Musée du Chateau d'Argent

Journal septembre 2022 - Edition spéciale

L  A      V  O  I  X      D  A  N  S      L  E     D  E  S  E  R  T
 
Mensuel du Château d’Argent   -   N°  44   -    Septembre  2022.
 
E  d  i  t  i  o  n     s  p  é  c  i  a  l  e.
 
Litiges  Grand’Hôtel  :     La lettre du Professeur Pierre FLUCK.  
 
Expulsés de leur maison, le Calvaire d’un couple âgé à Ste Marie aux Mines…
Danielle et Ariel Vincent
 
par Pierre Fluck
Docteur-ès-Sciences
Chevalier de la Légion d’Honneur
Août 2022

 

Remarque : J’ai  fait la connaissance des époux Vincent à travers la scierie-musée Vincent, dont j’avais fait l’investigation dans le cadre de mes activités de chercheur dans le domaine du patrimoine industriel (alors membre de la COREPHAE, j’avais classé le site au titre des Monuments Historiques). Je m’y suis rendu bien des fois en compagnie de mes étudiants de Master « Patrimoine et Musées », nous y avons toujours été très bien accueillis. Par ailleurs, je suis militant pour la cause de la valorisation du patrimoine du Val d’Argent - dont je suis originaire -. C’est alerté récemment par la situation dramatique des époux Vincent que je me résous à informer l’opinion publique : une passivité de ma part signifierait en effet une non-assistance à personnes en danger.
N.B. : dans ce plaidoyer, je m’affranchis de toute considération politique.
 
Présentation des personnes et des lieux.
Danielle Vincent aura 78 ans. Ancienne pasteur, Madame Vincent est docteur d’Etat en théologie, auteure de plusieurs ouvrages dont « Aux sources de la chrétienté », d’une autobiographie « Mes dimanches à la scierie » (un ouvrage remarquable) et de nombreux textes et publications. Elle a dispensé de nombreuses conférences. Ses grandes passions sont d’une part d’aider son mari à faire vivre la scierie-musée Vincent à Ste-Croix-aux-Mines, d’autre part leurs chats ; ils en ont onze, tous vaccinés, stérilisés, soignés et aimés !
Fondée par le grand-père d’Ariel Vincent, la scierie Vincent à Ste Croix aux Mines, classée Monument Historique depuis 1998, est un site patrimonial de première importance pour l’Alsace.
Hors la scierie, le couple possède trois biens immobiliers à Ste-Marie-aux-Mines : le Grand-Hôtel, la maison de maître dite « Villa Alice » (c’est le prénom de la maman de Danielle) et son parc au 215 rue Clemenceau, de 537 m2, enfin leur maison d’habitation au N°1, rue J-J Bock, construite par le père de Danielle en 1948.
 
Ariel Vincent a 84 ans. Longtemps veuf, il se remaria tardivement avec Danielle. Il laissa son métier avant l’heure aux fins de « ressusciter » et de mettre en valeur la scierie de son père et de son grand-père, sans jamais demander aucune aide financière. Il porte aujourd’hui encore avec passion et savoir-faire cette entreprise (dont il guide lui-même les visites) et la fait vivre pour les touristes et curieux d’histoire. Il a également rassemblé des appareils radio anciens – les uns issus du patrimoine familial, d’autres acquis à ses frais - depuis plus de cinquante ans pour constituer une remarquable collection de radios et d’appareils anciens, ainsi que des meubles et objets de famille, dont le couple a fait un musée, le « Musée du Château d’Argent ». Initialement implantée dans le Grand-Hôtel, cette collection a été déménagée en 2011 dans la villa Alice afin qu’elle puisse être montrée au public (les époux Vincent ont pour cela créé une entreprise).
Ariel Vincent est d’un tempérament anxieux voire dépressif et souffre d’un cancer depuis 2010 ; il a été frappé par un AVC le 20 janvier 2022.
 
Le Grand Hôtel a été édifié en 1850, à l’apogée de l’industrie textile de Ste-Marie-aux-Mines. D’abord un bâtiment de direction, il devint par la suite le lieu de rassemblement des industriels de la Ville.  C’est un lieu de prestige porteur d’une grande portée patrimoniale. Il s’accompagne à l’arrière d’une cour et d’une Salle de Cinéma, qui pendant des décennies a été un des deux cinémas de la ville (l’Odéon).
 
Le film des événements.
L’ancien maire de Ste-Marie-aux-Mines Monsieur Abel a pris en 2007 un arrêté de péril sur le Grand-Hôtel qui ne satisfaisait plus aux normes de sécurité imposées. En conséquence, les locataires ont quitté l’immeuble, ne bénéficiant plus d’APL. À partir de cette date, le « Grand Hôtel » ne pouvait plus être mis en location. Les époux Vincent, ne percevant plus de loyers, se virent dans l’impossibilité d’honorer leurs traites à la Banque Populaire, une dette restante de 315074 € (en 2007 ; portée en 2017 à 442.816 €, intérêts et frais obligent !!!). Suite à un procès long de 3 ans, le maire a été contraint de retirer l’arrêté de péril, mais la situation n’a jamais pu être débloquée, les époux Vincent n’ayant pas les fonds pour restaurer leur immeuble.
Pour régler la situation, Monsieur et Madame Vincent se sont alors dit prêts à céder le Grand-Hôtel à la Banque Populaire. Me X, notaire, les enjoignit au contraire à vendre la villa Alice augmentée de leur maison d’habitation de la rue J.J. Bock, sous prétexte que le Grand-Hôtel « n’était pas vendable »[1]. Une explication paraît surgir : une voisine en effet de la villa Alice leur a confié que Me X envisageait d’installer son étude… dans la Villa Alice… Ce notable a d’ailleurs depuis quitté Sainte-Marie-aux-Mines pour établir son étude dans une autre ville du département.
Suivirent procès sur procès, engagés par le créancier (la Banque Populaire) ; en première instance, l’avocat des époux Vincent, Me Y, les perdit tous. Le second avocat, Me Z, les perdit également.
Me Z confia un jour (ce devait être 6 ou 7 ans après le début de ses services) aux époux Vincent « Saviez-vous que je siège au C.A. de la Banque Populaire et que je suis le parrain de son représentant Monsieur W ? » Les époux Vincent changèrent alors aussitôt d’avocat. Me V. les défendit en appel. Ils n’ont jamais bénéficié d’aucune aide juridictionnelle.
Les époux Vincent tentèrent alors de trouver un arrangement à l’amiable avec la Banque Populaire, proposant une nouvelle fois de lui céder le Grand-Hôtel, à l’origine de leur dette et donc unique objet de ce contentieux. Ils se heurtèrent par trois fois à des refus. La dernière fois, Monsieur W affirma sur un ton péremptoire : « Nous ne voulons pas du Grand-Hôtel, nous saisirons la villa Alice augmentée de votre maison ! ». Ariel Vincent, diminué par l’âge, la durée de ce combat juridique (depuis 2007), les soucis, la maladie, lui répondit « Si vous faites cela, je vais me tirer une balle dans la tête ». Un certificat médical signé par le médecin traitant, le Dr F., atteste de l’inquiétante détresse de M. Vincent.
En avril 2017, deux représentants de la Banque Populaire, un huissier, un serrurier et deux gendarmes sont rentrés de force dans la villa Alice, déclenchant l’alarme. Danielle Vincent immédiatement informée de cette intrusion se rendit sur place et les questionna « Que faites-vous ici ?» La réponse a été « C’est vous qui devez partir, la villa appartient à la banque. » A la question « Avez-vous une autorisation du préfet ? », la réponse a été « On l’avait en janvier ». Le serrurier rajouta « On vous mettra votre musée sur la rue ». Les deux gendarmes saisirent alors Danielle V. sans ménagement et la sortirent sur la voie publique. Elle eut 3 jours d’incapacité de travail.
En avril 2022, des bruits couraient dans le quartier que le Musée du Château d’Argent – pour les Vincent, l’œuvre de leur vie  allait être vendu aux enchères. La Banque Populaire avait d’ailleurs exigé à leur adresse en décembre 2021 que cette collection et ses meubles soient déménagés en 24 heures (ce qui est matériellement impossible), faute de quoi elle serait stockée dans un garde-meubles aux frais des époux Vincent en attendant d’être vendue.
Pour la gestion de ce musée, Ariel Vincent est inscrit au Répertoire des Entreprises et des Établissements. Il faut noter que depuis l’incident d’avril 2017, les époux Vincent n’y ont plus accès : ils sont dans l’incapacité de l’entretenir, et de gérer cet outil de travail, ce qui les prive d’une entrée de ressources.
À présent, la condamnation est prononcée, les époux Vincent n’ont plus de recours…  Accusés, maltraités, à bout de forces, les époux Vincent sont dans le plus profond état d’abattement, de désespoir et devant tant d’injustices ressenties, leur vie, leurs jours sont en danger. Le plus dur aux dires de Danielle est la saisie imminente de leur maison d’habitation, leur havre de vie avec leurs 11 chats très attachés à leur territoire, qui ne pourront ni être nourris, ni déménagés. Ces chats représentent « leur famille ».
NB : En attendant, les époux Vincent accueillent gracieusement les restaurants du cœur dans les locaux du Grand-Hôtel et du cinéma adjacent, ainsi qu’un garagiste auto entrepreneur qui continue son activité (bail à titre gracieux).
 
Conclusions.
Sur le plan humain, on a fait perdre une grande partie de leur vie à ces personnes âgées, mais aussi leur énergie, leur espoir, leur santé, leur argent... Ces procédures, coups de boutoir à répétition, ont été pour eux un assassinat à lent feu… On a joué avec leur santé physique et mentale, des violences morales et physiques ont été commises à leur encontre. Dans ce qui s’apparente à une guerre d’usure à consonnance mafieuse, on les a harcelés, torturés sans leur laisser aucun espoir. N’y avait-il pas la possibilité de régler le contentieux en « saisissant » l’objet même de cette dette, à savoir le Grand Hôtel ? Si les époux Vincent n’avaient eu en leur possession que cet unique objet (qui est bien davantage un palais), quelle aurait été l’attitude de la Banque Populaire ? La facilité, (je n’ose imaginer que ce soit l’appétit d’argent), éclipserait elle ainsi toutes les considérations humaines vis-à-vis de ces personnes âgées, engagées dans le tissu social de la vallée ?                       
Sur le plan juridique, un profond sentiment d’injustice émerge de toute cette affaire. Est-il normal que le principal avocat de la Banque Populaire n’ait signalé sa proximité du plaignant (il en est le parrain !) aux époux Vincent qu’après des années de procédure ? 
Après des décennies d’engagement pour le patrimoine du Val d’Argent, les époux Vincent sont gagnés par le découragement, ils n’ont plus la force de se battre, ce qui rend leur survie précaire. J’ai rencontré Ariel Vincent il y a quelques jours : je l’ai trouvé désespéré, il n’a plus l’énergie de lutter.
Que la justice ne prenne pas en considération l’âge de ceux qu’elle condamne, qu’elle leur ôte ce qu’ils ont de plus précieux à leurs yeux, l’œuvre de leurs passions (leur collection et aussi… leurs animaux), qu’elle les mette à la rue à presque 78 et 85 ans, sans considération de leur état de santé plus que précaire, de tels agissements ne doivent pas rester dans l’anonymat. Comme citoyen, et membre engagé dans de nombreuses actions et activités à but scientifiques et humanitaires, je me dois de signaler cet événement dramatique et non représentatif du Pays des Droits de l’Homme.
 
 NOTES 
[1]   Sans les annexes (dont l’ancien cinéma et un autre bâtiment de quatre niveaux), il totalise 800 m2 ; au prix médian de l’immobilier à Ste-Marie-aux-Mines (en 2022, 1082 €/m2), nous aboutissons à une valeur de 865.600 €. Les travaux à réaliser pour une remise aux normes sont certes onéreux ; il faut cependant noter que le Grand-Hôtel est un bâtiment patrimonial d’une valeur qui le positionne dans une autre catégorie que la moyenne de l’immobilier.
 
 
Pierre Fluck
Docteur-ès-Sciences
Professeur émérite des Universités
Membre d’honneur de l’Institut Universitaire de France
Membre de l’Académie d’Alsace
Chevalier de la Légion d’Honneur
 
Ste-Marie-aux-Mines, le 16 août 2022