Journal aout 2019
L A V O I X D A N S L E D E S E R T
Mensuel du Château d’Argent - N° 5 Aout 2O19
Bûcherons et débardeurs africains, au siècle dernier.
Ce qui nous a particulièrement frappés, en nous plongeant dans l’aventure africaine d’Albert Schweitzer, c’est son récit de l’exploitation des arbres au Gabon, au début du vingtième siècle.
En Afrique équatoriale, dans la forêt vierge bordant le fleuve Ogoué, qui s’étend sur 97O kilomètres, les arbres ont plusieurs mètres d’épaisseur. L’exploitation s’intéresse particulièrement à l’acajou, à l’okoumé (appelé « faux acajou »), à l’ékéwasengo (ou « bois de rose »), au « bois de corail », au « bois de fer », et à l’ébène, toutes des essences précieuses.
Pour abattre un de ces arbres, présentant à la base de puissants contreforts naturels, les autochtones ne peuvent attaquer le tronc qu’à quelques mètres du sol ; ils construisent alors un échafaudage sur lequel ils travaillent à la hache.
C’est un travail qui dure quelques jours : l’arbre est le plus souvent enchevêtré par de grosses lianes dans ses voisins. Il faut couper ces entraves, et même d’autres arbres alentour, jusqu’à ce que le mastodonte tombe au sol.
On le tronçonne alors en billes de quatre à cinq mètres de longueur, la cime avec ses branches
étant abandonnée ensuite en forêt. Une seule bille peut peser quatre tonnes.
Ce travail s’effectue pendant la saison sèche, de juin à octobre.
Une trentaine d’hommes poussent ensuite les billes jusqu’au cours d’eau ou au marécage le plus proche, en attendant que l’eau atteigne le niveau suffisant pour qu’elles puissent être roulés dans le fleuve. C’est à la saison des pluies, à la fin de l’automne, que le niveau correspondra à celui du fleuve. Si l’occasion est ratée, les billes devront attendre les hautes eaux du printemps, à condition qu’elles soient suffisantes, ou alors celles de l’automne suivant ; mais le bois risque d’être perdu jusque là.
Le cubage et la vérification des bois s’effectuent par l’acheteur sur les bords du fleuve.
Une fois dans le grand cours d’eau, les billes sont amarrées parallèlement au moyen de lianes, jusqu’à former un radeau ou « train de bois » d’une quarantaine de mètres de longueur, qui sera dirigé par une vingtaine d’hommes munis de quatre rames.
L’aventure se complique par la présence de bancs de sable, pas toujours détectables dans ces eaux brunes. Si le radeau s’échoue, il faudra dégager une à une les billes en les dénouant, ce qui retardera considérablement la navigation.
On mettra une quinzaine de jours, si tout va bien, pour parcourir deux cent quatre-vingt kilomètres, la distance séparant le village de Lambaréné à Port-Gentil.
Une étape obligée se fait dans un bras étroit du fleuve, le N’Dougou, dont le courant est plus lent. Car, aller directement du fleuve à l’océan, c’est être entraîné par la marée et ne plus pouvoir maîtriser le radeau, qui va se disloquer et se perdre en haute mer. Mais, même après avoir débouché par le bras du fleuve, il faut ensuite, sur quinze kilomètres, naviguer le long du bord et ne jamais s’en écarter ; les perches doivent toujours atteindre le fond, sinon là encore, la marée entraînera tout.
En atteignant Port-Gentil, les billes du radeau sont détachées et parquées dans une baie clôturée par des bois arrimés au moyen de crampons et de filins métalliques.
Les hisser sur le bateau va s’avérer dangereux : les bois sont détachés, ballottés par les vagues, et les indigènes se tiennent debout sur les billes mouillées, passant dessous un filin métallique, qui les tirera à bord.
Jusque là, depuis l’abattage en forêt, les pertes de bois sont considérables. Pour la forêt équatoriale, cela n’a pas grande importance. Par contre, le travail herculéen et les risques
courus par les autochtones ne pourront jamais être dédommagés, pas plus que le manque à gagner subi par l’acheteur. D.V.
(Voir : A.Schweitzer, A l’Orée de la Forêt vierge, éditions Albin Michel, 2e édition 1995, pages 126 à 139)
La machine à vapeur verticale Sulzer de La Vancelle.
Dans l’histoire des scieries de notre vallée, nous avons particulièrement déploré la destruction de la scierie de La Vancelle avec son immense cheminée. Mais nous nous sommes réjouis de savoir que son exceptionnelle machine à vapeur Sulzer a été sauvée.
Elle avait été remarquée en 1983 par la société suisse Vaporama, basée à Thun, dont la vocation était de rassembler moult collections industrielles. Cette société décida de sauver la Sulzer d’une destruction certaine.
Elle entreprit alors un démontage titanesque, et la transporta pièce par pièce dans la ville de Thun. Son but était de la remonter au musée de la vapeur de Winterthur.
Cette aventure a pris vingt sept ans.
Elle se dresse enfin, depuis 2O1O dans le Dampfzentrum Winterthur, à côté de quarante autres machines à vapeur datant des années 1859 à 199O, de chaudières, générateurs, pompes et diverses autres machines fixes ou mobiles, le tout représentant cent cinquante ans du patrimoine technologique de la Suisse.
La machine à vapeur de La Vancelle a été construite en 1888 par les Frères Sulzer à Winterthur. Elle a été présentée à l’exposition universelle de Paris en 1889, témoignant de la haute technologie suisse de cette époque. Elle était l’une des machines à vapeur les plus modernes de la fin du dix-neuvième siècle.
On ne connaît pas la suite de son périple.
Montée en dernier dans la scierie de La Vancelle, elle entraînait un alternateur. Cette génératrice de courant alternatif se trouve également dans la collection Vaporama et a été sauvée.
En 1947, Ariel Vincent, encore enfant, avait été invité avec son père par le directeur de la scierie de La Vancelle, et a pu admirer la Sulzer en fonctionnement.
La machine Sulzer et son alternateur sont destinés à être remis en marche dans le musée de Winterthur, et à devenir les pièces maîtresses de toute la collection.
Les caractéristique de la machine sont les suivantes :
3 cylindres verticaux en ligne.
6OO mm de course.
Alésage : Haute pression, 4OO mm.
Moyenne pression, 6OO mm.
Basse pression, 9OO mm.
Diamètre du volant : 4 m
Nombre de rotations : 125 tours/minute.
Puissance : 3OO CV
Pression admissible : 1O bars.
Dimensions : 6,1 x 4,3 x 4,5 m
Poids : 7O tonnes
N° d’inventaire : O14.
(Données communiquées par le musée de Winterthur).
En comparaison succincte :
Machine à vapeur SACM de la scierie-musée Vincent de Ste croix-aux-Mines :
Année de construction : 1893 à Mulhouse.
2 cylindres horizontaux
Rotations : 8O tours/minute.
Puissance : environ 2OO CV.
Pression à l’origine : 12 bars.
La SACM de la Scierie Vincent et la petite LANZ de 8O CV (19O3) récupérée de la scierie démolie de Rombach- le-Franc, sont les deux seules machines à vapeur restantes de toutes les scieries et usines de la vallée.
La phrase du mois :
« Construire des chemins de fer Decauville pour amener les bois au bord de l’eau est ici assez difficile. Le sol de la forêt vierge est traversé par de gigantesques racines et entrecoupé de marécages. Dans la forêt vierge on se rend compte à quel point l’homme est impuissant en face de la nature. » (A.Schweitzer, op.cit . p. 122)
A noter :
Séminaire d’été à la scierie-musée Vincent de Ste Croix-aux-Mines sur le thème : « Ehrfurcht vor dem Leben » d’Albert( Schweitzer, les premiers samedis de juillet, août et septembre 2O19, à 14h3O. Entrée libre.
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