Musée du Chateau d'Argent

Journal janvier 2024

Mensuel du Château d’Argent - N°   61   -  Janvier 2024 
 
 J e a n – J a c q u e s   R o u s s e a u   (1712 – 1778) . 
Maître à penser de la Révolution française, et plus actuel que jamais. 
 
Une vie gâchée, qui finit au Panthéon.  Une vie gâchée qui a inspiré la Révolution française,  et contribue jusqu’aujourd’hui à changer les mentalités et l’éducation.
 
Jean-Jacques Rousseau est né le 28 juin 1712 à Genève, dans la famille protestante d’Isaac Rousseau et de Suzanne Bernard. Sa mère est morte à sa naissance, et c’est ce drame qui détermina le caractère et le destin du petit Jean-Jacques.
Déstabilisé par la perte de sa mère, dont il s’est toujours senti coupable, n’ayant plus de vrai foyer, son père ayant été expulsé de chez lui, Jean-Jacques a inconsciemment cherché un point de chute toute sa vie, allant d’un lieu à l’autre, espérant trouver partout la mère qu’il n’avait pas eue. Sa relation avec les femmes a été plutôt filiale que véritablement responsable.
C’est Madame de Warens, chez laquelle il fut hébergé dès 1728, qu’il appelait « maman ». Plus tard, en 1745, lorsqu’il connut Thérèse Levasseur, il objectiva, on peut même dire qu’il « mit en scène » l’abandon qu’il avait connu petit enfant : incapable de subvenir matériellement aux besoins de ses enfants, il les mit tous les cinq aux « Enfants trouvés », l’Assistance publique d’alors.
 
La mort en couches de sa mère a créé chez Jean-Jacques un sentiment de culpabilité et  un besoin d’autopunition inconscients. Lui qui était persuadé d’avoir « tué » sa mère  s’arrangea  pour être l’éternel persécuté, accusé toute sa vie, haï et banni. La douloureuse expérience de ce vide maternel a aussi conditionné sa pensée et son œuvre :  il voudra donner aux hommes ce qu’il n’avait pas reçu lui-même :  une éducation où l’affectivité et le bon sens  remplaceront la rudesse et les  sanctions ;  une éducation guidée discrètement, mais jamais dirigée, et s’effectuant presque en autodidacte. Il voudra leur inspirer aussi une société fonctionnant selon les enseignements de la  nature, qui sont ceux de la sagesse,  non basée sur l’artifice, la complaisance et l’hypocrisie ; une société  dans laquelle la simplicité du petit peuple et les métiers manuels seraient  exaltés.
Et une religion qui, loin des cérémonies et des dogmes incrédibles, sera celle du cœur et naîtra spontanément  du contact avec la nature et de sa contemplation.
 
Fuyant Genève, sa ville natale, à dix-huit ans,  et la maison d’un père volage, il renonce aussi à son travail d’apprenti  chez un graveur dont il ne supportait pas la grossièreté.  Il s’en va à Annecy, aux Charmettes, chez Madame de Warens.  Elle veut faire de Jean-Jacques un bon catholique et, pourquoi pas, un prêtre.  Elle l’envoie à Turin faire son catéchuménat et le jeune homme d’origine protestante se  convertit alors au catholicisme. Sa protectrice lui trouve   une place de valet chez Madame de Vercellis. Il est ensuite laquais chez le Comte de Gouvon, mais retourne bientôt aux Charmettes.  Madame de Warens l’envoie alors au Séminaire d’Annecy.  Il fait partie de la chorale de la cathédrale  et montre de telles dispositions pour la musique, que  sa carrière semble toute tracée :  il devient maître de musique à Lausanne et Neuchâtel.
 
Mais il est d’une instabilité maladive :  il va parcourir la Suisse en compagnie d’un moine grec, devient ensuite domestique d’un officier retraité à Paris, revient en Suisse où « maman »
lui procure une place au Cadastre de Chambéry. On est en 1731.  Mais il n’y reste pas : il veut être auprès de sa mère adoptive dont, réalisant le fantasme éternel d’Œdipe, il devient l’amant.
 
Il reprend alors la musique, puis repart en voyage, atterrit à Lyon, où le destin le met en face de sa vraie vocation :  l’éducation. 
Il est précepteur  chez Monsieur de Mably. Mais ce n’est pas son premier contact avec des enfants, puisqu’en Suisse il avait déjà eu des classes de musique.  Son acticité d’enseignant auprès d’un des enfants de Monsieur de Mably, inspire à Rousseau son premier écrit :  le  Projet pour l’éducation de Monsieur de Sainte-Marie  (1740).
 
Mais il ne reste pas à Lyon non plus. Il revient chez « maman »,  puis s’en va à Paris.
Il présente à l’Académie parisienne un ouvrage qui propose de nouveaux signes musicaux,  écrit une Dissertation sur la Musique,  rencontre Denis Diderot et se lie d’amitié avec les Encyclopédistes  (   ).  Il trouve un emploi de secrétaire dans une famille parisienne puis, en 1744  -  la chance de sa vie  -  est nommé secrétaire d’ambassade à Venise. Désormais sa carrière et sa renommée auraient pu être assurées.
 
Or, il retourne à Paris l’année d’après, et y rencontre une fille du peuple, Thérèse Levasseur, avec laquelle il se met en ménage. Complexé, ne se croyait-il digne que d’une union inégale ?
Il s’occupe alors de composer des opéras et aussi d’un sujet plus sérieux :  la réfutation de L’Esprit des Lois de Montesquieu (1747) (   ).
 
Un an après, il rencontre Madame d’Epinay et va s’installer chez elle dès 1756.  Entre-temps, sa compagne Thérèse Levasseur met au monde cinq enfants, que Jean-Jacques regrettera toute sa vie d’avoir dû abandonner.
 
C’est l’année 1750  -  il  a trente-huit ans  -  qui voit éclore sa véritable activité littéraire,  avec le Discours sur les Sciences et les Arts, récompensé par l’Académie de Dijon, mais qui ne passe pas sans contestation dans le public.  Le Devin du Village  (1752)  et la Lettre sur la Musique française  (1753)  sont les derniers vestiges de ses hésitations entre la philosophie et la musique.
 
On retrouve Rousseau à Genève en 1754, année où il revient au protestantisme. Il publie, l’année d’après, le Discours sur l’Inégalité  (1755).  Au même moment, il écrit un article sur l’Economie politique, et y aborde encore le sujet qui lui tient tant à cœur : l’éducation. Il voudrait que l’instruction soit publique et organisée par l’Etat.
 
A partir de 1756, chez Madame d’Epinay, sont mises en chantier ses grandes œuvres :  La Nouvelle Héloïse (achevée en 1758, publiée en 1760),  l’Emile  (en 1759, dans sa première version).  Le Contrat social est ébauché dès 1760 à Montmorency, chez le Maréchal de Luxembourg.  Rousseau étant tombé amoureux de Madame d’Houdetot, il avait été congédié par Madame d’Epinay.
 
Le Contrat social  est achevé en 1761 et publié en 1762, ainsi que la dernière version de l’Emile.  Ces œuvres se heurtent tout de suite à l’incompréhension et à la censure.  L’Emile est condamné à être brûlé  et Rousseau s’enfuit en Suisse pour ne pas être arrêté.   Mais à Genève aussi les deux livres sont interdits.  L’auteur doit se réfugier sur les terres du Roi de Prusse  à Neuchâtel.  Cependant, à Genève,  une partie de la population se soulève contre le sort qui est réservé à ces  écrits et prend la défense de leur auteur.
 
On est en 1763.  Le 6 mai, Maximilien de Robespierre voit le jour à Arras.  Déjà, le Destin tisse le fil qui va relier si étroitement Rousseau à la Révolution française.
Obligé de défendre ses  oeuvres,  il publie les Lettres écrites de la Montagne  (1764).  Elles seront condamnées à leur tour en Hollande et à Paris.  La même année  - Jean-Jacques a cinquante deux ans  -  il commence le récit de ses Confessions, qu’il achèvera en 1771.
 
Il reprend sa vie errante.  A Motiers, on lui jette des pierres.  Il se réfugie en juillet 1765 sur l’Ile Saint-Pierre, près du lac de Bienne, et c’est là qu’il commence ses Rêveries du Promeneur solitaire,  poursuivies pendant dix années, mais qui ne seront jamais achevées.  Rousseau est expulsé de l’île par les autorités, au mois d’octobre 1765. Il retourne à Paris, chez le Prince de Conti. Puis va en Angleterre, mais se brouille avec David Hume, le grand philosophe  empiriste (   ),  et revient en France, de nouveau chez le Prince de Conti,  mais sous un nom d’emprunt.  On le retrouve à Lyon, Grenoble, Bourgoin, et enfin de nouveau à Paris.
 
L’éducation demeure sa grande préoccupation.   Le chapitre IV de ses Considérations sur le gouvernement de la Pologne  (1771),  est consacré à l’éducation.  Dans les salons parisiens, pour mieux se faire connaître, Rousseau lit des extraits de ses œuvres, surtout Les Confessions. Mais même ses lectures vont être interdites par la police.
 
De 1772 à 1775,  il essaie de gagner sa vie en copiant des partitions musicales.  
Il écrit encore :  Rousseau, juge de Jean-Jacques,  pour se défendre contre l’hostilité générale, et y parle de l’Emile dans son Troisième Dialogue.
En 1776, il avait été accueilli à Ermenonville, chez le Marquis de Girardin.  Il y poursuivait la rédaction des Rêveries,  mais mourut d’un fort refroidissement, avant d’avoir achevé la Dixième Promenade, le 2 juillet 1778.  Dans la Neuvième Promenade, il avait encore repris une réflexion sur l’Education.
 
Jean-Jacques Rousseau fut enterré dans le parc d’Ermenonville.
 
En 1794, ses cendres  ont été transférées  au Panthéon.
 
Ce que sa mère  -  et on en revient à son problème existentiel  -  n’avait pas pu faire pour lui, ni son père si fantasque, et ce que lui-même par misère n’avait pu faire pour ses propres enfants,  ni pour des contemporains aveugles,  Jean-Jacques a voulu le faire pour la postérité.
Son masque mortuaire est empreint d’un sourire de paix et de lumière, comme s’il avait trouvé,  enfin,  le face-à-face consolant avec l’humanité à venir.
 
Nous aimerions poursuivre, dans les prochains numéros de La Voix… la présentation et la réflexion sur les œuvres de Jean-Jacques Rousseau.
 
Danielle Vincent.
  
N  O  T  E  S : 
 
( 1 )   Denis Diderot :   est né le 5 octobre 1713 à Langres et mort le 31 juillet 1784 à Paris. De ce grand penseur, découvert tard après plus d’un siècle, on retient notamment un écrit révolutionnaire contre l’Eglise :  La Religieuse (1780), qui  parut après Le Neveu de Rameau  (1762-1773), Le Rêve de D’Alembert  (1769), et la contribution à l’Encyclopédie  (1751-1772). Accusé d’athéisme et de matérialisme, les  positions de   Diderot ont été censurées et l’auteur emprisonné au château de Vincennes  dès 1749 où son ami Jean-Jacques Rousseau lui rendit visite.  A la suite de cette rencontre, Rousseau écrivit son Discours sur les Sciences et les Arts. 
Pour Diderot, le destin se revanche  à partir de 1750, lorsque d’autres pays reconnaissent sa valeur :  l’auteur est nommé à l’Académie royale des Sciences de Prusse, et  bibliothécaire de l’Impératrice Catherine II de Russie, qui le prend sous sa protection et l’aide financièrement (1761).
Ami de Rousseau,  il s’en écarte progressivement, surtout au sujet de leur vision antagoniste du rôle de la société, perçu négativement par le premier.
Diderot  a dirigé, avec Jean d’Alembert  (1717-1783) qui était Secrétaire perpétuel de l’Académie française, l’élaboration du Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers,  appelé l’Encyclopédie,   auquel ont contribué les membres de la Société des Gens de Lettres pendant plus d’une dizaine d’années, de 1754 à 1765. 
 
( 2 )   Montesquieu :   Charles Louis de Secondat, Baron de La Brède et de Montesquieu, est né le 18 janvier 1689 à La Brède, près de Bordeaux, et mort le 10 février 1755 à Paris.
Il écrit en 1721, les Lettres persanes, un roman satirique sur la société française de l’époque,
Puis, en 1734 :  Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence.  L’œuvre majeure de Montesquieu a été, en 1748,  De l’esprit des lois, portant sur l’organisation politique et sociale de la société,  au moyen d’une séparation des pouvoirs, annonciatrice des principes démocratiques. 
Montesquieu était membre de l’Académie française de 1728 à 1755,  également de l’Académie royale des Sciences de Prusse. 
Rappelons que l’Académie française avait été fondée en 1634 par le Cardinal de Richelieu, dans le but de « contribuer au perfectionnement et au rayonnement des lettres ».
 
( 3 )   David Hume :   est né le 7 mai 1711 à Edimbourg, et mort dans cette même ville le 25 août 1776.  Sa pensée, orientée vers l’explication matérialiste et l’expérimentation scientifique des phénomènes spirituels et mentaux, s’oppose donc aux philosophes de la pensée tels que Descartes, Blaise Pascal et les théologiens de tous les temps. David Hume ouvre ainsi la voie à la science expérimentale,  qui apparaîtra un siècle et demi plus tard.  Son scepticisme scientifique  ne pouvait s’accorder avec la vision idéalisée et romantique de Jean-Jacques Rousseau.  On doit à ce penseur britannique, formé à l’université d’Edimbourg, mais ayant aussi transité par la Collège de la Flèche, dans la Sarthe, le Traité sur la nature humaine  (1737),  les Recherches sur l’Entendement humain  (1746),  l’Histoire d’Angleterre  ( 1756-1761), et  L’Histoire naturelle de la religion  (1757). David Hume a influencé les grands penseurs des XIXe et XXe siècles comme Emmanuel Kant, William James, Edmund Husserl,  Arthur Schopenhauer,  Albert Einstein.
 
 L A  P H R A S E  D U   M O I S
 
 «  Il y a un excès de rigueur et un excès d’indulgence tous deux également à éviter.  Si vous laissez pâtir  (souffrir, ndlr) les enfants, vous exposez leur santé, leur vie (…);  si vous leur épargnez  avec trop de soin toute espèce de mal-être, vous leur préparez de grandes misères, vous les rendez délicats, sensibles, vous les sortez de leur état d’hommes dans lequel ils rentreront un jour malgré vous. »
 
                                                                    J.J.Rousseau,  Emile ou de l’Education,  Livre II.
 
S U P P L E M E N T : 
 
Nous voulons informer nos lecteurs que le Musée du Château d’Argent, créé en 2010, d’abord sous forme d’association, puis d’auto-entreprise  (dès le 1er janvier 2018), immatriculée à l’URSSAF (Siret : 30710358000030, APE : 9329Z) avec des entrées payantes,  a été spolié par Me MOHR, huissier à Ste Marie-aux-Mines, à partir du 11 décembre 2023.  Les nombreuses et très belles collections  ont été vendues illégalement.
En effet, aucune procédure de liquidation judiciaire n’avait eu lieu, aucune saisie non plus, ce qui est obligatoire pour toutes les entreprises.
 
Les superbes postes de radio du début 19OO à lampes apparentes,  acquis par Ariel durant toute sa vie au prix de nombreux voyages en France et à l’étranger,  les postes des deux guerres mondiales,  à 86 ans, on lui a tout pris. Une monstruosité.  Ces collections  pourront-elles être retrouvées ?
Le pire pour  moi,  c’est l’argenterie de  mes parents et les centaines de livres dont j’aurais  le plus besoin pour travailler,  mes livres de théologie et d’études universitaires, qui avaient constitué en partie la bibliothèque du musée, consultable sur place ; ces ouvrages auxquels je n’ai plus droit d’accès  depuis le 7 avril 2018, date à laquelle j’ai été jetée dehors  par l’huissier et deux gendarmes  (3 jours d’ITT),  et où les serrures de la villa Alice, 215 rue Clémenceau ont été changées :  nous n’avons plus jamais pu pénétrer dans ce lieu,  ni faire visiter le musée pendant 6 ans.
 
Cette villa ainsi que notre maison d’habitation avaient été saisies à la place du Grand’Hôtel.
 
J’ai prévenu le jour-même, longtemps, les acheteurs, de ce qu’il s’agissait d’un vol déguisé, et qu’ils seraient coupables de trafic d’objets culturels et de recel.  Ils se sont moqués de moi, et sont partis avec la commode contenant les cheveux de ma mère,  avec les tableaux et tant d’objets d’art qu’elle avait achetés péniblement à Strasbourg, et qu’elle aimait tant.
J’ai affiché ces avertissements sur des panneaux exposés sur les rebords de fenêtres, mais ils ont été systématiquement jetés dans un coin  de la cour.
 
La gendarmerie ne nous a pas pris au sérieux : elle ne connaissait pas le musée et ne comprenait plus rien à l’affaire. Nous avions l’impression que les petits  ont forcément toujours tort.
Un membre de notre famille nous a insultés. Un voisin est passé en souriant. Nous n’avons rencontré que de l’incompréhension et de l’hostilité,  mis à part deux ou trois vrais amis.
 
Nous avons porté plainte auprès du Procureur, averti les journaux régionaux et d’autres organismes s’occupant de protéger le Patrimoine.
 
Ce musée  était destiné à revenir à la Ville de Ste Marie-aux-Mines, à l’instar du musée d’Arts décoratifs de la Ville de Barr :  le Musée de la Folie Marco. 
 
 
Toutes les collections sont visibles sur internet,  sur le site :
 
www.museechateaudargent.com 
 
Obtiendrons-nous un jour un peu de compréhension ?
 
Ariel et Danielle Vincent.
29 décembre 2023.
 
                                                        Château d’Argent :  transmettre le savoir.
  
La Voix dans le Désert. Mensuel du Château d’Argent.
Directrice de publication : Danielle Vincent.
Editions du Château d’Argent, 185 rue de Lattre Tassigny, 68160 Ste Marie-aux-Mines.
Mise en page et impression :  ZAPA Informatique.
ISSN :  2650 - 67 225.
Dépôt légal :  1er trimestre  2024.