre 1938) avaient autorisé l’Allemagne à annexer la Silésie autrichienne (l’ancienne Bohème), habitée par des minorités allemandes, les Sudètes. La Silésie prussienne est devenue entièrement allemande en 1939.
Dès 1941, les Alsaciens francophiles, opposés au Reichsarbeitsdienst et à l’incorporation de force dans l’armée allemande, mais aussi les déserteurs, les Juifs, Tsiganes, Communistes, sont envoyés vers les pays annexés. Le 15 août 1942, les journaux de Strasbourg et de Mulhouse parlent pour la première fois de ces transplantations. Il d’agit de trois familles de Hirsingue, d’Altkirch et d’Illfurt. En novembre 1942, ce sont une vingtaine de familles du Haut-Rhin et une quinzaine du Bas-Rhin qui sont les objets de ces « mesures éducatives ». Puis une douzaine en janvier 1943. Les plus touchées en Alsace étaient les régions limitrophes (le canton de Ferrette, le Ban -de -la -Roche). Ces personnes étaient envoyées dans des camps sous prétexte qu’ elles ne devaient pas contaminer la race germanique. Les familles des dix-huit jeunes de Ballersdorf qui avaient tenté de passer en Suisse, en février 1943, étaient elles-aussi destinées à la déportation par le Gauleiter Wagner ; les jeunes ayant été exécutés. Joseph Rossé, lors d’un voyage à Berlin, avait intercédé pour ces familles auprès de Heinrich Himmler lui-même et réussit à empêcher leur expulsion ainsi que celle d’autres Alsaciens (cf. M.Krempper, Joseph Rossé, op.cit. pp.229 à 231). Un décret du 1er octobre 1943 va élargir la sanction aux membres plus éloignés des familles. Les journaux alsaciens n’en parlent plus depuis mars 1943. On en a quelques nouvelles par les journaux suisses. On pouvait évaluer le nombre d’exilés à 17.OOO en Alsace. En Silésie, se trouvaient les camps de Petersdorf, Halbstadt, Breslau (Wroclaw).
Comme l’écrit Rossé, l’avancée des troupes russes dans ces pays  limitrophes du Reich faisait craindre que ces familles ne soient jamais libérées, à l’instar des officiers allemands faits prisonniers et envoyés sans retour en Sibérie. Cependant, ces transplantés ont été libérés par l’armée américaine et regroupés dans des centres américains àTorgau et à Pilsen, d’où ils ont été rapatriés en Alsace ou Moselle.
 
(12) NSV colmariennes : Nationalsozialistische Volkspartei ou Volksfront  ? Associations nazies de Colmar.
 
(13) Afin de pouvoir passer.
 
(14) Strasbourg avait été libérée le 23 novembre 1944 par la 2e division blindée du général Leclerc. Mais l’offensive allemande dans les Ardennes mettant à mal l’armée américaine, le général Eisenhower commence à abandonner la défense de Strasbourg pour ramener ses troupes sur le front nord. Les Allemands sont devant Strasbourg le 31 décembre. Malgré tout, Eisenhower ordonne l’évacuation de la ville le 2 janvier 1945. C’est alors que le général de Gaulle, s’opposant violemment aux Américains, ordonne au général de Lattre de tenir la ville coûte que coûte : «Le gouvernement français, quant à lui, ne peut évidemment laisser tomber Strasbourg aux mains de l’ennemi sans faire tout ce qui lui est possible pour la défendre », écrit-il à Eisenhower.  Etrangement, notre auteur ne parle jamais du général de Gaulle. Etait-il donc resté si inconnu ou sous-estimé en Alsace ?
 
(15) Hôpital militaire. Théo Cattin avait été directeur de l’administration des Domaines de Colmar et faisait partie du Conseil d’Administration de l’Alsatia.
 
(16) Voir Journal…17 décembre 1944 (La Voix… n° 22) : Le Dr Febray avait été condamné à mort. Son épouse et Madame le docteur Sittler avaient fait un recours en grâce.
 
(17) Franz von Papen (1879-1969) représentant l’aile droite du parti catholique avait été nommé chancelier du Reich par le président Hindenburg en juin 1932 et vice- chancelier par Hitler en 1933. En désaccord avec les méthodes nazies, il démissionna après la « nuit des longs couteaux », l’assassinat des chefs de la S.A. (Sturmabteilung) fin juin 1934. Il fut nommé ambassadeur à Vienne en 1936, et prépara l’ annexion de l’Autriche (mars 1938), puis ambassadeur en Turquie en 1939 : une coopération économique importante s’était effectuée entre l’Allemagne et la Turquie depuis les années 193O ; la première ayant soutenu par son industrie la militarisation de la Turquie, et cette dernière livrait en retour d’importantes quantités de chrome à l’armée allemande. Après avoir signé un traité de non-agression avec l’Italie, en juin 194O, vu d’un oeil favorable par l’Allemagne, la Turquie conclut avec celle-ci un traité d’amitié, en juin 1941, préconisant le respect mutuel des territoires et le développement des relations économiques. La Turquie s’efforcera de rester à l’écart des conflits jusqu’en février 1944, où elle cède à la pression des Etats-Unis, qui l’incitent à rompre son traité avec l’Allemagne. Ce ne sera qu’après la conférence de Yalta (4-11 février 1945), que la Turquie abandonnera sa neutralité pour entrer en guerre. Sa longue réserve a pu s’expliquer par la prophétie de Mustafa Kémal, fondateur et président de la République de Turquie, qui disait en 1938 : « Une guerre mondiale est proche. Au cours de cette guerre, l’équilibre international actuel sera entièrement détruit. Si, pendant cette période, nous agissons de manière inconsidérée et si nous nous laissons entraîner dans la moindre erreur, nous serons alors confrontés à une catastrophe bien plus grave que celle qui s’est produite pendant les années de l’Armistice ».
 
(18) Marckolsheim et Artzenheim sont libérées le 1er février 1945. Les opérations s’accélèrent au nord et à l’est de Colmar. Les Américains sont à Hochbourg, Andolsheim et dans la forêt de Colmar.
Le 2 février, De Lattre attaque Colmar avec la 28e division d’infanterie US. Le 1O9e régiment d’infanterie US arrive par le nord, au petit matin. La 5e division blindée française avec les chars de combat Command 4 du général Schesser entre dans la ville. Wintzenhaim est libérée à son tour à 16h15, par les blindés du lieutenant-colonel Du Breuil, de même que Eguisheim et Wettolsheim. Guebwiller et Turckheim sont libérées le 4 février.
Le 5 février, c’est au tour de Ste Croix-en-Plaine, après de durs combats, de Rouffach et d’Ensisheim ; le 6 février : Vogelsheim et Sausheim.
Reste le problème de Neuf-Brisach et du pont de Chalampé. La XIXe armée allemande regagne la rive droite du Rhin dès le 5 février. Les derniers soldats passent le pont de Chalampé le 9 février et font sauter le pont à 8h du matin. Chalampé est libéré le même jour.
 
(19) M.Krempper, Joseph Rossé, op.cit. p. 289.
 
(2O) M.Krempper, op.cit. p. 3O3. Rappelons aussi que l’abbé Oberlechner était présent au procès de Rossé et a plaidé pour sa défense.
 
  
L A   P H R A S E   D U   M O I S :
 
«  Je ne ferai absolument rien pour me venger du mal qu’on m’a fait. J’y renonce, parce que je suis chrétien. Ensuite, parce que j’ai la conviction absolue que rien de sain, de grand, de beau, et de durable ne peut être réalisé par la haine. Il faut enfin en finir avec la vengeance engendrée par la vengeance et produisant à nouveau la vengeance. »
Joseph Rossé, mémo « Sur l’avenir »
(27 août 195O). 
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Directrice de publication : Danielle Vincent.
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ISSN : 265O-7225.
Dépôt légal : 1er trimestre 2O21.