Musée du Chateau d'Argent

Journal juillet 2021

L A  V O I X   D A N S   L E   D E S E R T 
Mensuel du Château d’Argent - N° 28 - Juillet 2021 
 
LUCIEN JENN 
Curé de Bischoffsheim  
LE  JOURNAL  D’UN PRETRE ALSACIEN  EN  CAMP  DE  CONCENTRATION. 
 
LE  CAMP DE CONCENTRATION SCHIRMECK – STRUTHOF
PENDANT LA PERIODE FRANCAISE 
1 9 4 5
E X P E R I E N C E S     E T     D O C U M E N T S
(12 janvier 1945  -  24 décembre 1945) 
 
Première traduction française intégrale, introduction et notes par   
Danielle  VINCENT. 
  
-  IV  -

(Suite de La Voix dans le Désert, n° 25, avril 2O21 ;  n ° 26, mai 2O21 ; n° 27, juin 2O21).

 

Le temps passe. Nous voici à la mi-juin 1945. La vie quotidienne du Struthof français continue à révéler ses horreurs et ses abus de pouvoir. Les détenus trouvent consolation dans la lecture : une bibliothèque intéressante est approvisionnée au camp par les prêtres et les pasteurs ; il y a aussi les réunions de chant, les célébrations liturgiques, le plaisir enfantin des images que l’on distribue, celui d’un carré de chocolat offert par une bonne âme, le réconfort de la nature dans un cadre que les prisonniers et notre auteur trouvent magnifique : ils se plaisent mieux au Struthof qu’au camp de Schirmeck ; enfin, la possibilité de venir parler avec un prêtre, se confesser, tout cela fait qu’on trouve la force de supporter, jour après jour, un destin dont on ne connaît pas l’issue.
Les mois passant, on découvre toujours plus le caractère irréductible, épris de vérité, de Lucien Jenn. Il regrette la souplesse diplomatique de l’aumônier du camp ainsi que de la hiérarchie catholique, les revirements de cette dernière ( 1 ) qui choquent l’orientation politique de tant de prêtres alsaciens, dont certains, comme l’abbé Brauner, ont été de véritables martyrs de l’épuration. Il déplore la mollesse des Alsaciens, qui ne savent pas défendre leur idiome régional ( 2 ). Il veut remettre les pendules à l’heure au sujet des camps de concentration nazis, à la suite de témoignages qu’il reçoit d’anciens déportés, et laisse supposer que la haine aveugle a, chez le vainqueur, tourné la tête des historiens, des autorités, et remplacé une violence idéologique par une autre. Notre auteur croit découvrir certaines outrances et affabulations ( 3 ). Le journal de captivité de l’abbé Jenn n’est pas seulement un témoignage vécu, c’est un document. Il a été occulté parce qu’il remet en cause beaucoup d’idées reçues, un  politiquement correct, une pensée unique, qu’on est culpabilisé de refuser. Cinq siècles après Galilée, la pensée indépendante et la réalité des faits, quand elles contredisent l’opinion générale, ne sont toujours pas acceptées. En cela, Lucien Jenn est un lanceur d’alerte pour notre temps. Mais, comme il le dit si bien : « Depuis toujours, on a fait taire les lanceurs d’alerte » (17 juin 1945). 
 
16.6.45  Le tailleur de parements, Schweitzer, m’a dit aujourd’hui que, seuls les Allemands du Reich qui avaient été faits prisonniers par la Première Armée française, seraient libérés. Les femmes allemandes avaient pleuré, car elles ne le seront pas. Les Allemands du Reich n’auraient plus besoin de modifier leur numéro sur la poitrine et pourront aussi supprimer les bandes blanches à leurs pantalons. Ce matin, nous avons mangé un peu de miel au petit déjeuner, et à 1Oh un morceau de pain noir avec un carré de chocolat offert par Madame Hess de Bischoffsheim.
Le Père Fleischmann m’a donné le bonjour de Lucienne, qui est à la clinique St Arbogast de Strasbourg. M.Timothée Meyer de Bischoffsheim est mort après huit jours d’agonie, de même que Mademoiselle Félicité Geissel, la sœur du maire actuel.
Ma requête auprès de l’Evêché a été acceptée, d’après ce que m’a annoncé le P. Fleischmann. M. l’abbé Lang l’en a informé. Je ne sais pas encore si je pourrai obtenir une année de convalescence ou si je serai définitivement mis à la retraite. Les deux prêtres résidant au Mont Ste Odile (Rauch, Cridlig) ( 4 ), m’ont envoyé le bonjour. Mon frère a peint l’image du Christ au-dessus de notre autel familial avec des touches de couleur. Elle est devenue très belle. Devant notre baraquement, les jardiniers ont aménagé une croix de guerre avec du sable de différentes teintes. Quand le commandant est venu voir ce chef d’œuvre, je me suis éclipsé. Mais il m’avait aperçu quand même et m’a fait dire que je ne devais plus me faire voir en soutane. Au gardien, qui ne voulait pas que je sois en chemise rayée de prisonnier, j’ai répondu qu’on me fasse venir de Schirmeck un costume de détenu, et que je m’habillerais tout aussi bien de cette façon, si on l’exigeait. Le Christ avait bien dû enfiler l’habit des fous.
Hier soir, on a annoncé la première réunion de répétition de la chorale catholique. Cinq hommes environ sont venus. Quand les Protestants ont leur réunion de chant, la salle est tellement remplie, que je dois prêter au pasteur Neumann un banc de ma chambre.
 
17.6.45 Dimanche. L’Introït de la messe de ce jour, de même que l’Epître, le Graduel et la Communion, sont en eux-mêmes de très belles homélies pour le camp. Dominus illuminatio mea et salus mea quem timebo ? Dominus defensor vitae meae, a quo trepidabo ? Qui tribulant me inimici mei, ipsi infirmati sunt et ceciderunt (Ps. 26). Si consistant adversum me castra (KZ sic) : non timebit cor meum ( 5 ).
L’Epître : Fratres existimo quod non sunt condiguae passiones huius temporis ad futuram gloriam, quae revelabitur in vobis.
L’Alleluja : Deus qui sedes super thronum et judicas aequitatem, esto refugium pauperum in tribulatione (Ps. 9) ( 6 ).
Communion : Dominus firmamentum meum et refugium meum et liberator meus : Deus adiutor meus (Ps. 17) ( 7 ).
Malheureusement, la prédication a dû être tenue en français, selon la nouvelle ordonnance. Quelle irresponsabilité ! Pas seulement envers les Alsaciens qui, la plupart, à un âge avancé, ne comprennent pas le français, mais aussi à l’égard des nombreux Allemands du Reich, qui ne comprennent vraiment que la langue allemande. Je n’y peux rien, mais une telle étroitesse d’esprit me révolte intérieurement. Alors qu’en France, il y a une « Ligue des Droits de l’Homme ». Vult mundus decipi ( 8 ). Comme les Alsaciens sont donc aveugles et déroutés, pour se laisser mettre un tel joug sur le cou ! Celui qui se révoltait contre une chose aussi contre-nature passait immédiatement pour être suspect et se retrouvait vite derrière des barbelés. Depuis toujours on a fait taire les lanceurs d’alerte. Ce qui était raison et sagesse, « les ténèbres ne l’ont pas compris » ( 9 ). 
Les Protestants chantent en allemand. Le commandant le leur a permis. Le P. Fleischmann a dit qu’ils pouvaient bien le faire, puisqu’ils ne sont ni employés ni payés par la Préfecture (1O ). Je pourrais (mais lui aussi) perdre ma place !
Les musiciens du camp (et Fischer parmi eux) ont joué cet après-midi dans les baraquements et, après la partie musicale, ils ont collecté des vivres. C’est authentique : le théologien de Baulin (de Paris) a dû chanter une chanson devant un petit cochon, pendant qu’un codétenu devait nettoyer les pattes du cochon avec une brosse à dents, alors qu’un troisième devait lui chercher les puces. C’est ce que m’a raconté un paysan, Alois Munsch de Moosch. C’est ainsi que nous faisons avec les curés.
Joseph a peint une Mater dolorosa. De nouveaux livres sont arrivés aujourd’hui pour notre bibliothèque de prisonniers. S’ils pouvaient relever ceux qui sont courbés et leur apporter la distraction et le loisir dont ils ont besoin, mais aussi l’instruction, la consolation et la joie spirituelle !
Les Allemands du Reich, entourés des habitués du camp, ont chanté des chansons populaires allemandes avant d’aller se coucher : « Je voudrais retrouver ma patrie », « Bon soir et bonne nuit ! » . L’exécution en a été parfaite. Dans notre baraquement, les Alsaciens ont chanté la mélodie préférée de ma mère : « Une épouse estimée, un enfant charmant, c’est le ciel sur la terre ».
Aujourd’hui j’ai fini de lire le drame de Calderon : El magico prodigioso, Le merveilleux magicien ( 11 ). Le drame parle de la légende de St Cyprien et de Ste Juliana. Il faut en citer un passage, qui exalte la miséricorde de Dieu :
« Ah, il n’y a pas au ciel autant d’étoiles, ni autant d’étincelles dans le feu, ni autant de grains de sable dans la mer, ni dans la lumière autant de reflets, ou de plumes dans l’air, que Dieu ne puisse pardonner de péchés » (p.24O).
Le ciel est ce soir très clair et sans nuage ; une merveilleuse nuit de juin ! Au loin, le dernier chant des merles retentit doucement dans le murmure de la forêt. Tout près, le projecteur de la tour de garde n’est pas encore allumé. Je vais aller me reposer, après avoir disposé devant la fenêtre les bouquets odorants de marguerites et de digitales.
Que va apporter la semaine qui vient ? Ce que Dieu voudra, donc toujours du bien. Sois-en réjouie, mon âme, sois heureuse et confiante ; Dieu est mon berger, il ne te manquera rien.
 
18.6.45  L’abbé Pabst veut récupérer son nécessaire pour la messe. Il faut donc que je fasse venir de la maison mon propre calice. Entre-temps, le P. Fleischmann me mettra le sien à disposition. Il fait une chaleur d’été, très favorable au regain que l’on coupe en ce moment, mais les paysans qui devraient rentrer le foin pour l’hiver, sont ici à se morfondre et à s’ennuyer, et jouent du Skat ou du Taertele dans les baraques.
J’ai fini de mettre au point le répertoire des livres. Le besoin de lecture est très grand. A tout moment, on frappe à la porte, mais je ne peux malheureusement pas toujours répondre aux demandes. On a fait beaucoup de bien avec ces prêts d’ouvrages. J’ai donné carte blanche à mon aide ménagère, Marie Lenhart, pour chercher mon courrier au guichet de la poste. La guichetière s’est cru autorisée à refuser la remise de son argent à ce « traître à la Patrie ».
Comment va notre sœur Martha ? J’attends des nouvelles tous les jours ; que Dieu lui donne de pouvoir tout surmonter dans son âme et son corps. Comme ce serait beau, de pouvoir passer encore quelques années ensemble, dans la paix et la convalescence ! Le travail ne me manquerait sûrement pas. Qui sait ce que Dieu a comme plans pour moi ?
« O Seigneur, aide-moi dans mon quotidien ; là où Tu me veux, ce sera bien. Plonge-moi dans le feu ou dans l’eau, dans les fleurs ou dans le sang » . ( Joh.Sorge) ( 12 ).
Vers 8h, le facteur m’a apporté  cette carte de la Croix-Rouge : «  Monsieur le Curé, J’ai l’honneur de vous informer, que le Conseil épiscopal a décidé, dans sa séance d’hier, d’accepter votre demande d’admission à la retraite définitive et je vous l’accorde dès votre libération. Veuillez recevoir, Monsieur le Curé, l’expression de mes sentiments bien dévoués, in Christo ». Strasbourg, le 13 juin 1945. Signé Joseph Lang, Secrétaire général.
Ma vie se trouve à un tournant. Oh Seigneur, ton enfant cherche ta main. Père, toi, conduis-moi !
 
19.6.45  Le nouveau préfet du Bas-Rhin s’appelle Cornut-Gentille. P. Fleischmann veut défendre à mon frère de prendre les repas au bureau avec moi. Je m’opposerai à cette mesure arbitraire, dictée peut-être par en-haut, aussi longtemps que je pourrai, même si finalement je dois de nouveau retourner au baraquement ; une seule chose me serait difficile à supporter, le possible renoncement au St Sacrifice de la messe. Ce comportement, dépourvu de charité, du P. Fleischmann, vient de sa crainte tragique vis-à-vis du commandant. Il ne veut pas lui déplaire ni s’exposer ainsi au risque de « perdre sa place ». De cette façon, le P. Fleischmann se laisse lier pieds et mains. Les détenus ont remarqué cette « attitude diplomatique », et de la sorte, l’influence pastorale du père est fortement compromise. Le souhait de certains détenus de bonne foi, serait qu’il soit remplacé.
Au sujet de l’éducation, précisément de l’enseignement religieux pour les enfants plus âgés du camp, l’institutrice, Mademoiselle Charrois, prétend que le Père est plié comme un couteau de poche. Melle Charrois s’est beaucoup irritée de ces courbettes et de cette flagornerie devant le commandant. Un enseignant est encore venu chez moi tard le soir, pour me supplier de demander au P. Fleischmann de soulever encore une fois la question de l’enseignement chez les adolescents, lors de son entrevue, demain, avec le nouveau préfet. Car cette éducation est d’intérêt public. En Orient, l’influence française a été avant tout celle de l’école.
 
2O.6.45  On raconte dans le camp, que deux FFI auraient nettoyé leur revolver. L’arme est partie et l’un a été atteint dans la région du cœur : il s’est effondré, mort.
 
21.6.45  Fête de St Aloysius. Le chef de la Sûreté nationale est ici. Les Allemands du Reich doivent tous s’avancer pour l’appel. Que se passe-t-il ? L’heure de la libération a-t-elle sonné pour eux ? M. Spitz, d’Epfig, vient de me raconter qu’un des FFI aurait voulu épauler son fusil chargé. Le coup est parti et la balle lui a traversé jusqu’à l’arrière de la tête. Le malheureux est mort sur le champ. Ces deux accidents rapportés, ne sont-ils pas le même ?
A l’instant, deux jeunes de la Hitlerjugend sont portés, évanouis, devant ma fenêtre. Plusieurs Allemands du Reich sont emmenés sous surveillance avec, dessinées sur le dos, de grandes croix blanches ( 13 ). Comme je l’ai appris par la suite, ils ont été saisis comme otages parce que deux jeunes Allemands du Reich se sont fait la belle ce matin, à travers la clôture. La sirène a hurlé autour des postes de garde, pour alerter la police au sujet des fugitifs. « Si un autre s’échappe de nouveau, cinq de ces otages seront fusillés » a averti le commandant.
Tous les Allemands du Reich sont de nouveau marqués de cercles blancs autour des jambes et de croix blanches, afin de rendre plus difficile toute évasion.
Joseph, mon frère a accompli l’exercice de punition (couché, debout), parce qu’ils ne sont pas arrivés assez vite.
Un Allemand du Reich avait gardé les habits de l’un des fugitifs. On les a découverts et le receleur a été mis au Bunker , tandis que les otages ont de nouveau été libérés.
 
22.6.45  Le gros orage d’ hier soir a fortement endommagé les arrangements de sable coloré, représentant l’étoile soviétique, la croix de guerre, des fleurs, un moulin, une ancre, et la cathédrale de Strasbourg.
Tous ceux qui ne sont pas Allemands du Reich ont été transférés de la baraque XV dans les autres baraquements. Les anciens légionnaires ont pu rester. Je viens de lire, dans un poème d’Ernst Zahn, ( 14 ) les vers suivants :
« De loin, j’entends le vacarme du monde,
Celui de la mésentente éternelle des peuples,
Et j’entends hurler le loup de la guerre,
Croasser et crier le corbeau du malheur ».
Le détenu qui vient de chercher un livre s’appelle Jung. Il m’a raconté qu’il était SS. Il est tatoué au bras gauche et m’a montré la marque : Groupe sanguin AB. Le fourreur strasbourgeois M. Baltzer m’a raconté que le commandant a menacé les trois jeunes de la Hitlerjugend , qui ont été enfermés comme otages et de nouveau libérés, d’être maintenant fusillés. Il les a fait placer devant la mitrailleuse où une bande de cartouches avait été engagée. Et on leur a ordonné de courir. Ainsi on pourra dire qu’ils ont été abattus en voulant s’enfuir.
« Nous étions trempés de sueur, quand on nous a fait cette menace », a dit le jeune qui a relaté l’événement à M. Baltzer. Le chef du Bunker a été très bon pour eux. Ils auraient même obtenu de lui une faveur supplémentaire en raison de leur jeunesse. « Nous nous disions », ont raconté les jeunes par la suite, « que, si la menace avait été exécutée, nous serions quand même morts pour notre Patrie ! ». Un des jeunes avait seize ans.
A Strasbourg, cinq cents détenus de la Gallia ( 15 ) ont de nouveau été déportés dans les camps de Schirmeck et du Struthof : deux cents à Schirmeck et trois cents ici. Les rêts de la déportation ne sont toujours pas lâchés.
 
23.6.45  Enfin des nouvelles de ma sœur Martha. Elle est à l’hôpital, doit être encore bien examinée et surtout radiographiée. Lucienne a rencontré la tante en ville ;  elle était si affectée en la voyant, qu’elle s’est cognée contre un lampadaire et se promène encore aujourd’hui avec un œil au beurre noir.
A l’évêché, on a fait cette remarque : Si M. Jenn n’avait pas commis l’imprudence de rentrer à la maison, il serait encore au Mont Ste Odile. M. Catala, de la Préfecture, affirme que les prêtres officiels des camps ont le droit de prêcher en allemand et en français, mais les prêtres détenus, seulement en français. (« Parlez peu, mais français »).
Dans la lettre pastorale au sujet du nouvel évêque coadjuteur (J.J.Weber) ( 16 ), l’évêque Mgr Ruch ( 17 ) s’étend longuement sur le passé militaire du nouvel élu, une activité qui, en réalité, est défendue à un prêtre par le droit canonique. Je trouve que ce commentaire n’est pas à sa place, de la part d’un évêque, car s’il était justifié, le droit canonique aurait depuis longtemps supprimé ce paragraphe. Même si de grandes qualités morales sont requise chez un soldat : discipline, courage, sens du sacrifice, le prêtre doit avoir les mêmes vertus, excepté qu’il ne peut avoir l’obligation de tuer. Au prêtre, s’applique l’ancien adage : Je ne suis pas là pour haïr, mais pour aimer. Pourquoi, dans cette lettre de Mgr Ruch, les services et les mérites de Mgr Douvier sont-ils totalement passés sous silence, alors que les vicaires généraux Kretz et Kolb ( 18 ), qui ont quitté, sont mentionnés avec des honneurs ? A ce silence et cette ingratitude, ne faut-il pas voir de nouveau une malheureuse cause politique ? Ce silence volontaire (et vexatoire), sur une activité certainement plus difficile et plus lourde de responsabilité, a dû être douloureux pour Mgr Douvier ! Dans la lettre pastorale, Mgr Ruch précise aussi que son coadjuteur est un Alsacien. « Rien ne manque, pas même la connaissance du si précieux dialecte ». La familiarité avec la langue allemande, que Mgr Weber possède aussi, ne pouvait évidemment pas être mentionnée. C’aurait été une imprudence, en ces temps agités par la politique. Espérons que Mgr Weber ne suivra pas le vilain exemple de Mgr Hincky ( 19 ) et ne prêchera pas dans ce précieux dialecte qui nous est si cher à nous autres, Alsaciens. En chaire, il faut une langue académique ! ( 2O )
Mgr Ruch poursuit : « Il était un Alsacien, et rien de ce qui est alsacien ne lui était indifférent ou étranger (et maintenant vient un signal fort) ( 21 ) :  il ne se mêlait assurément pas de choses qui ne le regardaient pas. Il n’appartenait à nulle classe, à aucun groupe ou parti ». Les prêtres alsaciens qui s’engagent pour la défense de l’identité régionale, dans notre petite Heimat, ( 22 )sont certainement ceux qui « se mêlent de régler des choses qui ne les regardent pas » ; c’est pourquoi, il est parfaitement juste (ou plutôt injuste), qu’ils soient punis à Schirmeck ou au Struthof ( 23 ).
Comme le peuple alsacien attend ardemment de son évêque une parole éclairante, avisée, apaisante et consolatrice au sein des funestes errances actuelles ! Un mot de sa part serait un baume sur les plaies ( 24 ) irritées et ouvertes par la haine et la soif de vengeance. Toutes sortes de forfaits écoeurants ont été commis ces derniers temps. S’agit-il là aussi de « choses qui ne regardent pas un évêque » ?
Il est écrit ensuite que notre futur évêque «  s’est adonné à ses études de théologie… dans un contexte où la langue française était plus couramment utilisée qu’en Alsace, et où l’esprit, la règle, les traditions, la vie spirituelle pouvaient s’épanouir sous l’influence française ». Donc, pas en Alsace, où c’est plutôt « un esprit fleurissant sous l’influence allemande et où la langue de l’Allemagne est la plus utilisée ».
Dans un écrit de propagande contre le National-socialisme : « Cent millions de catholiques martyrs » (publication du Bureau d’information allié), on déplore que : « En violation des termes du Concordat, ( 25 ) des prêtres allemands ont été forcés de servir au front comme de simples soldats ». Ceci n’est pas vrai non plus : car tous les diacres ou prêtres enrôlés ont été placés dans le service sanitaire. Notre évêque coadjuteur est évêque titulaire de Messine. Il sera consacré le 29 juin, lors de la fête du Prince des Apôtres. Que Dieu lui donne sa grâce et sa bénédiction. Que son temps d’activité soit favorable à notre petite Heimat ! Plus loin, on peut lire dans la même brochure : « Malgré la pénurie d’aumôniers militaires dans l’armée allemande, il est défendu aux prêtres-soldats d’accomplir leurs devoirs sacerdotaux, notamment de célébrer la messe ».
Ah, ah ! Quand deux font la même chose, ce n’est pas la même chose. Des mois durant, je ne pouvais, je n’avais pas le droit de lire la messe. Tout exercice de mon sacerdoce m’a été interdit dans le camp, apparemment parce que j’aurais abusé, en faisant de la propagande anti-française, de l’autorisation qui m’avait été donnée. Et pourtant, le P. Fleischmann aurait fort besoin d’une aide.
 
24.6.45  Dimanche. L’homme qui, dans ma paroisse de Bischoffsheim a été tellement maltraité, est M. Henrion. On lui a entaillé tout le visage. On a coupé les cheveux de sa femme – des bêtes sauvages ! Le village est occupé, paraît-il, par la police pour empêcher que d’autres exactions soient commises par la populace. Le maire Geissel a regardé tranquillement et n’est pas intervenu pour éviter une telle honte à son village. Quand une pétition a circulé dans la localité pour demander ma libération, c’est lui qui a signé le premier. Je peux à peine le croire, alors qu’il avait aussi ratifié mon ordre de détention !!
Dans les Dernières Nouvelles d’Alsace du 19 juin 1945, on peut lire la communication suivante : « Le Pape aux Catholiques français. A l’occasion de l’apostolat de prière dans la basilique de Montmartre, le Pape s’est adressé dans un français parfait aux Catholiques de France. Il a exhorté les Français à pratiquer la charité sociale, la fraternité dans l’esprit de la réconciliation, dans l’ordre et la sérénité. En un mot, de vivre dans la paix ».
Dans L’Alsace Libérée du 24-25 juin 1945, on peut lire sous le titre : « Epuration, keine Anarchie » ( 26 ) l’exhortation suivante : « Il arrive toujours de nouveau que des citoyens se mettent à faire justice eux-mêmes, et s’en prennent aux personnes, aux biens matériels qui ne sont pas remplaçables, et les saccagent aveuglément, de sorte qu’ils détruisent un bien national. Tous sont d’accord pour dire que l’épuration n’est pas allée aussi loin que nous le souhaitions ( ??? sic ). Cependant, à l’heure actuelle, étant donné que nous avons un nouveau Commissaire régional et un nouveau Préfet, nous devons accorder totale confiance à ces représentants du gouvernement. Comme l’a révélé la presse, ces deux sont de vrais ( ? sic) résistants, pleins de bonne volonté. Mais leur action ne doit pas être perturbée par des tentatives de faire justice soi-même. Tous les patriotes devraient, en conséquence, se comporter paisiblement et éviter l’auto-justice, c'est-à-dire l’anarchie » (Ru sic) ( 27 ).
Dans Le Nouveau Journal de la même date (24 – 25), il est fait mention de « nos anciens demi, trois quart ou entièrement nazis qui, à Schirmeck, dans la fraîcheur estivale et même à l’intérieur de la zone de contrôle américaine, jouent les grands seigneurs ».
Si « le père qui attend le retour de son enfant » savait seulement à quoi ressemble cette « fraîcheur estivale », il n’en prendrait pas aussi plein la bouche. L’injustice reste l’injustice, de quelque côté qu’elle vienne.
Le chef des paysans ( 28 ) de Rosheim ( 29 ) a rencontré au Moulin Kordan, Charles-Güst ( 3O ) de Bischoffsheim (Auguste Kirmann, de la ruelle du presbytère). Ce dernier reproche au Bauernführer d’avoir eu partie avec les Boches : « Min Harz hett des nit züaglosst, mit däne ze schaffe » ( 31 ). L’autre lui a répondu : « Je n’ai employé mon poste que pour le bien de mes paysans et pour les aider ». Le Gust avait chargé un extra de deux sacs de blé en plus de ce qui était convenu et autorisé, et a demandé au meunier de les moudre en plus. « Güst », a dit le Rosheimois, « si ton cœur est si français, si tu es si patriote, ta conscience te permet-elle de faire moudre du grain en surplus ? Tu devrais donc l’offrir pour le bien public et le déposer sur l’autel de la Patrie ».
 
26.6.45  Les prisonniers allemands du Reich ont dû aujourd’hui dresser une liste de nouveaux renseignements à fournir : où ils ont été arrêtés, et où se trouve leur domicile. Un nouvel espoir traverse leurs rangs et leurs cœurs. Est-ce que l’heure de la délivrance sonnera bientôt, ou soufflera-t-il un vent mauvais qui soulèvera les branches chargées des fruits de liberté tellement haut, qu’ils ne pourront plus être cueillis ?
Dans le livre de prières de l’Eglise se trouve l’oraison : « Pro constituto in carcere vel in captivitate » ( 32 ). Je vais l’insérer de temps en temps dans ma messe, pas individuellement, mais collectivement. Prière : « Deus, qui beatem Petrum Apostolum in vinculis absolutum illae sum famulorum tuorum in captivitate…famulos tuos a vinculis suae captivitatis absolve… » ( 33 ).
En 1928, à Saarbrück, un astrologue a fait une conférence et a dit ceci : en 1939 ou 194O, il y aura une guerre entre l’Allemagne et la France. L’Alsace sera allemande pendant quatre ans et aura beaucoup à souffrir. Après, elle sera de nouveau française quatre années durant, et ensuite, aura définitivement la paix.
 
29.6.45  Tout était emballé et prêt pour le déménagement. C’est alors que le père est venu, en compagnie du commandant. Le résultat de l’intervention ? P. Fl. peut conserver le bureau. Après coup, le commandant a fait dire, par M. Schwartz, que le lit sera sorti du bureau. Le commandant n’osait apparemment pas le dire personnellement au père. Ne nous énervons pas sur toute cette histoire. Je peux au moins lire la Ste messe tous les matins, et c’est l’essentiel. Comme le dit l’Imitation : « Etre avec Jésus, c’est le doux paradis ! ».
Les avertissements viennent trop tard, mais ils arrivent. Dans l’Alsace ( 34 ) du 15 juin, on peut lire : « Contre le lynchage. Nous saluons l’appel suivant, clairement et ouvertement exprimé, de M. Goetz, sous-préfet de Mulhouse : les incidents se multiplient en ville et à la campagne. Les personnes à qui l’on reproche à tort ou à raison d’avoir collaboré, sont maltraitées et même assassinées. Ces méthodes son indignes des hommes libres, car la liberté comporte non seulement des droits mais aussi des devoirs. Nous avons souffert trop longtemps des crimes d’un ennemi barbare et inhumain, et nous ne cautionnerons pas les méthodes que nous avions toujours réprouvées. Il ne peut être toléré que chacun règle personnellement ses comptes avec celui auquel il a quelque chose à reprocher. Ceci est l’affaire de la justice et de l’administration.
« Je m’occuperai avec la plus grande célérité de tous les cas qui me seront soumis, mais je suis aussi résolu de préserver l’ordre public, et de punir avec les moyens prévus par les lois de la République, tous ceux qui le troublent.
« Si l’intérêt de l’ordre public l’exigeait, je me verrais contraint de demander un durcissement de l’interdiction de sortie, mais j’espère que je trouverai de la compréhension et ne serai pas obligé de recourir à ces mesures extrêmes ».
Il y a, juste à la suite de cet article, un avertissement émanant d’un prêtre revenu de Dachau : « Pendant la grand’messe de la fête des Reliques, le curé de Molsheim, revenu de Dachau, M. le Chanoine Bornert ( 35 ), a condamné de façon claire et sans équivoque certaines méthodes de lynchage qui ont été utilisées à Molsheim.
D’autre part, la Commission du Comité de Libération s’est occupée du problème de la jeunesse et a demandé l’assentiment du gouvernement pour pouvoir utiliser des sanctions contre de telles méthodes, et particulièrement pour mettre en chantier le travail d’éducation de la jeunesse. Quelques jours auparavant, le maire et ses adjoints, nommés par le FFI, ont fait publier et afficher de même une déclaration contre cette justice du lynchage ».
Et de nouveau, il en est question, dans l’Elsässer du 23 juin 1945 : «  Quand la justice du lynchage devient de l’anarchie. Il importe de parler ici ouvertement. Au cours des deux ou trois semaines passées (donc encore maintenant !), des faits vraiment scandaleux ont été signalés à Schiltigheim, dans le quartier de la route de Brumath, en face du nouveau pont de chemin de fer, des faits qui menacent de se produire aussi de l’autre côté du pont, si les responsables ne mettent pas enfin un frein à ces crimes. Une fois de plus ( ! sic ), des bandes de jeunes voyous de 15 à 19 ans, armés de gourdins et de ciseaux, se réunissant le soir, ont assailli des jeunes filles et même des femmes mariées, sous le prétexte qu’elles s’étaient, d’une façon ou d’une autre, compromises pendant l’occupation. Ces personnes de sexe féminin ont été maltraitées de la manière la plus sordide ; ces tristes sires leur ont aussi arraché en partie les vêtements et coupé entièrement les cheveux ; dans un cas, ils les ont littéralement arrachés de la tête de sorte qu’un morceau de chair est parti avec ; les personnes sans défense ont alors été promenées à travers les rues sous les hurlements sauvages de ces jeunes gangsters. Certaines fois, des familles ont été assaillies dans leur logement ; alors qu’elles s’étaient barricadées chez elles, ces bandits, après avoir enfoncé la porte d’entrée ou la fenêtre, se sont rués dans l’appartement et ont traîné les victimes hors de la cave où elles s’étaient réfugiées. Au cours de la nuit, à 2h et demie, un habitant a été tiré du lit – le couvre-feu de 1Oh est toujours en vigueur - et a été malmené de façon tellement cruelle, qu’il est resté là, baignant dans son sang. Plusieurs fois il y a aussi eu des vols : linge, vaisselle, argent, ou tout ce qui tombait sous la main, a été emporté.
« Dans leur effronterie, encouragée par l’impunité, les voyous sont allés si loin, qu’ils ont annoncé le jour d’avant, à qui le tour pour le lendemain. Les honnêtes gens, parmi la population, sont révoltés au plus haut point contre ces choses. Il est grand temps que les autorités, auxquels on reproche cette carence, opposent d’énergiques sanctions à ces méthodes nazies et anarchiques. Malgré les exhortations et avertissements de ces Cassandre (Note ), la bestialité des voyous va toujours croissant ».
Pendant que j’écrivais les lignes ci-dessus (en allemand , n.d.l.r.) , mon frère et M. Eschbach sont arrivés chez moi et m’ont appris que M. Briemel de Bischoffsheim avait amené un camion rempli de « victimes » en piteux état : on les avait battus comme du plâtre ( 36 ). Parmi eux se trouve M. Spehner, Ortsgruppenleiter ( 37 ) de Bischoffsheim. Il a été terriblement arrangé. Son épouse et le petit Ludwig ont été amenés aussi. Hier, il y en a de nouveau quatre qui se sont échappés : un légionnaire, un membre de la Croix Rouge et deux autres de la baraque XII. Comme des habits et du pain ont allemands et français). Parmi eux se trouve M. Spehner Ortsgruppenleiter (Note : chef de localité) de Bischoffsheim été volés (par une falsification des numéros du pain), l’évasion semble avoir été bien préparée. Un prêtre prisonnier de Paris, F. de Baulin, d’origine russe, m’a donné un de ses poèmes ; ils ouvrent la voie vers un plus bel et plus heureux avenir.
Un détenu du PC (Poste Central) m’avait apporté sur un billet les noms des gens de Bischoffsheim conduits ici. Spehner Louis, avec sa femme et son fils ; Mme Jeanne Munch avec quatre enfants ( ! sic ), Kirmann Jeanne. Le petit Louis Spehner était là et m’a apporté les première nouvelles. Le maire, de suite à la gare, a tabassé le père qui voulait continuer avec le même train dans lequel la famille Spehner était arrivée. Le jeune Fessel a accusé le petit Spehner de lui avoir dessiné une tête de mort sur le dos, une pure invention. Celui qui a voulu se faire valoir pas ces sévices était Armand Obrecht (familièrement Schlosser Armand). Il veut donc se marier. Si celui-là traite une fois sa femme - la victime de sa passion - comme il traite les victimes de sa haine, elle pourra se remercier ; son ciel ne sera pas garni de violons.
Le baraquement XII est arrivé à l’instant, et déjà on en a emporté deux. Ont-ils été battus ? Se sont-ils évanouis de peur ? Des sentinelles entourent les files avec des armes chargées. Tous les visages sont graves et préoccupés.
Pendant que j’écris ces lignes, un bruit résonne devant ma porte. On entend des invectives. Il y en a un qu’on est en train de passer à tabac. C’est celui qui était le plus âgé de la chambre et qui avait volé un vêtement ; hier, le chef du baraquement en avait parlé.
Le troisième qui s’est évanoui est déjà en train d’être évacué. Le soir, je suis allé à la baraque XIII pour effectuer mon quartier de nuit. A peine me suis-je trouvé devant le baraquement, que la sentinelle, portant l’étoile russe ( sic) sur la poitrine, m’a demandé ce que je faisais ici.
J’ai répondu : « M. le commandant a ordonné que je dorme dans la baraque XIII ». Il ne semblait pas vraiment me croire.
Les Allemands du Reich ont dû rendre ce soir tous les objets inutiles. Cet ordre a été donné apparemment pour court-circuiter le trafic de pain et d’échanges. Nous autres, de la baraque XIII, avons dû porter ces paquets au magasin. Il y a eu alors un petit incident. Un surveillant agressif, du nom de Kopf ( ? sic ) a crié : « Le curé est là, et il n’a encore rien ! ». Quand j’ai emballé avec mon frère, quelques vêtements dans une toile de tente, le même a hurlé, en colère : « Entassez cela bien consciencieusement ; le curé peut aussi travailler pour une fois ! » Je l’ai regardé tranquillement. « Pourquoi me regardez-vous ainsi par en-dessous ? On ne vous croit pas, parce que vous n’osez pas regarder les gens en face. Vous me regardez comme si je vous devais quelque chose ! » Le commandant se trouvait là, dans une posture napoléonienne, et riait. Je continuai mon chemin, aidé par mon frère, avec mon paquet. Alors un surveillant, qui nous accompagnait, m’a dit : « Donnez-moi le paquet et retournez dans votre baraque ». L’attitude offensante dont j’avais été victime, avait écoeuré ce brave homme, et il voulait se montrer charitable à mon égard. « Pourquoi es-tu si pâle ? » demandai-je à mon frère, lorsqu’il revint au baraquement. « Une colère m’a pris, et j’aurais bien voulu sauter à la gorge de ce type ! ».
 
3O.6.45  Pour la quatrième fois, j’ai oublié mon savon dans les douches. Je me fais vieux et je perds la mémoire. Deux morceaux de ce savon de Marseille, si rare et précieux me sont dévolus et ont peut-être été échangés contre du pain. Le morceau que j’ai oublié aujourd’hui m’a été rendu par celui qui l’avait trouvé. Duffner, le chef des agriculteurs de Rosheim m’a demandé si c’était vrai, que le chef de district ( 38 ) n’avait été qu’un instrument entre mes mains, à moi, son curé. J’ai répondu : « Ce qui est vrai, c’est que je lui avais conseillé d’accepter la place, car je préférais avoir à la tête de ma paroisse un bon catholique plutôt qu’un vaurien ». Malheureusement, à la fin, j’ai retiré mon soutien à M. Sp., et à partir de là, tout a empiré. Duffner avait dit : « Le dicton se vérifie de nouveau : ‘ Celui qui a pu traverser Boersch sans être insulté, et Bisch, sans être frappé, s’en est bien sorti’ ».
 
1.7.1945  J’ai envie de citer ici deux strophes du poème de J. de Baulin : « Protégez-nous, Seigneur ! » ( 39 ) :
« Si peu sont éveillées, hélas, les consciences, Que peu de volontés pour l’oubli des horreurs,
Si peu sont préparées, les bonnes volontés, Et du carnage sanglant et des calamités,
Les cœurs sont endurcis et cherchent la vengeance, Que peu de décision, que peu de bonne humeur,
Incompatible, certes, avec l’état de paix… Pour dire ouvertement : assez de haine, assez ! »
 
P.Fleischmann a choisi aujourd’hui comme thème de prédication pour la fête du Prince des Apôtres, la parole du Christ à propos de St Paul : « Je veux lui montrer combien il doit souffrir pour moi » ( 4O ).
« La souffrance, a-t-il dit, était l’impulsion divine qui devait jeter Paul hors de son mauvais chemin, pour le conduire à Dieu et à la vérité ».
L’allusion aux prisonniers était claire, mais certains la trouvèrent trop dure, trop impitoyable, la ressentant presque comme une offense. Ils cherchaient autre chose, une consolation, quelque chose pour le cœur. Les détenus sont à tel point montés contre le P. Fleischmann, que tout ce qu’il dit et fait, est presque toujours mal interprété. Le détenu Bohn me disait, à l’instant : « Si j’étais aumônier du camp, je dirais une fois au commandant vraiment ce que je pense, même au prix d’être renvoyé et de perdre ma place ».
Les détenus sentent que le P. Fl. manque de véritable caractère ; il lui manque aussi l’expérience d’une vraie direction spirituelle, ce que possédait si bien M. le curé Rauch, de sorte que son souvenir est resté vivant dans les cœurs.
M. Spehner a dû être transporté au dispensaire, tellement ses concitoyens et les habitants de son village l’avaient arrangé. Mme Munch m’a présenté son dernier-né, que je n’avais pas encore vu. Elle m’a décrit les scènes affreuses qui ont accompagné son transport. Elle-même n’avait pas été particulièrement molestée, sauf que Mme Marie Jost (Kirmann) a cru bon de la frapper en pleine figure. On avait fait marcher la sirène, pour alerter tout le village sur l’occasion qu’il y avait de se venger. Ceux qui ont attaqué étaient les Salomon, les enfants du maire G(eissel) : Paul, Joséphine et Marie, l’ouvrier G(russner) Auguste, le boucher W(ittmann), le serrurier O(brecht) Armand, le maçon K(ayser) Stephan, et même le cultivateur G(eissel) Franz croyait devoir y participer.
Un poète allemand du Reich m’a lu hier la traduction allemande des Fables de La Fontaine, qu’il voulait publier en souvenir de son séjour au Struthof. La traduction est très fidèle au texte original et rend bien, en vers, l’expression de fraîcheur et de vie qui caractérise le langage de ces Fables. Je vais demander au poète de m’offrir au moins la Fable du Coup de pied de l’Ane, que le lion mourant et affaibli a dû endurer. Cette Fable symbolise bien le comportement grossier dont mes anciens paroissiens ont fait preuve ces derniers temps.
 
2.7.45  Papa Kirmser et un enfant de la famille Winkler sont décédés. J’ai pensé à tous les deux, pendant la messe d’aujourd’hui, celle de l’Annonciation de la Vierge, qui est un jour de fête à Bischoffsheim. Est-ce que les vingt-deux victimes qui ont été déportées n’ont pas été présentes dans la pensée de ceux qui participaient aux heures de prière ? Ont-ils réalisé combien le sentiment chrétien était absent de leur cœur ?
Sadhu Sundar Singh (+ 1932) ( 41 ) écrit :
« Un jour dans l’Himalaya, j’étais assis au bord d’une rivière ; je sortis de l’eau un beau caillou rond et dur, et je le fracassai. L’intérieur était complètement sec. Cette pierre avait été longtemps dans l’eau, mais l’eau n’avait pas pénétré dans la pierre ».
Il en est de même pour les hommes, en Europe. Pendant des centaines d’années, ils ont été baignés par le Christianisme, profondément enfouis dans ses bienfaits ; ils vivent environnés de la foi chrétienne, mais celle-ci n’a pas pénétré en eux, et ne vit pas en eux. La faute n’est pas au Christianisme, mais à la dureté des cœurs. Ainsi, je ne m’étonne pas que beaucoup d’hommes ne peuvent pas comprendre qui est le Christ.
Voici les habitants de Bischoffsheim qui ont été précipités dans le malheur, par défaut de sentiment chrétien chez beaucoup de gens : trois de ma famille, un de la famille Ludi, quatre Isselé, trois Spehner, trois Braun, six Munch, un Kirrmann (Jeanne), un von Chikoff : en tout vingt-deux.
A l’instant, mon frère m’apporte les règlements qui, au sujet du trafic postal, avaient été appliqués aux détenus pendant la période allemande. Les mesures actuelles sont beaucoup plus dures et sévères. Ainsi, on n’a plus le droit d’envoyer de l’argent. N’est autorisée qu’une seule lettre par mois. Celles qui sont adressées aux détenus ne doivent pas comporter plus de quinze lignes. Le reste est supprimé par la censure. Ces mesures ont déjà provoqué les pires malentendus.
En revanche, les visites sont autorisées, mais de telle sorte que le visiteur ne peut pas entrer en contact avec le détenu ; il ne peut même pas lui donner la main. Les visiteurs sont groupés et parlent alors tous ensemble avec les détenus, au même moment ; on peut facilement se représenter cet embrouillamini.
Dans les Dernières Nouvelles du 14 juin 1945, on parle d’une exposition qui se tient à Paris sous le titre : « Crimes nazis ». « Nous ne devons pas oublier » expliquait le ministre de la Justice Teitgen dans son discours d’ouverture. Y sont exposées des photos des camps de concentration d’Auschwitz, Buchenwald, Ravensbruck et Maidanek en Pologne, de sinistre réputation. En particulier, dans le dernier camp, on trouva 1.5OO.OOO cadavres. ( ! sic ). Lors de la libération du camp, on découvrit une quantité de poison qui aurait suffi à en tuer quatre millions d’autres.
Un diorama décrit les horreurs commises au KZ Struthof et montre le crématoire qui servait en même temps de chaufferie pour le camp ( ! sic ). De ce chauffage central il n’y a ici aucune trace ( 42 ). Plus loin, des potences au pied desquelles se trouvait une civière ressemblant à un cercueil ( ! sic ), servant à contenir les cadavres des exécutés (ce n’est pas vrai) ( 43 ). Après avoir visité l’exposition, le ministre de la Justice a tenu une allocution radiodiffusée, dans laquelle il exhorte ses auditeurs à ne pas oublier la leçon donnée par ces images.
Les horreurs commises par les FFI au Struthof après 1944, ne seront pas non plus oubliées. On n’a pas besoin de mentir, ici non plus ; la vérité est bien assez cruelle.
Ce bavard de Duffner m’a raconté justement, qu’à Wittenheim, le curé a hissé le drapeau français sur le clocher de l’église, lors du départ des Allemands. Quand ces derniers ont remarqué cela, ils ont tiré sur l’église. Plus tard, ils ont réussi à investir de nouveau le village. L’église endommagée, ils l’ont fait entièrement sauter, avec le cercueil qui se trouvait juste à ce moment dans l’édifice, pendant un enterrement. Trop de zèle patriotique est destructeur.
 
3.7.45  Neuf légionnaires (L) de notre baraque XV et vingt du baraquement II, ont été libérés aujourd’hui.
 
4.7.45  A 4h ¼, un prêtre traversait le camp : Aha, voici un confrère ! Je me présentai devant la porte et il s’avança vers moi, me demandant combien de temps j’étais déjà dans le camp, comment était la nourriture, et s’il y avait encore d’autres prêtres détenus ici. Il prit note de mes réponses et se présenta comme M. l’archiprêtre de Commercy (Meuse).
 
5.7.45  Keusch, un ancien élève, était chez moi. Il m’a parlé des terribles souffrances que M. l’abbé Brauner avait dû endurer ( 44 ). Ce qu’il a dit est confirmé par M. J. de Baulin. Brauner a dû, dans la haute neige, porter avec un autre, une poubelle jusqu’au Bunker. Ils ont mis deux bonnes heures pour cela. Ils étaient continuellement frappés avec des crosses de fusil. C’est là que M. Brauner s’est cherché la mort. Quand, après cette torture, il avait une miction, il hurlait de douleur. Dans sa baraque, deux ont été tués sur place, et quatre autres sont tombés dans le coma ; ils n’en sont sortis que le jour d’après.
Dans L’Alsace libérée, du 5 juillet, on raconte qu’au camp de Mauthausen (Autriche), deux mille prisonniers étaient journellement incinérés. « Ils n’oublieront jamais cet objet d’horreur qu’était le four crématoire, où tant de leurs camarades (français) - jusqu’à deux mille par jour - disparaissaient ». J’aimerais bien demander à un homme du métier, si un four peut supporter l’incinération quotidienne d’une pareille quantité de cadavres.
« Sous-alimentés, battus, sous la menace continuelle de la mort, il leur fallait accomplir chaque jour, malgré leur état de faiblesse, des tâches épuisantes… ». Tout à fait comme chez nous.
« Le dortoir était une pièce de huit mètres sur douze, où trois cent cinquante détenus s’entassaient chaque nuit, couchés comme sardines en boîte. Le camp, entouré d’un réseau de barbelés où passait le courant électrique, était éclairé de nuit par de puissants projecteurs. Les chambres à gaz étaient chaque jour alimentées » (R.P. Grey) ( 45 ) .
 
6.7.45  Depuis hier, le cours d’anglais du professeur Harthammer a débuté. Il m’avait fait des compliments au sujet de ma rédaction en anglais.
 
7.7.45  Je suis convoqué à 8 h devant une commission. « Soyez prudents comme des serpents » ( 46 ). Moi, plutôt que de répondre, je poserai des questions. Un détenu, qui était toute une année à Dachau, nous a raconté que l’ordinaire était meilleur là-bas qu’ici !
« Nous avions le droit de fumer, pouvions acheter ce que nous voulions, et nous avions des conférences, des projections de films ; les baraques étaient chauffées par chauffage central. La censure du courrier était sévère. Seuls ceux qui avaient commis un crime dans le camp lui-même, étaient exécutés. Les surveillants n’avaient pas le droit de nous toucher… » ( 47 ).
Dans Le Nouvel Alsacien du 7 juillet, on peut lire : « Deux décisions du préfet du Bas-Rhin » ( 48 ) :
« Première décision : Création de commissions d’enquête. L’épuration des nazis et de leurs serviteurs … doit être menée avec rigueur et célérité dans la légalité… Pour que plus rapidement les innocents ( ! sic) puissent être disculpés et les coupables châtiés… J’ai décidé de rapprocher l’Epuration de sa source : au chef-lieu de chaque canton du département est instituée une commission d’enquête de trois membres, qui recevra vos déclarations, vos dépositions et, près de vous, dressera pour moi des conclusions des enquêtes nécessaires qui seront menées officiellement et régulièrement par la police détachée en permanence sur place… Seule l’épuration administrative est judiciaire et légale. Personne n’a le droit de se faire justice lui-même, mais aider l’Administration et la Justice dans la tâche d’Epuration légale est un devoir civique auquel personne ne doit se dérober et qui doit être accompli par tout bon citoyen dans le respect de la loi, avec conscience et sans défaillance… Adressez-vous de suite à votre président de commission d’enquête. Les faits que vous avancerez, s’ils sont confirmés par l’enquête légale, recevront leur sanction, et vous aurez rempli votre devoir de Français. Pour en finir avec l’Epuration, je vous donne deux mois pour faire connaître ce que vous savez ; passé ce délai, soit à partir du 1er septembre 1945, aucune déposition émanant d’une personne actuellement sur place, ne sera recevable.
Deuxième décision : Recensement général de la population. Tous les jours, l’Administration est saisie de multiples dépositions qui portent à l’encontre des citoyens des accusations diverses. Le contrôle de ces dépositions exige des enquêtes trop longues et un personnel trop nombreux. Pour posséder les éléments de base établis par des déclarations sur l’honneur qui, en cas de faux témoignages seraient sévèrement punis, l’Administration demande à la population de l’aider dans sa tâche par une contribution individuelle et obligatoire à l’éclaircissement de la situation : chaque habitant, homme ou femme, du département du Bas-Rhin, âgé de plus de 18 ans, a l’obligation de se présenter entre le 1O et le 2O juillet 1945 au Service des Titres d’alimentation de la mairie du domicile, où un formulaire devra obligatoirement être rempli par chacun qui soit ou non intéressé par ce questionnaire et rapporté au Service qui en assure la distribution, entre le 2O juillet et le 5 août 1945. Le contrôle de ces déclarations sera effectivement assuré et des mesures sont prévues pour empêcher toute tentative de défaillance. Le Préfet du Bas-Rhin, B.Cornut-Gentille. »
 
9.7.45  Deux pères oblats ont traversé le camp avec deux FFI. Il y a eu à ce sujet une grande agitation parmi les détenus, car ces ecclésiastiques paraissaient se repaître du malheur des prisonniers. Ces prêtres, disait le Dr Frey, sont communistes et la croix qu’ils portent à leur ceinture ne leur sied pas. S’ils ne prennent pas conscience de l’incorrection, oui du côté révoltant de leur comportement, il faut les en avertir. En particulier ceux de la catégorie II (blanche) se sont révoltés, ceux qui ont été punis ce matin, parce qu’ils ont voulu aller à la messe. Ils ont dû tout le jour durant, et toutes les demi-heures (soit dix-huit fois), se présenter au portail.
Des SS ont été battus. Ils ont porté plainte auprès de M. le Préfet. Husch-Husch (c’est le surnom du commandant) les a fait venir, les a invectivés en criant et leur a prescrit huit jours de Bunker. Il leur a reproché de fomenter un complot, parce qu’ils avaient signé la lettre à quatre ( ! sic) (Eschbach, Hoosz, le chef de la baraque XIV). Une copie de la plainte a quand même abouti, par détour, à M. le Préfet et portait la mention que l’original avait été pris des mains de M. le Commandant. Qu’y avait-il à faire ? Les mesures en règle devaient commencer par le Bunker : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ».
Le ministre de la guerre espère et sollicite. Comme la presse en fait part, un million cinq cent mille couverts sont comptabilisés par repas et l’armée compte trois cent mille hommes. La tromperie fleurit, par ces temps de folie. D’après France-Soir, quatre cent cinquante mille étrangers ont déclaré vouloir rester en Allemagne, car les lois sociales y sont à la hauteur, tandis qu’en France, disait l’un d’eux, un ouvrier est assis dehors dans le froid, quelque part sur une pierre, et doit manger dans sa gamelle. Il a bien mis en valeur ce qui a été offert au travailleur en Allemagne et ce qui va lui être attribué encore.
Un architecte qui est détenu ici, veut dessiner des plans pour mon frère, afin de modifier la piscine. Le projet est devenu très beau, mais aussi très cher. Les châteaux en Espagne sont faciles à construire, et à bas prix.
Le temps s’éclaircit enfin. Dehors brille le plus beau soleil. Dans la forêt proche, on entend les coups de hache des bûcherons. Ce sont des détenus qui doivent abattre et préparer des grumes pour le camp. Mon frère fait un dessin pour la chambre de mon collègue de l’autre faculté ( 49 ). Le St Sacrement est conservé dans ma chambre pour les malades auxquels le P. Fleischmann veut porter demain la Ste Communion. Le théologien Kromer, qui a sept années de service derrière lui, dans l’armée, et cligne toujours si nerveusement des yeux, est assis à côté de moi, et lit Saint Paul, de Holzner ( 5O ). Il sert la messe chaque matin, et se réjouit d’être dispensé de lourdes corvées, en tant que « serviteur du culte ».
Sans arrêt, on frappe à ma porte : des détenus qui voudraient avoir un livre pour se détendre quelques heures et être soulagés de leur dure condition. Les quelques livres amusants partent comme des petits pains ; certains prennent des livres plus sérieux, comme le conseille St Ignace de Loyola : « Agir selon la nécessité, non selon le désir personnel ». Ainsi le bon grain est semé dans le cœur et pourra aussi donner de bons fruits.
Demain, je veux compter mes lecteurs. Ils seront bien une centaine.
Aujourd’hui, on a dressé près de l’entrée deux drapeaux noirs, pour indiquer qu’une épidémie a fait irruption dans le camp. Il s’agit de la diphtérie. Les enfants doivent être hébergés sous 24 h chez des familiers. Personne ne doit plus quitter le camp et les visites ne sont plus autorisées.
Dimanche, le P. Fleischmann a apporté une bouteille de Maggi pour le potage. Mais nous ne l’avons toujours pas reçue aujourd’hui. Père Fleischmann agirait certainement plus vite, s’il devait partager notre ordinaire. La compassion ne naît que de la souffrance. M. Spehner m’a rendu visite. Il voulait avoir des nouvelles de Bischoffsheim. Il a dit que l’ instigateur de tout le mal qui est arrivé à Bischoffsheim, est J. Geissel. Il dirige le mauvais jeu, mais reste prudemment derrière les coulisses. Il ne paraît jamais sur scène, ou très rarement.
Les petites images, que le P. Fleischmann a apportées pour les détenus s’arrachent à la ronde. On veut les conserver en souvenir du Struthof. Beaucoup me demandent d’écrire une petite phrase au dos des images. Les extraits (fruits de mes lectures), que j’ai recueillis des drames de Calderon, m’ont été là d’un bon secours. Ainsi, par exemple :
« Oui, c’est seulement la sagesse et la toute-puissance de Dieu qui dispensent à chacun le lot du bien ou du mal. Mais nous, les hommes, ne savons pas, le plus souvent, utiliser l’un et l’autre. Car le bien comme le mal, tout vient seulement de sa main pour notre salut, même si nous, qui sommes aveugles, ne le reconnaissons pas le plus souvent. Dieu peut envoyer le bien comme punition, et le mal comme une grâce » . 
 
N O T E S :
 
( 1 ) 19. 6. 45 ; 23. 6. 45 ; 1.7.45.
 
( 2 ) 17. 6. 45.
 
( 3 ) 2. 7. 45 ; 5. 7. 45 ; 7. 7. 45.
 
( 4 ) Abbé Rauch : Charles Rauch (1895-1959) , ordonné prêtre le 13.7.1919, vicaire à Guebwiller puis à St Martin de Colmar, a été curé de Tieffenbach (1928 -1938), Bergheim (1938-1946) et d’Ottersthal (1946-1959). Il avait été arrêté le 11.1.1945 et interné au camp de Schirmeck. Le 20.3.1045, le préfet lui avait accordé la liberté provisoire avec résidence obligatoire au Mont Ste Odile, où il restera jusqu’en février 1946, avant de prendre la paroisse d’Ottersthal.
 
Au sujet du père Fleischmann, on sait qu’il fut Bénédictin, et aumônier au camp du Struthof du 25.4.1945 à 1946.
 
( 5 ) Ps 27/1-3a : citations de la Vulgate, où l’on peut apprécier la beauté de la langue latine, aujourd’hui disparue de la liturgie. (« Le Seigneur est ma lumière et mon salut : de qui aurais-je crainte ? Le Seigneur est le soutien de ma vie ; de qui aurais-je peur ? Si une armée campait contre moi, mon cœur n’aurait aucune crainte »).
Citation suivie de Rm 8/18 : « J’estime que les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir, qui sera révélée pour nous ».
 
( 6 ) Ps 9/8-1O : « Le Seigneur règne à jamais. Il a dressé son trône pour le jugement ; il juge le monde avec justice, il juge les peuples avec droiture. Le Seigneur est un refuge pour l’opprimé, un refuge au temps de la détresse ».
 
( 7 ) Ps 18/3 : « Seigneur, mon rocher, ma forteresse, mon libérateur ! Mon Dieu, mon rocher où je trouve un abri ! Mon bouclier, la force qui me sauve, ma haute retraite ! »
 
( 8 ) « Vult mundus decipi » : «  Il veut charmer le monde ».
 
( 9 ) Jn 1/5.
 
( 1O ) Concordat : Parmi les dix-huit concordats qu’avait signés le pape Pie XI, figurait aussi celui du 2O juillet 1933 avec le nouveau chancelier d’Allemagne. Ce concordat donnait une certaine indépendance administrative à l’Eglise catholique, mais aussi aux Eglises protestantes libres. En revanche, l’Eglise protestante officielle d’Allemagne était subventionnée par l’Etat et dirigée par le mouvement national-socialiste des « Chrétiens allemands ». L’annexion allemande de l’Alsace-Lorraine en 194O mit évidemment fin au Concordat de 18O1. Celui-ci fut rétabli en 1945, à contre cœur, par le régime français.
 
( 11 ) Calderon : voir La Voix… n° 25 (avril 2O21), note 18, p. 14.
 
( 12 ) J.Sorge : voir La Voix… n° 25, note 24, p. 14.
 
( 13 ) La croix aux branches droites, appelée Balkenkreutz, ou croix latine, était la marque de la nationalité allemande lors des deux guerres mondiales. Blanche ou noire entourée de blanc, elle était l’insigne distinctif du Troisième Reich sur tout le matériel de guerre, avions, chars, bateaux, sous-marins. Symbole de l’Ordre teutonique depuis les Croisades, elle coexistait avec la croix gammée.
 
( 14 ) Ernest Zahn : romancier suisse de langue allemande, né à Zurich le 24 janvier 1867, mort à Meggen, le 12 février 1952. On lui doit une vingtaine d’œuvres , dont :  Einmal muss wieder Frieden werden (Stuttgart, 1916). Il était membre de l’Académie allemande pour la langue et la littérature.
 
(15) L’immeuble strasbourgeois, construit en 1885 sous l’occupation allemande, dans le quartier universitaire, s’appelait alors Germania. En 1918, il prit le nom de Gallia, le nom latin de « Gaule ». Il comprenait un restaurant universitaire et des chambres d’étudiants, gérés par l’AFGES (Association fédérative générale des Etudiants de Strasbourg). Lors de l’annexion, cette association s’était repliée à Clermont-Ferrand avec la partie résistante de l’université de Strasbourg , et a organisé trois attentats contre les Allemands, dont l’exécution de deux membres de la Gestapo, dans la maison du professeur Jean-Michel Flandrin. Une rafle d’étudiants s’en est suivie dans la nuit du 24 au 25 juin 1943. Après la libération, et d’après ce qu’en dit l’abbé Jenn, nombre de personnes arrêtées par les FFI étaient rassemblées dans cet immeuble avant d’être transférées dans les camps redevenus français de Schirmeck et du Struthof.
 
( 16 ) Mgr Weber Jean-Julien (13.2.1888 – 13.2.1981) : son père, capitaine d’Infanterie, avait opté pour la France en 1872. Jean-Julien était donc de nationalité française. Il fit une importante carrière militaire : sous-lieutenant de réserve en 1911, il est ordonné prêtre le 29 juin 1912 à Paris. Mobilisé en 1914 dans l’Infanterie, il combat en Champagne et dans la Somme. Il est promu capitaine en 1916 et a été blessé trois fois au cours de cette guerre. En 1919 il reprend son ministère et devient professeur, puis supérieur au séminaire d’Issy. Il est ensuite nommé directeur du séminaire St Sulpice de Paris (1942).
Le 25 août 1945, il succède à Mgr Ruch comme évêque de Strasbourg.
Il avait notamment pris parti pour l’usage de l’allemand dans les paroisses alsaciennes, en 1952.
 
( 17 ) Mgr Ruch  Charles-Eugène (24.9.1873 – 3O.8.1945). Ordonné le 11 juillet 1897, il fait un doctorat à l’Institut catholique de Paris, en 1898. La même année, il est nommé professeur au Grand Séminaire de Nancy jusqu’en 19O7, puis vicaire général et coadjuteur de l’évêque de Nancy jusqu’à la guerre. Aumônier militaire pendant le conflit, il est ensuite évêque de Nancy (26.1O.1918), puis de Strasbourg (1.8.1919) après la démission de Mgr Fritzen. Il quitte l’Alsace en juin 194O ; l’occupant lui interdit d’y retourner. Il est remplacé à Strasbourg par le vicaire général Théodore Douvier. Mgr Ruch retourne à Strasbourg en décembre 1944 et prend comme coadjuteur Jean-Julien Weber.
 
( 18 ) Kretz Edmond (12.8.1868 - 11/12/1941). Vicaire à Molsheim (1891), Colmar (1895), curé du Neudorf (19O3) puis de Dornach (191O), il est nommé vicaire général par Mgr Ruch le 22 octobre 1919, et chanoine honoraire en 192O. La même année il est supérieur des Dominicains de Colmar, et, le 15 décembre 1928, il est nommé protonotaire apostolique. Il a été expulsé d’Alsace le 19 décembre 194O, pour avoir protesté contre la fermeture de la cathédrale. 
Kolb Marie-Joseph Charles (8.5.1876 - 3O.5.195O), a été ordonné le 1O août 19OO. Après un doctorat en Théologie à Fribourg-en- Brisgau, il est vicaire à Fellering (19O6), curé d’Eckbolsheim (1911), curé de Ste Croix-aux-Mines (1914), puis maître de conférences en Dogmatique à la Faculté de Théologie catholique de Strasbourg en 192O. En avril 1924, il est nommé vicaire général par Mgr Ruch et prend en charge l’Oeuvre des missions, l’Oeuvre d’Orient, ainsi que les questions de l’Enseignement. Expulsé, comme le vicaire général Edmond Kretz, en décembre 194O, il reste en Dordogne jusqu’à fin 1944. Il revient en Alsace en 1945 pour reprendre ses fonctions de vicaire général.
 
( 19 ) Mgr Hincky  Jules Joseph Antoine (25.2.189O - 21.2.1956). Il fait ses études à la Faculté de Théologie et au Grand Séminaire de Strasbourg. Il est ordonné le 25 juillet 1914, puis œuvre comme infirmier et interprète à l’Hôpital de Besançon. En septembre 1915, il est vicaire à Dannemarie et, après la guerre, vicaire à St Etienne de Mulhouse (192O). Dans les années 1924-25, il s’élève contre le projet du gouvernement français de supprimer le Concordat en Alsace. Nommé directeur des Œuvres diocésaines, de 1926 à 1939, il devient entre-temps (193O), chanoine honoraire de la cathédrale de Strasbourg, puis curé-doyen de St Martin, à Colmar
(1939). Réfugié à Clermont-Ferrand en 194O, puis en Algérie, où il est délégué auprès des Réfugiés alsaciens. En février 1945, il participe à la fondation du «  Nouveau Rhin français », et devient vice-président du conseil d’administration de l’Alsatia. En avril 1945, il participe à la création du Groupement social des Victimes de guerre et des Sinistrés d’Alsace. Chevalier de la Légion d’honneur, Croix de Guerre avec palmes, et Médaille de la Résistance.
 
( 2O ) C’est une remarque ironique, car la « langue académique » serait le haut-allemand, et non l’alsacien. Notre auteur tourne en dérision le silence volontaire de la lettre pastorale sur l’allemand, que d’ailleurs Mgr Hincky pratiquait en chaire.
 
( 21 ) Expression typiquement alsacienne : « Mit dem Zaunpfahl winken » (faire des signaux avec un poteau de palissade). On dit aussi : « Met dem Schiredor wenke » (…avec une porte de grange).
 
( 22 ) Il est impossible de traduire en français la richesse du mot allemand ou alsacien « Heimat ». « Pays » ou « patrie » ne réussissent pas à rendre toute l’affectivité ou la nostalgie qu’évoque la « Heimat ».
 
( 23 ) Notons le courage et l’indépendance d’esprit de l’abbé Jenn qui s’oppose ainsi à son évêque !
 
( 24 ) Ici, la lecture du tapuscrit allemand devrait sans doute être « Wunden » (plaies), au lieu de « Wogen » (vagues).
 
( 25 ) Il s’agit du concordat signé entre le pape et Hitler le 2O juillet 1933.
 
( 26 ) « L’épuration, pas l’anarchie ».
 
( 27 ) Nous n’avons pas réussi à savoir ce que veut dire ici la mention « Ru ».
 
( 28 ) « Ortsbauernführer ».
 
( 29 ) « Rosenweiler ».
 
( 3O ) C'est-à-dire Charles-Auguste.
 
( 31 ) « Mon cœur ne m’aurait pas permis de travailler avec ceux-là ».
 
( 32 ) Prière en prison ou en captivité.
 
( 33 ) « Seigneur, toi qui as délivré le saint Apôtre Pierre des chaînes de la captivité… délivre tes esclaves des liens qui les tiennent prisonniers ».
 
( 34 ) L’Elsässer.
 
( 35 ) Le chanoine Bornert  Georges  (27.6.1897 - 1.11.1964) est ordonné le 25 juillet 1921. Secrétaire général des Œuvres diocésaines, de 1923 à 1939, il est nommé aide-vicaire à Molsheim le 1er octobre 1939, et administrateur provisoire de la paroisse, le 15 juin 194O. « Il opte pour une résistance passive totale lors de l’occupation » peut-on lire dans Le Molshémien n° 4O (Hiver 2OO5-2OO6), qui lui consacre un article biographique. Il est expulsé en décembre 194O en tant que francophile, avec le député-maire Henri Meck et de centaines d’autres. Il part à Avignon et y déploie une résistance active, qui provoque son arrestation par la Gestapo, le 13 juillet 1943. Il est incarcéré à Montluc, Fresnes et Saarbrück, puis déporté à Buchenwald, Erzingen et Dachau, d’où il sera libéré en mai 1945. Il revient à Molsheim le 19 mai 1945. En septembre de la même année, il est élu Conseiller général MRP, et réélu en octobre 1951 ; il siègera au Conseil général du Bas-Rhin jusqu’en 1958. Le 25 mars 196O, il est nommé Chanoine titulaire de la Cathédrale de Strasbourg et quittera Molsheim. Il décède quatre ans plus tard, le 1er novembre 1964.
 
( 36 ) La « Schlagge » : battre un détenu était monnaie courante dans les camps allemands et français.
 
( 37) Chef de district.
 
(38 ) Ortsgruppenleiter.
 
( 39 ) En français, ainsi que les strophes.
 
( 4O ) Act. 9/16.
 
( 41 ) Sadhu Sundar Singh : Né en Inde en 1889, ayant acquis dès son jeune âge une grande culture, il avait, au cours de son adolescence, cherché auprès de plusieurs religions la réponse à ses angoisses spirituelles. D’abord farouche adversaire du Christianisme, il reçoit, au cours d’une crise de désespoir, une révélation qui le convertit au Christ. Il se fait baptiser dans l’Eglise anglicane à l’âge de seize ans, puis devient évangéliste itinérant et conférencier. Il disparaît mystérieusement en 1929.
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de spiritualité : Par Christ et pour Christ. Méditations sur les différents aspects de la vie spirituelle. Religion et réalité. Aux pieds du Maître. Visions du monde spirituel. Paraboles et aperçus. Le ciel et le monde spirituel. Conférences .
 
( 42 ) En juillet 1945.
 
( 43 ) La remarque est de l’abbé Jenn.
 
( 44 ) Abbé Brauner : Voir La Voix… n° 27 (juin 2O21), p. 16, note 11.
 
( 45 ) En français dans le texte.
 
( 46 ) Mt 1O/16.
 
( 47 ) Etonnant témoignage ! Il s’explique probablement par le fait que les prisonniers devaient aller travailler dans les usines attenantes ; logiquement, les Allemands avaient tout intérêt à ce qu’ils soient bien nourris et convenablement traités, pour avoir un bon rendement. Une photo, sur Wikipédia, montre des prisonniers au réfectoire, prenant leur repas : ils sont bien habillés et paraissent en excellente forme physique. A Dachau, en Bavière, les détenus avaient reconnu que le travail en usine leur conférait de meilleures conditions d’existence. Il s’agissait d’usines souterraines de constructions aéronautiques (AGFA, Messerschmitt , BMW ). situées à Muhldorf et Landsberg-Kaufering. Au cours de l’été 1944, Hitler fit transférer les prisonniers des camps de Pologne et de Hongrie vers Dachau et vers les autres camps situés en territoire allemand.
Le camp de Dachau avait été créé le 2O mars 1933. On y a dénombré, en douze ans, 31.951 morts. Il comportait quatre fours d’incinération. La destination de certains de ces fours serait à revoir, étant donné que d’anciens détenus de Dachau parlaient de chaudières à chauffage central.
Beaucoup de religieux chrétiens y avaient été en détention. En décembre 194O, sont arrivés neuf cents prêtres. 2.72O prêtres, en majorité polonais étaient passés par ce camp. Ils bénéficiaient d’un traitement de faveur, étaient mieux logés et nourris, exemptés de travail et protégés des violences physiques. Ils pouvaient recevoir des colis, lire, écrire, célébrer la messe. On comptait à Dachau aussi des pasteurs protestants résistants.
Dachau était aussi le camp de détenus célèbres : le chancelier d’Autriche Kurt Schuschnigg, la famille royale de Bavière et des membres de la noblesse, des écrivains, journalistes, artistes, le général Charles Delestraint ainsi que de nombreux résistants.
Le camp de Dachau a été fermé le 29 avril 1945.
 
( 48 ) Tout cet extrait est en français.
 
( 49 ) Le pasteur protestant ?
 
( 5O ) Holzner : voir La Voix … n° 27 (juin 2O21), note 1, p. 15.
 
Nous remercions Monsieur l’abbé Jean-Louis Engel, Archiviste de l’Evêché, pour les renseignements qu’il nous fait parvenir régulièrement, au sujet des différentes biographies de prêtres alsaciens mentionnés par l’abbé Lucien Jenn. 
 
 
LA PHRASE DU MOIS :
 
« Nous avions le droit de fumer, pouvions acheter ce que nous voulions, et nous avions des conférences, des projections de films ; les baraques étaient chauffées par chauffage central. La censure du courrier était sévère. Seuls ceux qui avaient commis un crime dans le camp lui-même, étaient exécutés. Les surveillants n’avaient pas le droit de nous toucher ».
 
(Témoignage étonnant d’un détenu du camp de Dachau, ci-dessus, p. 12).
 
 
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