Musée du Chateau d'Argent

Journal février 2022

L  A      V  O  I  X      D  A  N  S      L  E      D  E  S  E  R  T
Mensuel du Château d’Argent,  N°  36      -      Février  2022
Abbé Lucien JENN
Curé de Bischoffsheim
 
LE JOURNAL D’UN PRETRE ALSACIEN EN CAMP DE CONCENTRATION.
 
LES CAMPS DE CONCENTRATION DE SCHIRMECK ET DU STRUTHOF
PENDANT LA PERIODE FRANCAISE.
1945 
 
Première traduction intégrale, publication avec introduction et notes par Danielle VINCENT.
Avec le précieux concours de Monsieur Jean-Louis ENGEL, Archiviste de l’Evêché,
et de ZAPA Informatique à Ste Marie-aux-Mines.
 
- XI -
 

(Suite de La Voix dans le Désert n° 25, avril 2021; n° 26, mai 2021; n° 27, juin 2021; n° 28, juillet 2021; n° 29, août 2021; n° 30, septembre 2021; n°31, octobre 2021; n° 32, numéro spécial; n° 33, novembre 2021; n° 34, décembre 2021; n° 35, janvier 2022).

Voici enfin la dernière étape du périple d’un an de l’abbé Jenn aux camps de concentration français de Schirmeck et du Struthof. Il est libéré le 22 décembre 1945. Après des départs réguliers, il y avait encore 579 détenus au camp de Schirmeck le 17 décembre 1945, ce camp qu’il va quitter maintenant.
Partir du Struthof ou de Schirmeck, quand on est libéré, devient moralement difficile. On était attaché à tout cela , surtout aux copains, et on fait ses adieux en larmes (24/11/45). Ce ne sera pas le cas de l’abbé Jenn, qui s’en va précipitamment, ayant espéré cette libération trop ardemment, et ayant craint, jusqu’au bout, un revirement de la part des autorités.
Comme les autres détenus, il avait beaucoup souffert de la faim et du froid. Privés de chauffage en journée, en plein mois de décembre dans ces régions montagneuses, le commandant leur enlève même les cors de fourneau (8/12/45). La nourriture est insuffisante, inadaptée ou même avariée : notre ami fait de graves malaises et ne sait pas comment se soigner. (2/12/45).
C’est surtout grâce à ses lectures et à la musique que ses épreuves sont un peu adoucies : voici un choeur d’église, en plein camp de concentration, auquel participent sans problème les non-catholiques, et qui est dirigé, pendant la messe, par un protestant, ténor des Passions de Bach à l’église St Guillaume (24/11/45).
Il avait tellement espéré retrouver sa paroisse de Bischoffsheim ! Mais quand il y retourne, le 22 décembre 1945, ce n’est pas de joie qu’il ne peut pas dormir la nuit suivante, mais de déception : l’accueil a été glacial. Seules trois femmes l’ont accueilli avec amitié, mais aucun homme, ni même le vicaire, son remplaçant : « Pas un seul ne m’a salué, ni tendu la main »  (23.12.45) (1). Il sent, par l’ hostilité que lui oppose sa paroisse, qu’il doit s’en aller au plus vite. Il aurait eu au camp une belle fête de Noël ; de retour à « la maison », il n’en a aucune, et passe ces jours de fête avec sa nièce et sa sœur sur les routes et dans les gares. Il ne retournera plus à Bischoffsheim. Après avoir rendu visite à son frère à Paris, il se retire à Gewenatten près de Dannemarie dès le 1er janvier 1946, et y restera un an. Au camp, il avait pris des cours d’anglais : il va s’en servir maintenant car, en 1947, il réalise son vieux rêve : partir aux Etats-Unis. Il reviendra en Alsace à la fin de 1956, plus de dix ans après avoir été condamné à l’indignité nationale par la Chambre civique de Saverne, le 14 mai 1946. La sentence prévoyait vingt ans.
Le 5 décembre 1945 au camp de Schirmeck, l’abbé Jenn avait fait une conférence sur l’attitude des prêtres alsaciens envers les détenus des camps. Le 24 décembre 1945, il termine son journal en écrivant : « Alsace, pays de la peur ! A la gare, personne ne nous a témoigné la moindre attention. Nous n’étions que du vent ». 
 
23.11.45 A 6h on a de nouveau relevé les noms de ceux qui n’avaient pas encore reçu de notification. Notre chef de baraque, avec sa femme, seront sans doute libérés aujourd’hui. M. Eydmann, de l’entreprise Email de mon frère Auguste, est aussi prisonnier ici. Il m’a raconté ses aventures. Aujourd’hui, une deuxième « Fête de la Libération » (2). Hier, il n’y avait qu’un repas ordinaire. Aujourd’hui il y aura un « Duplex » (3). Elles sont enfin venues, les betteraves aigres avec les pommes de terre. Accompagnées d’un ridicule mini roulé de viande. Le soir : du vrai café avec du beurre frais. Brandenburger a fait un exposé sur les soins allo-psycho-homéopathiques.
 
24.11.45 Dans quatre semaines, déjà Noël ! Il y a dix jours, Lucienne a été à l’Ordinariat de l’Evêché (4). « L’évêque », lui a-t-on dit, « va obtenir la libération de votre oncle dans 14 jours ». Hier, j’ai reçu une lettre de mon frère Joseph de Paris et une autre de ma sœur Marthe. Schibilski, notre chef de baraque, disait toujours qu’il quittera le camp le dernier. Mais cela s’est passé autrement. Hier il est parti d’ici avec sa femme, et est allé à Strasbourg où il doit comparaître devant le Juge d’instruction. Avant son départ, je lui ai tenu un petit discours d’adieu. Il m’a remercié mais, étouffé par les sanglots, il pouvait parler à peine. Le soir, avant le coucher, quelques copains avaient récité une petite poésie et joliment chanté à plusieurs voix : « Demain, je dois partir d’ici ».
« Merci, camarades ! » a lancé Sch. du fond de son lit. Aujourd’hui encore, il avait les larmes aux yeux lors des adieux. Une dure carapace, un cœur tendre !
J’ai ajouté plus tard : il a été condamné à 5 ans de prison. Il vit aujourd’hui avec son épouse à Oberhaslach, où je lui ai déjà rendu visite plusieurs fois.
Dehors, il fait un temps de pluie, mais pas particulièrement froid. En baraque VI, je me suis fait couper les cheveux et raser chez le coiffeur qui m’avait aidé à retourner le jardin chez le gendarme Petit Gérard. Aujourd’hui, il doit y avoir de nouveau 50 départs.
 
25.11.45 Dimanche. M. l’Aumônier a eu du retard. Alors j’ai lu une messe basse et récité les prières prescrites par Léon XIII (5). Puis j’ai entonné les deux cantiques : « Jesus, Dir lebe ich » et « Wahrer Gott ». Finalement, M. l’Aumônier est arrivé. Il a tenu une courte homélie en allemand et a surtout remercié les chanteurs pour leur contribution au Service divin. Il y a eu aussi plusieurs protestants qui ont chanté avec nous. Notre dirigeant, l’instituteur Schwartz a été licencié ; il est déjà remplacé par un protestant, M. Reysz qui, avant, faisait l’Evangéliste dans la Passion selon St Matthieu, à l’église St Guillaume.
M. l’Aumônier a annoncé qu’il ferait des projections sur le linceul de Turin. Il a réussi à obtenir l’autorisation pour les hommes d’assister à cette conférence. Mais, comme il a eu un quart d’heures de retard, M. Mura a sifflé au chef de baraque et a annulé la conférence pour les messieurs. A ses yeux, ils auraient été trop nombreux, et cela ne lui plaisait apparemment pas ; c’est ainsi qu’il a cherché à boycotter le tout. Il ne m’aurait pas joué ce tour à moi.
De nouveau, quelques uns ont été libérés pour la rue du Fil (6). Tous les camps doivent être vidés pour le 15 décembre.
L’ordinaire aujourd’hui était bon : un mélange de légumes frais avec du goulasch. Le soir, un demi-pain avec du fromage. Depuis 3 jours, nous recevons un demi-pain, meilleur et plus blanc.
 
Lundi le 26.11.45 Mura est de mauvaise humeur. De nouveau, il hante le camp partout. « La semaine prochaine, les corvées n’iront plus ailleurs, tout ira au Salm ».
Dans notre chambre, on a chanté hier soir quelques beaux chants populaires. Même « Douce Nuit », en prévision de la prochaine Fête de Noël, que tous voudraient fêter à la maison, au sein du cercle familial.
 
« Une petite chanson, comment se fait- il
Qu’on puisse tellement l’aimer ?
Que renferme-t-elle : raconte !
Elle renferme quelques accords
Un peu d’harmonie et de mélodie,
Et : toute une âme ».
 
A la mairie de Schirmeck, nous avons dû remplir des sacs de vieux papiers et les descendre de plusieurs étages. Le soir, les Fifis ont célébré leur Fête de la Libération. L’appel avait, de ce fait, été avancé d’une heure. J’ai profité de l’occasion pour faire, le soir, une communication sur ma « Visite à Konnersreut » (7).
 
Mardi, le 27.11.45  Le matin, au râteau; l’après-midi, nous avons poussé une charrette de détritus, de choux et de betteraves à travers la ville jusqu’à la décharge ; il a fallu en remplir une deuxième. De ma corvée des vieux papiers, j’ai emporté trois petits livrets d’Hérodote : une lecture très intéressante (8) .
Quand arriveront donc les annonces des nombreuses libérations ? Ce mardi, rien ne bouge encore dans l’Odenwald (9). « Silence encore sur tous les sommets ».
A l’instant, j’ai rencontré au camp une chère et vieille connaissance, le commandant Husch Husch (10). Il m’a abordé et a été surpris de voir que je n’étais pas en soutane ( ! sic ) . Je lui ai répondu : « A Schirmeck, j’ai toujours porté cet uniforme vert ; ce n’est qu’au Struthof que j’ai été obligé de mettre la tenue des prisonniers rayée de bleu et de blanc. J’avais ainsi un ‘régime spécial’ ». Il a dit : « Nous sommes Français maintenant, et c’est la liberté, l’égalité et la fraternité qui comptent » ; mais j’avais bien mérité le « régime spécial ». J’ai demandé : « Pour quelles raisons ? » A cette question, il m’a salué et a tourné les talons.
Le soir, M. l’Aumônier m’a apporté une tranche de pain blanc, un morceau de saucisse et une pomme.
 
Mercredi le 28.11.45 Une claire nuit d’étoiles. Un copain m’a versé du café dans mon thé chaud. C’était délicieux ; ce café était vraiment bon !
En forêt à chercher du bois pour notre baraque. Le petit Georges Jung, qui a été en forêt avec moi, a été libéré, de même qu’Anstett d’Oberhofen, qui m’avait offert une petite boîte de cirage pour chaussures, il y a quelques jours.
Cet après-midi, j’ai dû de nouveau pousser la charrette de détritus à travers la ville.
Ce matin, nous avions déchargé une voiture d’épinards que Briemel, de Bischoffsheim, avait livrée. 10 femmes et 27 hommes ont de nouveau été libérés. A l’instant, un détenu m’a offert un morceau de vrai munster et une petite miche de pain. Albert Fuchs de Bischwiller, rue de la République, 114.
A la buanderie, les premières fleurs de givre. Hier soir, j’ai confié à M. Schneider - qui travaille à Molsheim – une carte pour mon neveu Jean. Il faut qu’il regarde à la Sous-Préfecture et à la Préfecture où se cache mon dossier.
Avec courage, j’ai bien étudié mon anglais ce matin. Le prof, M. Brandeburger, m’a aidé consciencieusement. Cet après-midi, à la garde du balai et à charger et décharger le petit bois.
M. l’aumônier était à la Préfecture avec le chanoine Nagel (11) et s’est enquis de mon dossier. « Il est en travail, il n’est pas ici », telle a été la réponse. Ce soir, une soupe avec du goulasch. Un détenu de Mussig m’a donné un morceau de pâté. Ce soir, on va au lit une demi-heure plus tôt. Réveil à 6 h, car il n’y a plus de corvées pour l’extérieur, seulement pour le camp.
 
1er décembre 45 - Le mois du Christ ! 81 bonhommes ont été envoyés au Salm. Le temps est clair et froid. Il faut constituer une liste de « travailleurs ». Il s’agirait du paiement ( !) de la pension ( !). On voulait demander 21 F par jour ! Trois de chaque baraque ont dû aller chercher les paquets à la poste et à la gare. J’y suis allé aussi, et j’ai vu avec plaisir qu’il y en avait un pour moi aussi. Il m’avait été envoyé par une famille Schwartz ( ?) de Fegersheim. Etait-ce le professeur Schwartz de Barr, qui avait pensé à moi ?
On m’a permis de chercher au vestiaire un nouveau tablier. Les Schneider, mes sympathiques compagnons de table et de baraque, m’ont recousu le matricule sur le vêtement. Dans mon paquet : un pain rond, un gros saucisson, 2 pommes. 30 nouveaux, venant des autres baraques, sont arrivés chez nous.
 
Aujourd’hui dimanche, le 2 décembre 1945. Le matin, travail de dimanche avec le râteau, et ensuite chez le coiffeur, qui était débordé. J’ai lu la messe pour le fils d’un détenu qui est tombé, il y a un an. A midi, épinards avec pommes de terre et gulasch . Le soir : café, pain - beurre. A 6 h moins le quart, une projection d’images du linceul de Turin ; elle avait été boycottée il y a quelques jours. Quelques SS et quelques uns de la cuisine ont voulu quitter la salle après la première partie de la représentation. A la fin, la musique municipale de Brême. La nuit, je me suis trouvé mal. Je me suis évanoui à deux reprises. J’ai fait des compresses froides sur l’estomac ( ! ? sic)
 
Lundi le 3 décembre 45. J’ai pris un comprimé de laxatif et bu un peu de thé. Pourvu que cette indisposition se dissipe rapidement. Il est temps que je rentre à la maison. Dans les Dernières Nouvelles du 2 déc., n° 282, Jean Knittel écrit sous le titre : Die wissenschaftliche Collaboration (12) : « …  Et enfin l’Alsace-Lorraine, qui a été annexée sans autre forme de procès, sans consultation populaire, et sans que le soi-disant gouvernement français n’élève la voix pour protester avec efficacité et de manière officielle… On leur a volé (aux Alsaciens-Lorrains) la nationalité et imposé le statut hitlérien, avec toutes les conséquences politiques et économiques. Lors des procès contre les généraux - poursuit Knittel - la peine de mort n’a été prononcée sur aucun d’eux (alors que ceux-là précisément, nous avaient plantés-là en 1940) ». Dans cette affaire, estime Knittel, « les juges, en tant que magistrats compétents et maniant avec facilité les arguments juridiques, auraient dû faire des investigations, car les procès parisiens (exception faite des cas particuliers de personnalités moins importantes, les ‘lampistes’ comme on dit) avaient été menés avec une désinvolture incroyable et étrangère à toute dignité nationale ». 
Monsieur Krebs me désigne, dans un roman de Ludwig Tugel, Sankt Bechte, le passage suivant : « Seigneur, nous avons abandonné ta bannière et nous souffrons maintenant, parce que tu nous as envoyé le drapeau rouge. Nous haïssons le drapeau, Seigneur, le drapeau rouge, car nous avons peur de la grande conversion du cœur que tu nous demandes. C’est ainsi, Seigneur, pas autrement ».
M. l’Aumônier a lu un extrait de la Lettre pastorale du nouvel évêque (13) sur la fête de l’Immaculée-conception. Les détenus ont estimé que ce qu’il dit est juste et vrai, mais qu’il vient trop tard. Une parole juste au bon moment aurait dû être prononcée lorsque les masses populaires ont déferlé, portées seulement par la haine au détriment de tout sentiment et de toute pensée chrétienne.
Dans Hérodote, j’ai lu cette anecdote saisissante : « La reine Phérétime, dont le fils, ancien roi de Cyrène, fut assassiné à Barca, avait, en Egypte, demandé aux Perses de venger son fils. Le gouverneur d’Egypte cautionna cette requête. Barca fut prise et Phérétime fit empaler ceux qui étaient les plus coupables. Elle abandonna aux vainqueurs le reste de la population.
(14) Phérétime n’eut pas une fin heureuse, car aussitôt qu’elle eût tiré vengeance de Barca, elle retourna en Egypte où elle mourut misérablement : vivante, elle eut une irruption de vers ! Ainsi donc, les vengeances des hommes exercées avec trop de fureur sont odieuses aux divinités » (Hérodote, livre 4, fin).
(15) Et Hérodote était un païen ! Combien de Phérétimes, combien de femmes et de harpies y a-t-il eu en France et en Alsace il y a encore seulement quelques mois ? Des furies chrétiennes et catholiques ! Madame Bentzing, la mère de celui qui avait été tué et pour lequel j’ai lu hier la Sainte messe, m’a envoyé aujourd’hui un pain rond.
 
4.12.45 Hier, Fête de St François Xavier (16) . J’ai lu la messe pour mon beau-frère, qui portait le nom de ce grand saint. Je l’avais oublié, hier. J’ai essayé de lire aujourd’hui un livre en anglais de Carlyle (17) ; ça va déjà, et même assez bien. Avec l’étudiant en théologie Wagner, j’ai préparé ce matin des pommes de terre rôties pour le petit déjeuner, accompagnées de bon café.
C’est malheureux, en fait, que je sois toujours obligé ici de parler des repas. Mais, au camp, le dicton latin n’avait pas perdu de son sens : Primum vivere, deinde philosophari. Cependant, le philosophari était justifié et apportait sa force de guérison et de vie, les pensées que nous puisons dans notre idéal de vie chrétien : «  Je suis crucifié avec le Christ. Si je vis, ; ce n’est pas moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. Les souffrances du temps présent ne sont pas comparables à la gloire qui doit être révélée en nous. Vous êtes tristes maintenant, mais votre tristesse se changera en joie, et personne ne vous ravira votre joie » (18). Goethe a sans doute pensé à ces divines paroles quand il écrit : « Celui qui n’a jamais mangé son pain en pleurant, celui qui n’a jamais passé des nuits d’angoisse assis sur son lit, celui-là ne vous connaît pas, Forces célestes ».
Le réfectoire a été aujourd’hui lavé avec l’arrosoir et nettoyée avec le balai. Ca va très bien. Allons-nous essayer cela aussi à la maison ? Le plus gras des cinq porcs du camp a été tué. Y aura-t-il aussi quelque chose pour nous, lors de cette fête ? Avec ma santé, ça va un peu mieux aujourd’hui. Mon appareil digestif semble être de nouveau en ordre.
Le temps est à la pluie, mais il fait assez chaud. Quelle influence importante le temps peut-il donc avoir sur un détenu ! Quand les hommes ne sont pas en harmonie avec nous, on se réjouit que la nature, la création de Dieu, semble partager nos joies et nos peines. Je me souviens encore vaguement d’avoir lu, il y a plus de 35 ans, dans la biographie de Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus, comment cette sainte s’était réjouie, le jour de sa Première communion, de la neige tombée au cours de la nuit. Dans son message de pureté, elle voyait le reflet de son âme toute parée, un signe envoyé par la bonté de Dieu. Madame Camille Claus, de la baraque XIV, m’a envoyé un pain de munition (19). Madame Klara Lehmann aussi, a déposé un paquet pour moi à la porte.
 
5.12.45 Je me suis fait raser à l’instant, afin d’être prêt pour le départ. Mais que se passa-t-il ? Mon servant de messe Wagner a eu la chance de pouvoir repartir à la maison avec 30 autres (20). Il m’a fait cadeau d’un ustensile en aluminium dans lequel on peut faire griller du lard, « si on en a ».
L’après-midi, dans la pluie et la neige, j’ai poussé et tiré le tombereau chargé de betteraves pourries, jusqu’à la décharge. La main qui poussait le véhicule était toute raidie de froid et brillait comme une escarboucle. Plus tard, j’ai fait sécher le tablier, les pantalons et les chaussures au fourneau. Le soir, je me suis confectionné un thé chaud et du pain grillé. J’ai terminé mon travail de la journée par un exposé sur l’attitude des prêtres alsaciens envers nous, Schirmeckois. Au dortoir, des chants de Noël à plusieurs voix, interprétés avec émotion et recueillement, ont créé une atmosphère solennelle. St Nicolas n’est pas venu chez nous, mais aujourd’hui, pour sa fête, le … (21).
 
6.12.45. Il y a eu du bon café au petit déjeuner, et les restes de lard, de beurre et de saucisson ont suscité un véritable air de fête. Peut-être que St Nicolas me cherchera enfin pour me conduire à la maison. Je lis et j’étudie tous les jours le livre anglais : Alice en Angleterre (Au Pays des merveilles ?), un livre d’enfant. Ca avance !
Cet après-midi pour la première fois, il n’y a pas eu de travail à faire. Après l’appel, le lieutenant Mura m’a passé le commandement et j’ai dû faire partir toute la troupe de la place. Neige et temps humide ! 20 femmes, 21 hommes, vont être « libérés » pour la Meinau. St Nicolas ne m’a pas emmené, moi. M. Eydmann de la fabrique Email de Strasbourg, m’a tenu compagnie ce soir, avec une tasse de thé chaud. Je lui ai donné un demi paquet de sucre.
 
7.12.45 Vigile pour la Fête de l’Immaculée conception. Dehors, le même temps qu’hier. Au réfectoire, il y a environ 35 détenus qui sont assis à lire…et à manger : une scène inhabituelle. On sent, en général, qu’avec notre camp, ça va vers la fin. Des bas et des chaussures sont accrochés au plafond pour sécher, car hier, au Salm, les pieds et les vêtements ont été trempés. Il est défendu de faire du feu pendant la journée. Ce n’est qu’à partir de 5 heures, que la chaude flamme peut nous revigorer et nous réjouir. Dans notre baraque, c’est encore potable. Nous essayons de prolonger la flambée du matin en mettant un gros morceau de bois.
Je suis toujours en plein dans l’étude de la langue anglaise. Avec la politique mondiale, ça a l’air de coincer : les armées allemandes sont contenues en zone britannique, malgré les protestations russes. Les wagons de charbon de la Ruhr, livrés par la France, ne sont pas déchargés à Paris mais à Berlin. Le ministre de la Justice a démenti qu’on ait découvert des collaborateurs commerciaux à l’Hôtel Majestic. On laisse courir les grands malfrats, et nous, qui n’avons rien volé, on nous a mis en détention « pour cela ».
On a vite tiré la sonnette d’alarme (le frein à main) à Paris. De grands pontes du FFI auraient été découverts, à la risée du monde entier…
Cet après-midi, notre cher Fahsel d’Erstein était ici ! Lui a été dénoncé par sa belle-sœur, et est maintenant libéré. Fahsel m’a apporté un petit paquet avec du pain, du thé, et de la saucisse de foie. En reconnaissance, j’ai lu la messe pour cet « athée », en la Fête de l’Immaculée conception.
 
8.12.45 Beaucoup ont dû aller aujourd’hui au Salm, même en sabots. Le « Rouge » est venu dans notre baraque. Quand il a vu brûler la bûche dans le fourneau, il a donné l’ordre d’enlever les cors et d’éteindre le fourneau. Dehors, il y a de nouveau de la neige. Dix nouveaux ont déménagé de la baraque VI pour venir chez nous ; et parmi eux aussi mon ancien élève Schmittheisler. Pour Martin Clément, arrivé de la Meinau, j’ai dû copier la note de service ; il est de Drusenheim.
A 9 h, le commandant a fait sortir tout le monde des baraques. Aller au terrain d’exercice. Là, le commandant a tenu un « discours au peuple ». « S’il n’y a pas lundi 120 volontaires pour monter au Salm, vous aurez votre repas froid (22). Des mitrailleuses seront placées sur les miradors et tireront une rafale en cas de contestation. Vous croyez que le camp va être dissout ! Cela ne se produira pas ! J’étais à la Préfecture : ils sont assis là-bas dans des bureaux non chauffés. Moi-même, j’y ai attrapé un refroidissement. Je suis plus malade que vous. Qu’aucun d’entre vous ne vienne me dire qu’il n’a pas de chaussures. Quand il est question de s’en aller, vous avez tous des chaussures. Avant 11 heures, aucun de vous n’ira en baraque. Ceux du dernier convoi, on leur aurait coupé la gorge, si les gardiens n’avaient pas été là » ( ? sic)
Le commandant a sorti ces propos en allant et venant, et en fourrageant en l’air avec son bâton. Ensuite, j’ai été nommé chef d’une « corvée de quartier » pour faire enlever les monceaux de neige qu’une corvée du matin avait amoncelés. Le temps était froid, le sol glissant et durement gelé. La colère des détenus se tournait vers le « Rouge » qui, selon toute apparence, cherchait à provoquer le commandant. « A ce démon, il ne manque que les cornes », a dit quelqu’un. « Le monde n’est pas trop grand : quand nous serons dehors un jour, nous arriverons déjà à le retrouver, celui-là ».
Honneur et Patrie, du 9 décembre, n° 26, écrit, dans un article signé A.S.  (23) : « Nous avons cent fois raison de déplorer les irrégularités de l’épuration… Travaillons pour régler les litiges, pour prévenir les différends, pour éclairer les pouvoirs publics… »
J’ai écrit une lettre à ma sœur Martha. L’appel était déjà à 7 heures aujourd’hui, car les gardiens voulaient fêter leur départ avec M. Boissenin. Il y a eu du bruit jusque dans la nuit, des chants et de la musique. M. Boissenin a dit, paraît-il, que dans les trois prochains jours, chacun aura sa notification.
 
9.12.45 Réveil à 6h30, et même selon la méthode militaire du Struthof, avec le clairon. Faire du feu est sévèrement défendu, bien que nous ayons les jours et les nuits les plus froids de décembre. Pourtant, au réfectoire, par les nombreux fourneaux allumés, il fait si chaud que les fenêtres dégèlent. Dans le grand hall régnait un tel froid glacial, que beaucoup ne sont pas venus à la célébration. Le cantique marial : « Es blüht der Blumen eine » (24), que M. Schweitz a mis à 4 voix, a été joliment interprété. La messe de ce dimanche sera sans doute la dernière que j’aurai à célébrer.
A midi, le menu suivant : pommes de terre, betteraves rouges et jaunes, avec du Hi-hi goulasch (25) . A 1h30, l’appel habituel de la mi-journée n’a pas eu lieu. Pour me protéger du grand froid, je porte ma cape de prêtre. La nuit dernière, sur la soutane, elle m’avait déjà tenu chaud, avec une pierre chaude pour les pieds.
 
10.12.45 Un jour très froid. J’avais froid aux pieds toute la nuit. Je n’avais pas pu me chauffer une brique, puisqu’on n’avait pas de feu.
A l’appel, 128 hommes se sont proposés pour le Salm. Les Fifis ont fait les histoires les plus bêtes. Ils avaient espéré qu’il n’y aurait qu’une dizaine de bonhommes ; car ainsi, ils n’auraient pas eu besoin de les accompagner dehors. Les 128 ont reçu un casse-croûte spécial et, à partir de 5h – puisque nous étions si braves – nous avons de nouveau eu le droit de faire du feu. Pour lui avoir recopié une lettre et un « Arrêté », le camarade Martin Clément m’a donné un morceau de beurre et de fromage, ce qui a fait un excellent petit déjeuner pour aujourd’hui.
Qu’est-ce que cette semaine va encore apporter ? Elle sera sans doute la dernière que nous aurons à passer au camp. Demain, dans quatorze jours, ce sera Noël ;  espérons que nous pourrons le passer avec tous les nôtres, unis dans l’ amour et la paix. Ce serait un beau cadeau de Noêl  (26) !
L’étude de l’anglais avance bien. Samedi, les ministres des Affaires étrangères s’étaient réunis à Moscou pour résoudre quelques problèmes brûlants, ou plutôt pour les éteindre (27). C’est la nouvelle qu’a rapportée Ruckgraff de Châtenois, qui peut écouter la radio. Ces ministres seront-ils des « anges de paix » pour l’Allemagne, pour les peuples d’Europe et pour le monde dans son ensemble ?
Cet après-midi j’ai creusé une fosse, derrière les sanitaires – feuillée - car les cuvettes des toilettes sont gelées et ne peuvent plus être utilisées. En creusant, nous sommes tombés sur une nappe phréatique très haute et avons dû de nouveau remblayer la fosse.
M. Mura m’a montré, derrière le camp, un endroit où le dispensaire prévu devrait se trouver. Il m’incombait de diriger les travaux. J’ai fait creuser deux tranchées en aidant moi-même avec pioche et pelle, car deux hommes de ma corvée s’étaient éclipsés. De retour à la baraque, j’ai reçu une lettre de M. l’Aumônier, que le vicaire Oberlé (28) avait transmise. Dans cette lettre, l’Ordinariat épiscopal me faisait savoir que j’étais libre. Mes camarades m’ont félicité. Le soir, j’ai tenu, pour mes adieux, une dernière conférence sur le thème : « Quel témoignage puis-je donner comme détenu au camp ? »
Le jeune Hoffmann s’est mis à la chasse aux rats. Malgré l’interdiction, on a fait du feu ce soir.
 
11.12.45 J’entame aujourd’hui le 12e mois de ma captivité. J’ai écrit à Mgr Kolb (29) la lettre suivante de 7 lignes  (30) : « Mgr. Votre lettre du 7.XII. par laquelle vous me félicitez de ma libération m’est parvenue hier, au moment où j’ai creusé une fosse-feuillée pour mes camarades. Il y a sûrement quelqu’un qui, pour prolonger les souffrances de mon internement, doit avoir retenu les papiers de ma libération. Veuillez remercier Monseigneur des démarches faites en ma faveur et recevez vous-même l’expression de mes sentiments les meilleurs. L.J. » 
 
Quatre jours manquent ici.  J’ai dispersé ou perdu les pages concernées (31).
 
16.12.45  3e dimanche de l’Avent. Un temps splendide et ensoleillé. Au cours de la célébration, il n’y avait qu’un petit nombre de femmes, car toutes les femmes doivent être transférées à la Meinau. Elles ont dû reprendre au bureau leur argent et leurs objets personnels, et remplir quelques dernières formalités. Quelques hommes aussi ont été appelés et doivent quitter demain.
J’ai écrit une lettre à M. le député Meck (32), dans laquelle j’ai mentionné succinctement ce que j’ai dû traverser ici. Je lui ai demandé de faire en sorte que les détenus qui, comme moi, sont avertis de leur libération, puissent enfin obtenir leur laisser passer, pour que leur fête de Noêl ne soit pas gâchée.
Du lard et de la dinde qui m’ont été envoyés, il y a encore des restes. Pourvu qu’on ne nous enlève pas de nouveau, comme dimanche dernier, le beurre et le pain. On n’avait pas le droit de faire cela, car le beurre n’est pas un complément au repas du soir, mais le repas lui-même.
Tous ceux qui n’avaient pas travaillé n’ont reçu que du café, et c’est pourquoi j’ai accompli chaque jour consciencieusement ma corvée.
Hier, j’ai chargé et déchargé deux voitures de petit bois. Nous avons reçu aujourd’hui notre beurre, mais seulement un petit morceau. Le « Bonjour Waeckel », qui m’a demandé aujourd’hui de lui apprendre de nouveau le Symbole des Apôtres, m’a donné un morceau de gâteau.
 
17.12.45 Aujourd’hui comme hier, de nouveau un temps d’hiver chaud et ensoleillé. A 11h, les femmes et les hommes qui devaient être transférés à la Meinau sont partis. Est-ce qu’aujourd’hui ou demain se lèvera aussi mon Jour ? J’ai recopié pour M. Kurtz, le délégué du camp, le poème de Hilde Lenhart : Alsace, devras-tu être toujours une région-frontière ?
Aujourd’hui, le repas de midi a eu lieu déjà à 10h30. 579 détenus se trouvent encore dans notre camp. 79 femmes et 17 hommes sont partis aujourd’hui. Notre repas de midi : une soupe de carottes avec le reste des petits pois et du goulasch d’hier.
Une commission de la Préfecture devait passer aujourd’hui dans les baraques. Mais personne n’est venu. Cet après-midi, j’étais au commando du bois. J’ai coupé un peu de bois et aidé à décharger une voiture. Après, je me suis tiré, sachant bien que j’étais « libre », et je me suis grillé un peu de lard avec des pommes de terre volées.
Le soir, j’ai fait de l’anglais et écrit une requête pour Joseph Hasenfratz. Il aurait voulu être transféré à la Meinau, pour qu’il soit possible à sa femme - mère de 11 enfants – de venir le visiter en l’espace d’une journée. Jusqu’à présent, il lui fallait deux jours pour aller le voir, et elle devait chaque fois confier ses enfants à d’autres personnes.
 
18.12.45 Cette nuit, j’ai rêvé de mon père. C’est ce qui m’a incité à consacrer la messe d’aujourd’hui au repos de l’âme de mes parents. Un autre rêve m’est resté en mémoire : des sangliers venaient m’attaquer. Je suis resté sur place et les ai caressés ; alors ils se sont complètement calmés. C’est ainsi que je devrai traiter mes « sauvages » paroissiens, en espérant que mon rêve se réalisera aussi en ce qui les concerne.
A l’appel, le baromètre était de nouveau à la tempête : le commandant voulait encore 120 hommes - accompagnés de 15 gardiens – pour le Salm. Il a pris dans toutes les corvées les gens qu’il lui fallait : peleurs de pommes de terre, menuisiers, peintres, tout le monde a dû s’y mettre. J’ai lu la Ste messe pendant l’appel, et ainsi, j’étais hors de portée du « Führer ».
Mon servant de messe, Marco, fait partie à présent du personnel médical du camp. Peut-être pourra-t-il maintenant se libérer plus facilement le matin, pour le service de l’autel. Il m’a, un jour, fait cadeau en souvenir, d’un tableau encadré, avec un beau verset : « Quand les
pensées s’agitent en foule au-dedans de moi, Tes consolations réjouissent mon âme » Ps 93 Struthof – Schirmeck 1945. Pour M. le curé Jenn, en fidèle souvenir, F. Marco (33).
En réalité, je ne devrais plus être sollicité pour aucun travail, puisque j’ai entre les mains la preuve écrite que je suis « libre ». C’est là que l’on reconnaît clairement la grande différence entre ce qui est officiel et ce qui ne l’est pas. Les informations et les documents qui ne sont pas « officiels » sont tous sans valeur et sans intérêt. L’heure de ma libération n’est sûrement pas loin. Ce matin, de nouveau, 11 prisonniers ont été libérés et parmi eux, mon fournisseur de thé, Meyer, qui, par gratitude, m’a laissé un morceau de bon savon de Marseille.
Parmi les partants se trouvent, comme a cru l’annoncer M. Kurtz, ceux qui étaient déjà libérés en octobre. Qu’est-ce que ça peut faire aux ronds de cuir, si nous restons ici un, ou dix, ou vingt jours de plus, et avons davantage à souffrir ? Si ce rythme se poursuit, je ne pourrai célébrer ni Noël, ni ma fête à la maison. Cet après-midi, il y en a de nouveau 11 qui ont été libérés, et je n’étais toujours pas parmi eux.
J’ai chargé deux voitures de petit bois et un camion de charbon de bois. (34). Ensuite, on m’a mis à la corvée des petits paquets.
Dans la salle de séjour des gardiens, une affiche demande aux Fifis de rechercher un autre travail, car le camp doit bientôt être fermé.
Ma lettre a été remise ce matin à M. Meck, par des voies détournées. Comment va-t-il réagir ? Que fait l’Evêché ? J’attends d’être libéré avec certitude, demain. « Demain, il faut que je parte d’ici, et je ne peux pas rester plus longtemps ». Il faut que je modifie un peu le texte : « Demain, je veux partir d’ici car je ne peux pas rester plus longtemps ».. Exerçons-nous en attendant à la sancta indifferentia. Dieu sait pourquoi pas maintenant, pourquoi plus tard, et cela doit te suffire.
On voudrait préparer la fête de Noël, mais l’ambiance et la joie en sont absentes. Une fête de Noêl en commun a été défendue, car elle est perçue comme une manifestation, et on en a peur. Mais dans les baraques individuelles, les célébrations de Noël avec allocutions et chants sont tolérées.
 
19.12.45 Hier soir, j’ai fait une causerie de Noël, sur le sapin de Noël alsacien, la crèche et le chant : « Douce nuit, sainte nuit », ainsi que sur le mystère de Noël.
Par ce temps de pluie, il y en a seulement 50 qui se sont proposés pour le Salm. Le « Bonjour Weckel » et son camarade Hoch ont été libérés pour la Meinau. Je vais me faire couper les cheveux et aussi raser, en vue de « ma prochaine libération ». Il y en a eu de nouveau quelques-uns aujourd’hui.
Est-ce qu’à cette « loterie », comme disent les copains, je tirerai aussi une fois le numéro gagnant ? Cette nuit, j’étais de nouveau à la maison. Quand est-ce que mon rêve deviendra réalité ?
Mon vicaire se fait apparemment du souci au sujet des enfants dont il a la responsabilité ; il s’agit d’une association suisse. En raison du cours très bas de notre Franc, la différence est assez grande. Lucien Haberer n’a, paraît-il rien obtenu, à la suite d’un accident. Comme M. le Vicaire a appris cela, je suppose que Lucien Haberer se charge des comptes du Conseil de Fabrique, ou au moins lui apporte son aide.
Cet après-midi, j’ai cherché en forêt une charge de bois : promenade et chemin de croix. Le temps était très variable, tantôt ensoleillé, tantôt à la pluie. En revenant, le Harwa a dit au gardien : « Ca, c’est le prêtre qui a dessiné l’image au Bunker » (35) . En cherchant du bois, j’ai remarqué le soir, que j’avais sérieusement déchiré mon pantalon. Vaut-il encore la peine de l’échanger ? Hier soir, le commandant a sans doute apporté mon ordre de départ. Je pourrais presque penser que tout en possédant déjà ma lettre de libération, on retarde volontairement mon départ.
Le résident, M. Dissler, qui, en second métier, est aussi artiste-peintre, et a fait encadrer ici ses tableaux à très bon marché, est venu chercher aujourd’hui ses encadrements. Il était tellement ivre, que Louis a dû le conduire à l’atelier. Il s’est plaint d’être sans travail, alors qu’il était résident ici depuis le début. C’est triste, car il doit encore se soucier d’un père âgé.
Il faudrait qu’on s’occupe de lui et qu’on lui procure du travail après la fermeture du camp.
Dans la salle des gardiens, il a été affiché de nouveau que le camp sera fermé le 15 janvier, mais que les gardiens recevront leur solde jusqu’au 15 février. Ils devraient donc se prendre à temps pour chercher du travail.
 
20.12.45 La sonnerie du lever a été oubliée ce matin. A la suite du « Praesens » d’hier, on a dormi trop tard. Stocky de la Wangenbourg, qui m’a souvent vidé son cœur, m’ »a raconté aujourd’hui, qu’il avait été condamné à 20 ans de travaux forcés, parce qu’il avait falsifié plus de 70 cartes d’identité. Le curé de Lutzelhouse a, semble-t-il , mal parlé à son sujet. « C’est à cause de gens comme lui, que les soldats alsaciens ont dû aller à Tambov ».
Mon camarade de chambre Schmitz, de Sundhoffen, a, dans son document, la mention : « A été gardien au Struthof », alors qu’il n’a jamais été là-haut de toute sa vie. Deux autres, de notre baraques, ont été appelés à être libérés, et je n’étais de nouveau pas parmi eux. C’est pourquoi, j’ai écrit à l’Ordinariat de l’Evêché la carte suivante  (36) :
« Schirmeck, le 20.XII.45. Malgré votre bonne nouvelle m’annonçant la libération obtenue par les démarches de Mgr l’Evêque, je suis encore ici au camp d’internement. Je regrette donc de ne pouvoir vous fournir les documents nécessaires pour ma mise à la retraite le 1er janvier 1946. Salutations respectueuses en N.S. ».
M. W. s’est de suite « occupé » de la lettre.
 
21.12.45 J’ai lu la messe d’aujourd’hui pour le camarade Jos. Hasenfratz et sa famille de 11 enfants. Il avait pas mal de visites et de son paquet il m’a donné un morceau de fromage. Son beau-frère, Eug. Bertrand, aussi de Schweighouse, B/Rh, m’a donné des pommes, des noix, un morceau de langue et une barre de chocolat. Je viens de finir ces réserves. Dieu qui nourrit les oiseaux et pare les lys, a de nouveau, avec son amour paternel, pensé à moi. Comment disait le catéchisme, dans le temps ? « Rien ne vient par hasard, tout vient d’En- .haut ». De la soupe de betteraves et de nouveau de la soupe de betteraves, essayez, vous à la maison, pour voir si vous n’en avez pas finalement assez. Pourtant, la faim est encore toujours le meilleur cuisinier.
Si je ne suis pas libéré aujourd’hui, je devrai encore, malgré tout, fêter Noêl au camp. En réalité, je me suis déjà habitué à cette idée. Je viens d’utiliser le dernier petit morceau de cirage à chaussures. Si je dois rester plus longtemps, il faudra que je rentre à la maison avec des chaussures non cirées. Mais on m’accueillera quand même. Et mes paroissiens aussi ?
Hier soir, un petit intermède. Lorsque le courant électrique a été coupé, certains ont entonné des chants de Noël. Quand, à la fin, ils ont chanté plus fort, le chef de baraque, Dochler, a fait irruption et, en colère, a mis le holà à un tel « comportement ». Un mot amenant l’autre, cela devenait pointu. Cet après-midi, 2 chanteurs ont été expulsés et amenés en baraque III. Ils ont protesté. Le délégué a essayé d’intervenir en médiateur. Va-t-il réussir ? Comme Mura a six jours de congé et que le sieur commandant part aussi en vacances, l’affaire pourra s’arranger au mieux.
On a demandé aux enseignants de s’annoncer. Je me suis présenté aussi en tant  « qu’ancien professeur du Collège épiscopal » . Mais on n’a pas accepté mes services, prétextant que « vous allez bientôt partir ». (37) .
 
22.12.45 Un copain de notre chambre a été libéré ce matin. Sa femme l’attendait au portail du camp. Il y en a un qui lui a dit en plaisantant : « Ceci a sans doute coûté la moitié d’un cochon ! » Il n’a pas répliqué. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’en était pas ainsi. Claivenau a fait une enquête sur le bois volé et est tombé sur une caisse de coke. D’où vient ce produit de contrebande ?
« Soyez à 2 heures précises au portail. Vous êtes libéré ! »
 
Lucienne, ma nièce, voulait justement déposer un paquet pour moi. Nous étions 25 à espérer pouvoir quand même fêter Noël avec les nôtres, à la maison. Lucienne s’est précipitée joyeusement vers moi, quand elle m’a vu dans la salle d’attente de la gare. Quelle joie !
Nous avons roulé jusqu’à Strasbourg, où j’ai avalé un sandwich pour 27 Francs, avec une bière et un bon café. En tout : 37 Francs.
A Bischoffsheim, Jeanne Jost, la fille de l’ancien maire, m’a accueilli. Mademoiselle Anna Wimmer est aussi sortie, quand elle m’a aperçu, et a laissé éclater sa joie. La voisine, Klara Lehmann voulait aussi voir M. le curé. Elle s’était donné beaucoup de mal pour m’apporter des paquets au Struthof. Encore un bon café au lait, et je suis allé me coucher. Malgré la bouillotte, je n’ai pas bien dormi.
 
23.12.45 A 6h, tôt le matin, j’ai lu la messe, et ensuite, je me suis rendu avec Lucienne à la gare, pour aller vers Eichhofen.-Andlau, chez notre chère tante et sœur Marthe. Nous avons voulu la chercher. A Strasbourg, nous avions pris 3 billets pour Paris (38) et réservé des places pour 3 personnes en seconde classe : 582 + 45 = 597, donc 600 Francs par personne.
Tante a eu une joie énorme de nous revoir et surtout de me savoir libéré. A midi, nous avons mangé ensemble chez Madame Wach-Gremmel : pommes-frites avec de la viande, et le soir de la salade de pommes de terre avec des côtelettes de porc. Pour retourner à la maison, d’Andlau à Eichhoffen, puis d’Obernai à Bischoffsheim, nous avons dû marcher et traîner la lourde valise de la tante. Sepp Baechtel et son gendre étaient aussi descendus avec nous , mais n’ont pas été très serviables.
Au presbytère, des jeunes filles étaient occupées à remplir et nouer des paquets de Noêl pour la paroisse de Schirrain. Je me suis rendu dans la grande salle pour inviter M. le vicaire à souper. Pas un seul ne m’a salué ni tendu la main (39). Anna Fischer et Anna Wimmer m’ont apporté de petits cadeaux : du sucre, du kougelopf, de la liqueur, du lait, et un poulet déplumé. Tard le soir, on a encore préparé les choses à emporter, et enveloppé mes habits civils. Il était minuit, quand on a pu aller se coucher.
 
24.12.45 A 5 h moins le quart, je me suis levé pour lire la Ste messe. A la gare, personne ne nous a témoigné la moindre attention. Pays de la peur ! Pour Lucien Haberer qui accompagnait son amie à la gare, nous n’étions tous que du vent.
A la gare de Strasbourg, nous avons été salués par Heller Auguste et Hoffmann (Kirmann) Florent. Sur la place de la Gare, très embouteillée, je me suis fait couper et friser les cheveux, raser la barbe. Total : 42 Francs. Jusque ­-là, tout s’était déroulé comme prévu. 
 
ANNEXE (ajoutée par l’abbé Jenn, en allemand) : 
«En ce qui concerne la France, nous avons résolu d’oublier le passé et les peurs », avait déclaré le président algérien Ben Bella, au correspondant de l’Hebdomadaire tunisien : Jeune Afrique. « Quand j’étais en Tchécoslovaquie », ajoutait Ben Bella, « j’ai été frappé par la manière avec laquelle on entretenait là-bas un passé douloureux, ainsi que la haine contre l’Allemagne. C’est ce que j’ai dit aussi à mes amis allemands. Les Tchèques cultivent le souvenir de leur village martyr Lidice. Mais nous avions, en 7 ans de guerre, 8.000 Lidices. Et ceci, nous l’avons oublié » (40) .
 
René Schikelé :
« Sur aucune partie de la terre, on ne ment autant (qu’en Alsace). Les trous de mémoire sont une des particularités les plus frappantes de notre terroir. On peut, avec une relative bonne conscience, décharger les menteurs de deux ou trois mensonges quand il y en a dix, et les mettre sur le compte d’un défaut de mémoire. Quand, par exemple aujourd’hui, un bon patriote français affirme qu’il a toujours haï l’Allemagne, et porté avec répulsion, du temps allemand, l’Ordre avec lequel il avait été récompensé par l’Empereur Guillaume II pour sa fidélité au Souverain et à l’Empire, alors ce n’est pas un mensonge, même pas un mensonge pieux, mais une faiblesse de mémoire. Cet homme ne sait pas penser autrement – vraiment pas » (Cela a été écrit en 1928 par R.Schikelé. Cf Voix d’Alsace-Lorraine, 11e année, n° 5, 1er mars 1968).
 
Les prêtres du KZ  (41) : 
Abbé August Cridlig est mort comme prêtre de Winkel, le 13/3/57 (42) .
Abbé Charles Rauch, est décédé comme curé d’Ottersthal, le 18/4/1064 (43).
Dr Brauner est mort…en 1945 (44) .
J. de Baulin est mort à Paris de suite après sa libération, à la suite des sévices endurés au KZ Struthof. (45) .
Abbé Lucien Jenn : De 5 prêtres emprisonnés, je suis le seul survivant. Après ma libération, je me suis retiré à Gewenatten, près de Dannemarie (46) . Après la mort de ma sœur, j’ai eu la chance d’échapper à la police (47) . 
J’ai fait 16 heures de vol, pour aller de Paris à New-York, USA.
En 1947, j’étais chapelain dans les 2 prisons d’Etat de Lincoln (Nebraska).
1948 – 1955, chapelain et professeur au collège St Michael de Santa-Fe (Nouveau-Mexique).
1956, missionnaire dans les faubourgs de Veracruz – Mexico.
1956 – 1963, aumônier à l’Orphelinat St Joseph de Thann.
1963, retiré à Thann, Résidence Kléber, rue des Jardins.
Le 26 juillet 1970, j’ai fêté en la Collégiale de Thann mon jubilé sacerdotal de diamant.
Le 30 avril 1951, l’archevêque de Santa Fe, Mgr Edwin V. Burne m’a écrit  : « Du fond du coeur, je vous remercie pour l’œuvre magnifique que vous avez accomplie à St Michael’s College, et je demande à Dieu de vous récompenser généreusement…Je sais que toutes choses se trouvent entre vos mains habiles, vos saintes mains ! A vous, avec ma gratitude en Christ, Edwin V. Burne, most res. Ed. Byrne – Archevêque de Santa Fe » (48) .
 
 
F I N   D U   T A P U S C R I T.  
 
« André Hugel (Riquewihr) m’a (49) envoyé des photocopies d’un résumé dactylographié de 13 pages du Tagebuch effectué par le curé retraité Jean Fuchs ( 50) à Raedersdorf en 1988, d’après le manuscrit de l’abbé Jenn. Dans ce résumé figure un passage qui n’apparaît pas dans le tapuscrit de Gabriel Andrès »  :
 
15.11.45 (p. 736) (51) : Un Italien nous donne l’information suivante : « Ici, nous avons dû creuser, et nous avons trouvé des ossements tellement gros, qu’aucun humain ne peut en avoir. Et après, ils viennent et disent : ‘ Ici reposent les camarades ‘. Un monument en pierre de granit a été érigé derrière le Bunker, avec une croix et muni de l’inscription : « Ossa humiliata », et cependant, aucun ossement humain n’y a été trouvé. »
 
Le curé Jean Fuchs ajoute :
« Moi-même, j’ai vu dans les années 50, lors d’une visite au camp du Struthof ce monument avec l’inscription citée ; on nous a expliqué que c’était le dépotoir du camp, là où les cendres des corps brûlés au crématoire avaient été apportées ».
 
« Le manuscrit de l’abbé Jenn comporte 6 cahiers d’écolier de globalement 700 pages numérotées, avec beaucoup de ratures et de corrections ; c’est souvent difficile à déchiffrer, même si l’écriture elle-même est belle et facile à lire » (Curé Jean Fuchs, 1911 – 2012).
 
 
 
Extrait de l’arrêt de la Chambre civique de Saverne du 14.5.1946,
condamnant M. Jenn à 20 ans de dégradation nationale :
 
… Attendu que :
…notamment d’avoir servi la cause allemande, en tolérant les agissements de sa sœur en faveur de l’Allemagne, qui portait une couronne à l’occasion du Sonnenwendefeier ; en témoignant contre le témoin Meyer puisqu’il avait tiré sur des aviateurs allemands ; en écrivant au Kreisleiter de Molsheim une lettre du 22 novembre 1940, dans laquelle, d’une façon tendancieuse, il s’est plaint des injustices qui auraient été infligées à sa famille par les Français, et en assurant les autorité nazies du dévouement de sa famille vis-à-vis du germanisme ; en disant de la chaire : « Maintenant les nôtres sont là »…
 
Par ces motifs, la Chambre civique,
Déclare JENN Lucien d’avoir servi la cause allemande, en tolérant des agissements de sa sœur en faveur de l’Allemagne, qui portait une couronne à l’occasion du Sonnenwendefest ; en témoignant contre le témoin Meyer, puisqu’il avait tiré sur des aviateurs allemands ; enfin en écrivant au Kreisleiter de Molsheim, une lettre du 22 novembre 1940, dans laquelle, d’une façon tendancieuse, il s’est plaint des injustices qui auraient été infligées à sa famille par les Français, et en assurant les autorités nazies du dévouement de sa famille vis-à-vis du germanisme, en disant de la chaire : « Maintenant les nôtres sont là »,
 
Le condamne à la dégradation nationale,
 
Dit qu’il sera privé des droits mentionnés en l’article 21 de l’Ordonnance du 26 décembre 1944, pour une durée de vingt ans. (52) 
 
 
N O T E S  : 
 
(1) Le vicaire était l’abbé Paul Oberlé, né à Gambsheim le 30 juin 1915, ordonné le 29 juin 1942, vicaire à Bischoffsheim du 7 juillet 1942 jusqu’au 16 mars 1946, date à partir de laquelle il dessert la paroisse de Mutzig. Cinq ans après, il est curé de Wahlenheim (21 juillet 1951). Il décède le 8 novembre 1975 et est inhumé à Gambsheim. Il a assuré la vacance de la paroisse du curé Jenn pendant la détention de ce dernier à Schirmeck et au Struthof.
 
(2) 22 novembre 1918 et 23 novembre 1944 : libérations de Strasbourg.
 
(3) Une répétition.
 
(4) L’Ordinariat : « On appelle Ordinariat l’administration diocésaine avec, à sa tête, l’évêque et les vicaires généraux. En droit canonique, lorsqu’on parle de l’Ordinaire, cela signifie l’évêque. En Allemagne, par exemple, on ne dit pas l’Evêché, mais « Das Ordinariat ». Dans le diocèse de Strasbourg et donc pour l’abbé Jenn en 1945, on désigne par Ordinariat les Vicaires généraux » (J.L.Engel, Archiviste ).
 
(5) Léon XIII : Joachim Pecci était né en 1810 à Carpinetto (Italie). Il a été pape de 1878 à 1903. Voir La Voix… n° 33, note 14.
 
(6) Du camp, ils iront en prison à Strasbourg, rue du Fil.
 
(7) Le Commissaire de Police, à Schirmeck, lui avait reproché d’être allé plusieurs fois en Allemagne, mais ignorait que c’était pour des pèlerinages. (La Voix….n° 35, p. 13 ). A Konnersreut, en Bavière, est née Thérèse Neumann, mystique et stigmatisée (1898 – 1962). L’abbé Jenn y a certainement rencontré l’abbé Joseph Naber, curé du lieu de 1909 à 1960, qui a été le soutien spirituel de Thérèse Neumann. Les Nazis avaient tenté de l’assassiner et d’incendier le village, mais il eut la vie sauve grâce aux Américains, qui protégèrent aussi la maison de Thérèse Neumann. Celle-ci inspira la fondation d’un couvent dédié à Ste Thérèse de Lisieux en 1962. Elle devait décéder la même année, le 18 septembre .
 
(8) Hérodote est né à Alicarnasse en Turquie, vers 480 avant J.C., et est mort vers 425 à Thourioi, en Italie. Cicéron l’avait appelé : « Le père de l’Histoire ». Son unique œuvre, écrite en dialecte ionien (papyrus d’Oxyrhynque) est intitulée : Histoires (du grec Historia : recherche, exploration. L’Histeor est celui qui sait, qui connaît). Elle comporte 9 livres et a été écrite « afin que le temps n’abolisse pas le souvenir des actions des hommes et que les grands exploits accomplis soit par les Grecs soit par les Barbares, ne tombent pas dans l’oubli ». On y trouve aussi des descriptions géographiques et des récits relatifs aux coutumes, aux croyances et modes de vie de tous les peuples d’Asie .
 
(9) « La forêt déserte ».
 
(10) Voir La Voix… n° 30, pp. 3-4.
 
(11) Concernant le Chanoine Nagel, nous citons ce qu’écrit M. Jean-Louis Engel, Archiviste du Diocèse : « La mention (le 28/11) du chanoine Nagel est une erreur. Il y a bien un Joseph Nagel, curé de Ste Croix-aux-Mines, et un Ernest Nagel, aumônier. Mais aucun des deux n’est chanoine, et surtout aucun des deux n’est habilité à accompagner l’aumônier du camp du Struthof pour les démarches de renseignements auprès de la Préfecture. Celui qui est en relation au nom de l’Evêché avec les services de l’Etat et la Préfecture, c’est le chancelier et secrétaire général de l’Evêché. Il doit donc s’agir du chanoine Marcel Lang : né à Strasbourg le 21/5/19O8, ordonné le 4/4/1931, secrétaire de l’Evêché en 1931, chancelier et secrétaire général de l’Evêché le 12/4/1945, chanoine honoraire le 4/11/1945. Il se retire le 1/9/1942 et est décédé le 4 septembre 1988 ».
 
(12) La Collaboration scientifique. La suite en allemand.
 
(13) Le nouvel évêque est Charles, Joseph, Eugène Ruch , né en 1873 et décédé le 30 août 1945. Jean-Julien Weber (1888 – 1981) , d’abord coadjuteur de Mgr Ruch (1/6/45), lui succède le 29 août 1945. Voir La Voix… n° 28, notes 16 et 17.
 
(14) La suite en français.
 
(15) En allemand maintenant.
 
(16) Le saint Patron de toutes les missions catholiques, Francisco de Jasso y Azpilicueta, est né le 7 avril 1506 à Javier (Navarre). Missionnaire jésuite, François Xavier est l’un des cofondateurs de la Compagnie de Jésus en 1539. Nonce apostolique, il est envoyé par le pape Paul III en mission en Extrême-Orient (1541). Il meurt en 1552 à Shang Chuan (Chine). Il est canonisé le 12 mars 1622 par Grégoire XV, en même temps que son ami Ignace de Loyola et Thérèse d’Avila.
 
(17) Thomas Carlyle, écrivain, satiriste et historien britannique, est né dans une famille calviniste, le 4 décembre 1795 à Ecclefechan en Ecosse, et mort à Chelsea (Londres) le 5 février 1881. En 1837, il publie l’Histoire de la Révolution française : The French Revolution : A History, où il montre un profond dégoût à l’égard de cet événement. Il est raciste, partisan de l’esclavage. Parmi ses autres oeuvres on trouve : une Etude sur Novalis (1829), On Heroes and Hero Worship and the Heroic in History (1841), Signs of the Times (1829), Past and Present (1843), Oliver Cromwell’s letters and speeches with elucidations (3 vol., 1845), History of Friedrich II of Prussia (1858).
 
(18) Notre auteur ne donne pas ses références, mais cite de mémoire : Gal. 2/20 ; Jn 16/22.
 
(19) « Kommissbrot »
 
(20) C’était ce théologien dont il parle plus haut .
 
(21) Le tapuscrit est coupé ici.
 
(22) En allemand, un terme péjoratif difficile à traduire : « Fressen » , qui désigne plutôt la pitance d’un animal.
 
(23) La citation est en français.
 
(24) « Une fleur est éclose »
 
(25) Etait-ce parce qu’on riait quand on l’apportait, ou parce qu’on se moquait, ne sachant pas ce qu’il y avait dedans ?
 
(26) Il se fait beaucoup d’illusions et sera cruellement déçu.
 
(27) L’auteur, dans tout ce journal, ne fait aucune allusion aux grands événements de l’année 1945 : les bombardements britanniques d’une centaine de villes allemandes, la conférence de Yalta, le suicide d’Hitler, la capitulation de l’Allemagne, la bombe d’Hiroshima, la découverte des autres camps, et jamais une seule mention d’Auschwitz ni des déportations de Juifs. C’est étonnant, car, autour de lui, l’information a dû circuler.
 
(28) L’abbé Oberlé : voir ci-dessus, note 1.
 
(29) Mgr Kolb : Voir La Voix…n° 28, note 18.
 
(30) En français.
 
(31) En relisant son journal, l’auteur fait cette remarque.
 
(32) Le député Meck : Henri Meck est né le 31 juillet 1897 à Saverne. Syndicaliste, secrétaire général de la Fédération des syndicats chrétiens d’Alsace et de Lorraine, secrétaire général de la Fédération CFTC des Mineurs, Henri Meck est élu député de la circonscription de Molsheim (Parti démocrate populaire) en 1928, et réélu en 1932. L’année suivante, il est maire de Molsheim, puis conseiller général de Benfeld (1934). De nouveau député en 1936, il rejoint le groupe des Indépendants d’Action Populaire où l’on trouve « l’ensemble des députés chrétiens et autonomistes de l’Est de la France » (Wikipédia). Il vote les pleins pouvoirs à Pétain, et est expulsé d’Alsace en 1942 par les nazis. Il se réfugie dans le sud-ouest où il rejoint des réseaux de résistance. Il revient en Alsace fin 1945 et retrouve la CFTC ainsi que le MRP. Il est conseiller général du canton de Benfeld de 1945 à 1955, puis du canton de Molsheim à, partir de 1955 . En janvier 1960, il succède à Pierre Pflimlin comme président du Conseil général du Bas-Rhin. Il décède le 25 décembre 1966 et repose à Molsheim.
 
(33) Ps 94/19.
 
(34) « Tankholtz »
 
(35) Il s’agit de l’image du Christ. Voir La Voix… n° 26, p. 14.
 
(36) En français.
 
(37) Les phrases citées sont en français.
 
(38) Joseph, le frère de l’abbé Jenn, était retourné à Paris. Voir la Voix… n° 35, p.6.
 
(39) Nous soulignons.
 
(40) Lidice : Oradour tchèque, le massacre de Lidice aura fait 445 victimes en représailles à l’attentat contre le SS-Obergruppenführer et général de Police du Protectorat de Bohème-Moravie, Reinhard Heydrich. Cette zone de la Tchécoslovaquie était occupée par l’Allemagne depuis le 5 avril 1939. Résidant au château de Prague, Heidrich est attaqué en chemin, dans sa voiture, par deux soldats slovaque et tchèque : Josef Gabcik et Jan Kubis. Blessé, il mourra d’une infection généralisée le 4 juin 1942. Hitler et Himmler ordonnent l’exécution des 173 hommes du village et la déportation des 184 femmes et 88 enfants., le 10 juin 1942. Deux semaines plus tard, le village de Zaky est détruit, en raison de la présence de résistants clandestins alliés aux assaillants de Heydrich.
 
(41) Liste ajoutée par l’abbé Jenn.
 
(42) Abbé Auguste Cridlig : voir La Voix n° 25, p. 9.
 
(43) Abbé Charles Rauch : voir La Voix… n° 28, note 4.
 
(44) Abbé Brauner : voir La Voix… n° 27, note 11.
 
(45) Abbé J. de Baulin : Voir La Voix… n° 28, p.9 : « Un prêtre de Paris, d’origine russe », prisonnier et martyrisé au camp français de Schirmeck.
 
(46) 1er janvier 1946.
 
(47) Sa sœur Marthe est décédée le 17 mars 1947.
L’abbé Jenn est condamné à vingt ans de dégradation nationale par la Chambre civique de Saverne, le 14 mai 1946. Sa condamnation prenait fin en mai 1966. Mais il revient en A1sace déjà dix ans et demi après, en novembre 1956, et décède le 25 septembre 1976 après s’être retiré à Thann pendant treize ans.
 
(48) La lettre est citée en anglais.
 
(49) C’est probablement Bernard Wittmann qui écrit ceci.
 
(50) Abbé Jean Fuchs : né à Koetzingue, le 16 mai 1911, il est ordonné le 16 juillet 1936. Vicaire à la paroisse St Antoine de Colmar, en 1936, il est ensuite curé de Widensolen (16/4/1945), puis à Kirchberg-Wegscheid, en 1950, ensuite à Sélestat Notre-Dame de la Paix (1961). En 1971, il est curé de Raedersdorf et décède dans cette localité le 27 février 2012.
 
(51) En allemand.
 
(52) Ici nous avons remplacé les virgules du tapuscrit par des points-virgules, pour rendre la compréhension du texte plus aisée. 
 
Nota : Sur les prêtres et religieux d’Alsace, internés et déportés sous le régime nazi, voir l’ouvrage fondamental de René EPP : L’Enfer sur terre. Témoins de la Foi, témoins de l’Amour… (Media, 2000).
 
Les camps français de Schirmeck et du Struthof ont été fermés fin décembre 1945, quelques jours après le départ de l’abbé Jenn. 
 
 
L A   P H R A S E   D U   M O I S  : 
 
« En ce qui concerne la France, nous avons résolu d’oublier le passé et les peurs. Quand j’étais en Tchécoslovaquie, j’ai été frappé par la manière avec laquelle on entretenait là-bas un passé douloureux, ainsi que la haine contre l’Allemagne. C’est ce que j’ai dit aussi à mes amis allemands. Les Tchèques cultivent le souvenir de leur village martyr Lidice. Mais nous avions, en sept ans de guerre, 8.000 Lidice. Et ceci, nous l’avons oublié ».
 
Ahmed Ben Bella, Président algérien.
 
 
Voici la fin de la traduction française du Journal de l’abbé Lucien Jenn.
 
Cet écrit aura révélé bien des choses sur l’épuration en Alsace, le comportement des habitants, ainsi que sur les camps français du Struthof et de Schirmeck, choses qui avaient été volontairement cachées. Il permettra aussi d’avoir une autre idée de certains camps allemands, celui du Struthof et de Dachau en particulier.
 
Pour l’historien sans parti pris, ces lignes ouvriront une perception plus juste de cette histoire, débarrassée des clichés que l’on se plaît à transmettre, parce qu’ils arrangent notre confort intellectuel, et permettent d’entretenir la haine avec bonne conscience.
 
Or, on trouve la voie de la vérité quand on cherche à comprendre. Et on dit que comprendre, c’est pardonner. Mais, dans les abîmes de la barbarie humaine, peut-on vraiment tout comprendre ? Il faut beaucoup de temps, et l’investigation historique ne suffit plus ; c’est à la psychanalyse qu’il faut demander la lumière ; alors peut-être, au bout de générations, on pourra pardonner.
 
Dans notre jardin, le magnolia, en plein hiver, porte déjà des bourgeons. C’est, paraît-il, le plus vieil arbre de la création. Ce journal de captivité aussi, porte peut-être, de façon prématurée, des bourgeons de compréhension et de pardon, annonciateurs de relations humaines apaisées, aussi belles que des fleurs de magnolia. Depuis le commencement du monde, l’arbre attend que les hommes comprennent enfin son message.
 
En ce début de février 2022, nous publions ces lignes pour l’anniversaire de l’abbé Jenn, qui était né le 8 février 1884, et a quitté ce monde voici 46 ans, le 25 septembre 1976.
 
«  Ceci, pour les générations futures qui s’y intéresseront ».
 
(Phrase manuscrite de placée à la fin du tapuscrit, probablement par Lucienne Jenn)
 
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