Musée du Chateau d'Argent

Journal juin 2021

L A  V O I X   D A N S   L E   D E S E R T 
Mensuel du Château d’Argent - N° 27 - Juin 2021 
 
L  U  C  I  E  N     J  E  N  N        
Curé de Bischoffsheim  
LE  JOURNAL  D’UN PRETRE ALSACIEN  EN  CAMP  DE  CONCENTRATION. 
 
LE  CAMP DE CONCENTRATION SCHIRMECK – STRUTHOF
PENDANT LA PERIODE FRANCAISE 
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E X P E R I E N C E S     E T     D O C U M E N T S
(12 janvier 1945  -  24 décembre 1945) 
 
Première traduction française intégrale, introduction et notes par   
Danielle  VINCENT.   
 
- III -
 
(Suite de La Voix dans le Désert, n° 25 et 26, avril et mai 2O21) .

 

Comme un pèlerin poursuit sa route,  nous découvrons à présent la période où Lucien Jenn se trouve au camp du Struthof, à partir du 3 juin 1945, jour de la Fête-Dieu.
Le traitement de faveur qui lui est réservé là-haut nous étonne d’abord.  C’est un prêtre. Il se trouve dans un environnement paradoxal, où la foi des détenus et l’anticléricalisme des autorités se côtoient.  Où la soif de pratique religieuse fait fi des différences de confessions. Un creuset où prennent   naissance  les premières formes de l’œcuménisme.  Prêtres et pasteurs cherchent avant tout à soulager les détresses chaque jour côtoyées,  savent qu’ils sont là pour écouter,  partager, conseiller, trouver quelques solutions pour rendre la vie plus supportable.
Ils participent, les uns et les autres à la messe,   célèbrent en commun les fêtes religieuses,  partagent leurs chants.  On est si proche, ici, de l’admirable action de ce soldat juif qui avait, sur le champ de bataille de Verdun, fait le signe de la croix sur le front d’un mourant.  L’action pastorale de Lucien Jenn est sans cesse l’objet de brimades et d’humiliations :  il n’a plus le droit de prêcher dans sa langue natale, celle que la grande majorité des prisonniers seule comprennent,  il n’a plus le droit de porter la soutane.  Qu’à cela ne tienne :  il est prêtre dans son cœur, les autres ne s’attachent pas à son apparence et savent percevoir son message par ses actions.
Le journal de l’abbé Jenn est émaillé de confessions relatives aux tortures que subissent les prisonniers : certains en meurent, d’autres se suicident. Comme sous le régime allemand, elles sont tout aussi indescriptibles sous le régime français.  A travers le prêtre, l’Eglise est présente et leur donne les derniers sacrements, là où elle le peut. Il fallait que ce témoignage soit connu en mémoire de tous ces martyrs.
On a beau jeter, à Ste Marie-aux-Mines, les exemplaires de cette traduction dans les poubelles, d’où  nos amis les ressortent ;  le temps qui a sauvé de l’oubli le Journal de l’abbé Jenn, saura aussi triompher de la malveillance et de la bêtise.
  
Vers le Struthof.
 
Je n’ai pas eu le droit de prendre congé de ma soeur. J’étais en civil, c’est à dire de nouveau en soutane, après avoir ôté la tenue verte des détenus.  Arrivé au portail du camp, les FFI m’ont attelé avec un fil de fer à une charrette qui transportait des vivres au Struthof. Folkflorique !   
Deux de nos gardiens, avec le fusil chargé entre les genoux, s’étaient assis sur la voiture. Hue ! Et on s’ébranla, avec cet homme d’Eglise attaché à l’avant, à travers les mêmes rues de Schirmeck et de Rothau, par lesquelles,  le matin, était passée la procession des Saintes Reliques.
Cette comédie a bien servi notre cause. Chaque catholique bien-pensant, oui même chaque homme d’honneur, devait se révolter contre un tel traitement infligé sans ménagement à un ecclésiastique.
Holzner écrit dans son livre sur St Paul  (p.23) :  « Une persécution injuste éveille l’adhésion et la sympathie pour la cause du persécuté »  ( 1 ).
Après bien quatre heures à marcher sous un soleil brûlant, j’arrivai mort de fatigue au Struthof.
 
« Nous étions épuisés,
Secoués par la soif, aveuglés par le soleil, les os paralysés,
incapables de se mouvoir,
Les pieds comme du plomb, le pas lourd.
Où est le quartier ?  Est-ce qu’on n’y arrivera jamais ?
Et on continuait à patauger... »   (Oskar Woehrle, Poèmes, p. 63).
 
Une fois arrivés là-haut, M.Simon, de la baraque n° I a dû laisser son lit et, comme il est menuisier,  déménager à l’atelier.  Un homme aimable et bon ; il m’a tendu un gobelet de limonade :  une bénédiction, un vrai réconfort ; je ne lui en serai jamais assez reconnaissant. Car j’étais totalement épuisé, au bout de mes forces.
Il doit y avoir à peu près dix kilomètres entre Schirmeck et le Struthof.
Ma situation et mon aventure actuelles semblent bien  caractérisées  par les vers de Calderon, dans sa tragédie  Exaltacion  de la Cruz  ( 2  ).
Mon frère se trouve en baraque XIII.  Le repas, ce soir, n’était pas mauvais:  café et rhubarbe. C’était rafraîchissant et facile à digérer.  Heiler, de Schirmeck, m’avait, au départ, encore vite donné un morceau de pain blanc.  Ici, les sanitaires et les toilettes sont en meilleur état qu’à Schirmeck.  La vue, de là-haut, est superbe, aussi belle qu’au Mont Ste Odile.  Comme elle est belle, notre petite patrie alsacienne !   M.le curé Rauch est très estimé ici.  Tous ne disent que du bien de lui et en parlent avec affection.  Ici, les lits sont aussi meilleurs.  J’ai assez bien dormi, car j’étais très fatigué.  Et j’ai eu la permission de rester couché, ce que j’ai fait jusqu’à neuf heures.
P.Fleischmann m’a  rendu visite. Il m’a raconté ce que le commandant de Schirmeck avait dit partout :  j’avais été Ortsgruppenleiter  et croyais encore toujours à la victoire d’Hitler.  Comme dirait l’autre :  « Même si ce n’est pas ainsi, cela aurait bien pu  être quand même ».
J’ai fait un mémoire, pour M.Camille Meyer, sur ce qui m’était arrivé depuis mon arrestation.  J’ai aussi donné une copie de ma prédication de dimanche dernier à M. P.Fleischmann.
Joseph et moi, nous avons écrit une lette aux enfants, Lucienne et Jean. Ils sont à Strasbourg.
Monsieur Fessler, l’ancien successeur du supérieur  de Zillisheim, qui vient de mourir, s’occupe beaucoup de Jean, mon neveu.  Il était mon ancien élève, et est directeur du Collège St Etienne.
J’ai eu l’occasion de saluer aujourd’hui Madame de Chikoff et Madame Braun.
J’ai bien réussi à utiliser l’ancien numéro de Schirmeck : 1, 5.  Mon frère a encore écrit le nombre 6O8 après le 5, et voilà  qui était fait :  1-56O8.  C’est le nouveau nom de celui qui n’a pas de nom.  Cinq mille !  Alors que le préfet, qui vient de quitter ses fonctions, parlait d’une moyenne de trois mille détenus !
 
Une triste image.
 
On a, dans toutes les baraques, gratté aujourd’hui les tables avec des morceaux de verre et on les a poncées avec du papier de verre.  Elles devaient devenir blanches comme neige.  Plusieurs prisonniers, qui étaient arrivés le 27 janvier 1945, m’ont raconté leurs affreuses expériences.
Trois d’entre eux se sont tranché la veine jugulaire ; l’un d’entre eux a crié : « Maintenant je suis délivré ! » et s’est effondré.  Sur les rebords des fenêtres, aussi loin qu’ils ont pu atteindre , ils ont mangé la neige pour apaiser leur faim.  Des femmes allemandes, qui étaient avec les FFI,  les ont montés contre les Alsaciens  ( ? sic)  ( 3 ).  Au milieu du camp se trouve une potence, en souvenir de … cruautés anciennes. Devant mon baraquement, des jardiniers étalent, avec du sable, l’image de la cathédrale de Strasbourg. C’est très beau !
Joseph était hier dans le commando du bois.  Aujourd’hui, il a dû aider à ramener des petits sapins qui doivent être plantés le long du chemin du camp.  Mais, en cette saison, ces petits sapins décoratifs ne vont pas pousser.  Un instituteur, qui fait le catéchisme aux enfants, a dit : « Vous pourriez bien vous charger des cours de religion ! ».  C’est ce que j’aimerais vraiment faire, mais…
P.Fleischmann veut m’aménager dans son bureau un espace pour dormir et peut-être aussi pour lire la messe.  Dans ce cas, je n’aurai pas à regretter le changement de camp.
 
5.6.45     Ce matin, j’étais chez le docteur, et on m’a tatoué du n° 3 ; ce qui veut dire qu’on m’a estimé  inapte au travail. Quelqu’un a fait ces vers aujourd’hui :
« Qu’ils nous aiment ou nous haïssent, Il faudra bien une fois qu’ils nous libèrent ».
Un autre a fait cette remarque :  « Si, je rentre à la maison, je donnerai à toutes les questions une seule réponse :  c’est que j’ai rencontré dans le camp toutes sortes de gens, sauf des gitans et des vanniers ».  Cet après-midi, je devais m’inscrire à la Commission.  A l’entrée du camp se trouve une tour  de garde avec une horloge vivante.  Un détenu doit, jour et nuit, indiquer les quarts d’heures,  les demi-heures et les heures, en tapant sur deux cloches en forme de lampion.
En haut, le gardien doit avancer les aiguilles du cadran toutes les cinq minutes.
Le détenu Roesch, de la famille de mon oncle du même nom, m’a donné ce matin une   friandise de son petit déjeuner. J’ai aussi pu faire porter une petite tartine à mon frère, avant qu’il parte en forêt.  Comme je n’ai pas encore reçu les pars estiva du bréviaire  ( 4 ),   je prie tous les jours trois chapelets.   Au sujet du chapelet, j’ai  lu un beau passage dans le livre du médecin militaire Drexel  (p.83-84) :
« Je me lève et je prie mon chapelet,  dans la souffrance. Je n’ai jamais autant ressenti , comme aujourd’hui, sa valeur  et son soutien.  Je crois que, pour moi, aucun livre écrit par quelque saint homme, ne pourrait remplacer le  rosaire. Il me laisse le champ libre. Chaque Ave Maria recèle d’innombrables pensées et versets, durs ou consolants,  tristes ou joyeux, et leur répétition est comme une fugue, en musique.  A cela se joint la passion du Christ ; dans une cellule de prison, il n’y a meilleur objet de contemplation, chaque jour inépuisable, sans cesse édifiant et réconfortant.  Avec la phrase : ‘Jésus qui pour nous a porté la lourde croix’, se produit assez souvent une interruption :  ‘Moi aussi je veux porter la mienne et je veux la porter toujours, même si elle devient encore plus lourde’.  A la cinquième dizaine :  ‘Lui qui a été crucifié’,  je n’y arrive pas vraiment.  Mourir sur le champ de bataille : oui !  Mourir d’une maladie : oui !  Mourir pour une quelconque affaire de cœur, quand cela a un  sens : d’accord !  Me laisser descendre par les Russes ?  Là ma volonté tremble et cale. Je pense de nouveau au Mont  des Oliviers et achoppe sur les paroles du Christ :  ‘Seigneur, que cette coupe passe loin de moi !’ ».
Cet après-midi à trois heures, j’étais chez le juge des référés   Il m’a demandé de lui faire parvenir le rapport que je lui avais donné,  en français.  Je l’ai fait de suite.  Après, j’ai traduit en français une plainte écrite par le détenu Louis Fischer de Strasbourg.
Ceux qui sont d’astreinte, doivent chanter des chants militaires allemands, à l’aller et au retour de leur lieu de travail  ( ! sic ).  Juste à l’instant, une colonne passe devant mon baraquement :  « Heidi, heido, heida ! ».
Ca remue fort dans la politique internationale. Mais quand est-ce que ça n’a pas bouillonné ? On parle d’un nouveau gouvernement pour l’Allemagne, avec von Papen, von Bruning.
Il est aussi question de rupture des relation diplomatiques entre les Alliés, ceux qui ont cause commune.  Qu’est-ce qui est vrai, de toutes ces rumeurs,  qu’est-ce qui n’est que paroles en l’air ?
 
6.6.45 – Mercredi.     Ce matin à 4h3O, Joseph est venu me chercher pour que j’aille dans son baraquement  (XIII).  Un des détenus avait essayé de se couper la veine jugulaire avec une lame de rasoir.  J’ai jeté mon manteau sur moi et couru vers le malheureux qui était étendu  devant son lit dans une mare de sang. J’ai récité quelques courtes prières et lui donnai l’absolution.  Il était incapable de parler.  Nous n’avons pas réussi à trouver les Saintes Huiles,  alors que nous avions cherché partout dans le bureau de M. l’Aumônier.  Frère Nicolas, du baraquement II savait où était l’huile sainte, mais n’avait pas de clé.  Nous avons donc dû attendre le retour de l’abbé. Les médecins s’étaient de suite occupés du blessé qui, par peur qu’on lui couse un  SS  sur le dos, avait  -  comme il me l’a dit lui-même  -  commis cet acte terrible.  Les SS et la Milice ont été tellement stigmatisés,  tout le temps confondus l’un avec l’autre,  et combattus.  Les conséquences de tels agissements sont fatales pour des gens raisonnables et au cœur sensible, qui ne sont pas de bois, ni de pierre ni de fer,  et que l’on peut jeter çà ou là.  On pense aux trois qui, le 27 janvier, se sont également coupé les veines à l’abattoir  (  5  ).
Dans les premiers temps, au camp du Struthof, tous les bijoux et l’argent des  prisonniers leur ont été confisqués.  On ne leur donna pas toujours de reçu. Quand une fouille allait être organisée, le baraquement où les affaires étaient déposées, partait prétendûment en fumée.  L’incendie n’était pas signalé, de sorte que la population du camp n’en remarquait pratiquement rien.  Le commandant d’alors, le médecin-chef qui y participait aussi, et choisissait,  parmi les prisonniers, les victimes  destinées au crematorium,  ainsi que d’autres de ces criminels, ont été arrêtés plus tard et placés à Schirmeck dans le Bunker  -  où je les ai vus . Ensuite, ils ont été remis aux mains de la justice strasbourgeoise.  Mais on n’a jamais connu le verdict dont ils ont été frappés   (  6  ).
Un prisonnier du baraquement 1, n° 4.675, du nom de Hamacher, m’a demandé de lui procurer un livre de prière.  Je lui ai prêté le très beau recueil de M. l’abbé Heitz,  Jubilate.  A neuf heures moins le quart, j’ai pu prendre part à la messe de la communauté et communier.  P.Fleischmann a protesté auprès du commandant Boissonnier, de la façon indigne dont j’ai été traité dimanche dernier, un affront qui touche tout le corps sacerdotal.
Mais le commandant a simplement répondu :  « S’il était fautif, il fallait être puni »  ( 7  ).        Pour de telles personnes, le « si » est très commode:  il permet de passer par-dessus toutes les difficultés,  et de se jouer des preuves.  C’est ainsi que Mgr Ruch disait : « S’il a fauté, qu’il fasse pénitence »  ( 8 ).   Et ainsi, on tirait à la même corde, et la clochette du pauvre pécheur continuait à tinter  ( 9 ).
J’ai fait un pacte avec ma langue, pour qu’elle ne dise jamais de parole blessante à ceux qui me parlent de manière vexatoire  (Fr. de Saales).  ( 1O )
 
La messe de ce matin a été donné en mémoire de l’archiviste de la ville de Strasbourg, le Dr Brauner, qui est mort par suite de  l’incarcération et probablement des maltraitances.  Il était étendu dans ma chambre à coucher  -  Baraquement  I  -  et souffrait d’une hémorragie rénale. Il n’avait plus qu’un rein  (  11 ).
Les compagnons de baraquement de l’abbé Brauner, l’ancien maire de Geispolsheim et son fils, m’ont raconté après coup, qu’il criait de douleur lors des mictions.  Les maltraitances ont aggravé son mal.  Les deux témoins m’ont raconté, qu’on l’avait forcé à porter un seau de détritus de haut en bas du camp, et chaque fois qu’il dérapait dans la neige avec son fardeau, il était rossé avec des bâtons par les surveillants !
L’homme dont j’ai parlé plus haut, qui a tenté de se suicider, vient de Duttlenheim, mais habite à Cronenbourg, où il tenait un commerce de laitages.  Il s’appelle Wenger. Il n’a pas réussi à trancher l’artère complètement, et va mieux.
A onze heures, le lieutenant Bernhard,  du baraquement I,  est venu me chercher en me disant que je devais prendre mes quartiers  au baraquement XV,  dans le bureau du local occupé par le père.  Je devrai y assurer un travail de secrétariat  ( 12 ).
Un certain Kurtz  -  B. XV n° 1.174  -  s’occupe du prêt des livres, et un autre, du nom de Aug. Jacquin, m’apporte les repas.  Un autre encore, qui s’appelle Kopp est chargé de faire le ménage dans ma chambre.  J’ai justement eu la visite de Joseph ; il se réjouit de me voir si  bien entretenu.  Si, dans cette chambre,  j’avais la possibilité de lire la messe,  comme je serais content !
Je viens d’apprendre que l’homme qui fait le ménage dans « ma » chambre s’appelle Kopp. Il est originaire de la Robertsau  ( 13 ),  mais habite à Graffenstaden, à la gare : Poste d’Ostwald – B.14, 535.  Il est forgeron d’art  et semble bien connaître son métier.  Il m’a raconté comment, lors de l’évacuation dans le  sud de la France, à Tarbes, il a été plusieurs fois arrêté et soupçonné d’être un espion. « Les Français ont fait de moi un martyr ». A la bibliothèque, il a emprunté  L’Imitation de Jésus-Christ  (N° 4).  Un Arménien, sous domination russe, Safarian  -  B. XII, n° 4.128  -  ingénieur diplômé, marié à Léningrad,  a un enfant de neuf ans, et n’a plus revu ses parents depuis onze ans, ni sa femme depuis six ans.  Il était prisonnier russe dans un camp allemand.  Il y a eu une épidémie de typhus dans le camp.  Trois cent à quatre cent personnes mouraient chaque jour.  Il l’a eu aussi, mais en a réchappé.  Sans doute devait-il rester en vie.  Les obus ont touché ses copains à droite et à gauche, et lui est revenu de la guerre avec seulement une légère blessure à la tête.  Il a de grandes peines morales et serait reconnaissant à M. l’Aumônier, de réussir à lui procurer un travail moins pénible.
Les compagnons de captivité Frey et Reisz (le compositeur), étaient chez moi et m’ont raconté ce que l’abbé Deschler de Mittelhausen avait dit dans un sermon, à savoir qu’il y a des personnes qui n’ont pas leur place dans une paroisse catholique , et que ces P.G. devraient disparaître  ( 14 ).
D’après la radio, les Alliés auraient décidé que tous les prisonniers civils du Reich devraient être immédiatement libérés.  Parmi les prisonniers allemands,  il y a un marchand de broderies du nom de Schweitzer, qui est originaire de Rothenbourg / Neckar, près de Stuttgart.  Il y a aussi une demoiselle, Else Charrois, anciennement institutrice à Saverne ; elle me rend de précieux services pour le prêt de livres et pour la messe.  Sur la  demande du Père Fleischmann, elle m’a procuré tout ce dont j’ai besoin pour lire la Ste Messe.  Ainsi, je pourrai commencer la célébration dès demain.  Deo gratias !
 
La vie du camp se poursuit.
 
7.6.45      Ce matin, à cinq heures et demie, j’ai lu la Ste Messe.  Trois détenus présents ont reçu la Ste Communion.
Wilhelm Eger, un Autrichien  - B. XV  N° 4.8O4 -  m’a rendu visite.  Il a été émasculé par les Allemands, à cause de la charge de son hérédité  ( 15 ).    Ce matin, j’ai réceptionné du camp de Schirmeck un paquet de linge sale et ma cape… Une grosse déception !
Le chef du baraquement  sanitaire V, natif de Heidelberg, est juge de profession. Il nous a raconté, à mon frère et à moi,  que les soixante quinze prisonniers, qui avaient été amenés ici le 5 janvier, ont été tellement martyrisés, que cinq d’entre eux sont morts.  Toutes sortes de sévices avaient été inventés : coups, coups de pied, longues stations debout, le froid, la course, et d’autres tortures qu’on ne peut pas décrire.  C’était si diabolique, si horrible, que, disait le juge, Jésus-Christ n’avait pas pu souffrir autant.
Cet après-midi, on a annoncé que les détenus du camp devront aller au lit à sept heures et demie ; on a trouvé la piste d’un attentat planifié par les  P.G.  Avant six heures du matin, personne n’a le droit de se montrer à l’extérieur du baraquement.  Les gardiens ont reçu l’ordre de tirer sur chacun qui se trouverait dehors. On peut deviner ce qui se cache derrière cette comédie. C’est probablement une  bourde commise par  la direction du camp, ou un acte de cruauté, ou autre chose qui doit être dissimulé ou blanchi.
Le Père Fleischmann, comme le juge l’a mentionné ci-dessus,  n’est pas aimé dans le camp, parce qu’il porte le triangle du Struthof sur son habit et pactise avec nos tortionnaires.  Il a l’habitude de se tourner vers des intellectuels susceptibles de participer à des discussions.  Mais là, ce sont les cœurs qui devraient être gagnés en premier.  Le dimanche de Pentecôte, quand la grande croix a été  consacrée sur la place, il a parlé de  « vengeance », un terme qui est resté tellement ancré dans les cœurs et les consciences, que les arguments  qui suivaient,  selon lesquels Dieu avait dit : « A moi est la vengeance », sont passés inaperçus ( 16 ).   Cette fausse interprétation  de l’homélie a été facilitée par le fait que beaucoup d’auditeurs ne comprenaient pas du tout ou très peu le français, et aussi parce qu’ils saisissent très mal que la barbarie française,  endurée corporellement, n’est que la traduction des horreurs nazies dont ils ont seulement entendu parler.
A l’instant, le chef du baraquement m’apporte un brassard comportant la lettre P, en rouge. Tous les Alsaciens devront porter cet insigne, une nouvelle chicanerie. Il y a ici plusieurs brassards :   P =  détenus politiques.   L = Légionnaire.   Dièse = Bunker.  M = Milice.  Deux foudres = SS.  Gros point = Chef de corvée.
Les lettres M et SS sont apposées dans le dos. J’ai vu cet insigne même sur le devant des pantalons. Les Allemands du Reich ont des cercles blancs autour du pantalon et une croix, parfois même une croix gammée sur le dos, apparemment pour rendre impossibles les tentatives d’évasion.
Le  P  a trouvé, chez les détenus, toutes sortes d’interprétations :  Palefrenier, Poussière, Pensionnaires, Partisan, Punis, Polichinelle, membre du Parti,  Pas de chance…  Les jeunes du camp le savent encore mieux et prétendent que ce P signifie :  Les Plans de Paris !
J’ai classé alphabétiquement aujourd’hui, pour me faciliter le travail,  les livres de notre petite bibliothèque du  camp.  La bibliothèque est très fréquentée et, comme  c’était le cas pour le prisonnier Ignace de Loyola  ( 17 ), on lit ici des livres qu’on n’aurait ni le courage ni l’envie de lire à l’extérieur. Et ainsi, mainte graine est semée dans les cœurs.
Cet après-midi, l’aumônier de tous les camps,  M. l’abbé Busser, un Alsacien, est venu ici. Je lui ai demandé qu’il m’obtienne l’autorisation de porter l’habit ecclésiastique.  Il a rétorqué :  « M. Boissonnier veut éviter le scandale , et c’est pour cette raison qu’il ne veut pas que vous portiez la soutane »  ( 18 ).   Je lui ai répondu :  « On n’est pas passé à côté du scandale, le dimanche de la Fête-Dieu, quand on m’avait forcé à tirer en soutane une lourde voiture dans les rues de Schirmeck et de Rothau jusqu’au Struthof »  (Note :  en français aussi).  
  1. Fl. ( 19 ) s’est entretenu avec l’aumônier et son acolyte, un officier, capitaine haut-gradé, à la mentalité authentiquement communiste, frivole et  barbare qui se répand ici et se manifeste de jour en jour davantage.
Je remarquai:  « On est accusé de toutes sortes de choses, mais on n’a pas la possibilité de se défendre. C’est ainsi que le commandant de Schirmeck a répandu ici le bruit que j’aurais été auparavant Ortsgruppenleiter ( 2O ) à Bischoffsheim ;  on passe sur des cadavres sans scrupules ».  J’ai encore pu entendre que l’aumônier murmurait à l’oreille de son gradé de compagnon :  « Les mêmes méthodes comme autrefois »  ( 21 )   (comme chez les Allemands).
Ces messieurs étaient encore accompagnés d’un autre ecclésiastique, M. l’abbé Zimmer, et de deux dames.  Ce prêtre avait été condamné à mort par les Allemands. Il s’excusa de ne pas pouvoir rester plus longtemps, car il était « Capitaine de la résistance » ( 22 ). Il portait un béret.  Les détenus ne peuvent pas être intéressés par des prêtres de ce  genre-là.
Le soir, au souper :  un morceau de pain avec un doigt de saindoux, et du café. Le temps, aujourd’hui,  était frais,  car il y a eu, le matin, un gros orage. Il pleut de nouveau ce soir.  Que tout soit remis entre les mains de Dieu :  le beau et le mauvais temps, le froid et la chaleur, la détention et la liberté, la santé et la maladie, la faim et la soif, la souffrance et la joie, l’honneur et le mépris, la vie et la mort, le présent et l’avenir, le temps et l’éternité ! En face, le jeune pasteur chante les complies. Dans le dortoir à côté, les détenus bavardent encore un peu avant d’aller dormir.   Beaucoup d’entre eux dorment par terre, sur des sacs de paille, ou sur des tables. Certains ont même installé leurs quartiers  dans les lavabos, pour la nuit et dans le froid. Il n’y avait plus de place pour eux dans les lits des baraquements  –  plus de refuge.
Tous les Allemands du Reich espèrent pouvoir rentrer chez eux d’ici quelques jours.  Trop souvent déjà, on les a rassurés ; d’autres disent qu’on leur a menti et qu’on les a trompés.
Les journaux ont pu annoncer que le change, c'est-à-dire l’échange de devises, a occasionné un gain de quatre-vingt milliards  ( !  sic ) à l’Etat.  N’est-ce pas là du vol légalement organisé ?
 
8.6.45   Fête du Cœur de Jésus.    J’ai eu de nouveau la joie, aujourd’hui, de lire la  Ste Messe. J’ai donné la communion aux trois servants de messe. J’ai traduit en français une requête pour M. Fritzinger, chef de gare à Schweighouse.
La bibliothèque est très fréquentée.  Il y aurait ici, au camp, du travail pour trois prêtres.  Mais à moi, toute activité pastorale  a été refusée par le commandant.  Joseph a cherché les paquets qui étaient arrivés ce matin.  Il aurait fallu donner les cerises à Martha,  à Schirmeck.  Le long chemin jusqu’au Struthof les a fait arriver à l’état de pourriture, mais nous en avons quand même sauvé quelques-unes.
«  Lors des bouleversements de l’histoire,  l’homme qui doit alors assurer l’éternité, reprend conscience de la responsabilité qui est la sienne  envers son devoir d’avenir,  dans l’existence et dans l’action.   Quand les temps changent, il recherche des compagnons  de route pouvant lui offrir en caution leur existence , afin d’ancrer l’ordre nouveau dans les valeurs éternelles, et ainsi donner une assurance à la vie » .   Ce sont des paroles en or, tout un programme pour nous autres, prisonniers du Struthof :  se sentir responsable de ce qui vient, de ce qui advient, « ce bel avenir » qui ne peut être que magnifique, s’il est considéré à partir de l’éternité et construit par elle.  Qui a donc été plus  profondément jeté dans l’agitation de notre temps, que nous, les résidents du Struthof et de Schirmeck ? Qui ressent, plus que nous, le besoin, dans le fleuve de  ce temps,  de s’agripper au rocher de l’éternité ?  ( 23 ).    
 C’est bien dit dans une phrase qu’on entend souvent :  « Ici, nous faisons des exercices ». Dans plusieurs années, beaucoup ressentiront encore la bénédiction qui les a accompagnés pour sortir de cette servitude et aller vers l’avenir.  Pados, pados  ( 24 ).  L’épreuve cache en elle une leçon.  Celui qui, dans la souffrance, regarde au Christ éternel et se confie en lui, fera l’expérience que  pados veut aussi dire  kroatos, la force, la force d’En-Haut,  « in infirmitate virtus perficitur »  (« La force s’affermit au sein des infirmité »).
Werner Lenert, dans son joli petit ouvrage : Nikolas Cusanus und Josef Goerres, exprime une idée semblable, cherchant à se détacher des errances et des fautes  du  temporel… « Assurer ce qui est éternel, afin que cela reste vivant parmi les hommes qui, si facilement, se rangent à l’opinion courante ».  J’aime aussi relever la phrase:   «  Parmi le petit peuple de son  pays,  le jeune avocat  (Nicolas de Cuse), rencontra  des choses injustes.  L’ancien droit local  était progressivement  mis de côté  par les seigneurs tout-puissants »   (p. 1O).
Ne vivons-nous pas, aujourd’hui, sous l’égide de la licence et de l’arbitraire ?  N’est toléré, semble­-t-il, ( mais c’est vrai), que ce qui plaît ; et ce qui plaît jaillit de la haine inhérente aux passions politiques.  La soif de vengeance et de représailles, si souvent, et même le plus souvent, se déchaîne contre des innocents, contre des hommes qui, sur le nouveau chemin où leur  époque les a placés,  n’ont la plupart du temps,  rien pensé ni projeté que d’aider les autres, et faire que leur existence soit plus supportable  ( 25 ).
Cette haine et ce ressentiment, parvenus à un comble, ne sont-ils pas la traduction de l’effondrement de la vie religieuse dans les villages ?  L’écho que j’ai dû entendre à propos de la vie religieuse de ma paroisse, incite  un chargé d’âmes, qui a travaillé seize ans là-bas, dans le champ du Seigneur, à devenir vraiment humble et modeste : si peu de charité et tant de haine, si peu de christianisme et tant de paganisme, si peu de religiosité et tant de …bestialité !
Dans le petit ouvrage que j’ai cité, il est dit que Goerres se tenait toujours  « au milieu du temps, au milieu du fleuve, comme un batelier  (son père était conducteur de radeau)  qui guide et surveille le courant afin que la charge qu’il transporte ne verse pas »  (p. 24).  Qui aurait pensé que Goerres interviendrait un jour pour défendre les droits de l’Eglise, lui qui, ayant à peine dix neuf ans, se répandait en protestations contre les sangsues du peuple, les prêtres et les laïcs, avec une témérité sans pareille ?  L’intégrité  dans la justice et l’administration  est ce vers quoi il tend, « comme l’a toujours voulu le peuple »  (p. 25).  Il veut une nation unifiée et combat tout particularisme confessionnel.  Il cherche le chemin d’une Una sancta (« Eglise une et sainte »), au-delà de toute confession, au-delà de la religion catholique elle-même  (p. 27),  « il cherche à développer l’esprit de communion entre toutes les  familles allemandes  et à rendre le droit au peuple »  (p. 28).
Il s’était achoppé au plus sacré :  la foi… « A Strasbourg, il avait pris conscience que la  renaissance du peuple ne peut être demandée qu’à la foi, ainsi que l’Eglise le proclame à travers le temps.  Ce trésor national ne peut être issu que de la foi »  (p. 3O).  « A quelque endroit que vous frappiez la terre »,  écrit-il,  « ici ou là, en ce temps ou jadis, partout la source catholique jaillit du rocher primitif et afflue vers vous »  (p. 3O).  « Nous tous, Catholiques et Protestants, avons péché en nos pères et continuons à tisser la trame des erreurs humaines de telle ou telle façon ;  aucun n’a le droit de s’ériger avec orgueil au-dessus de l’autre, et le Seigneur ne l’accepte d’aucun, encore moins de ceux qui se nomment ses amis »  (p. 31).  « Ce qui n’est pas inventé, mais seulement découvert, c’est cela seul qui est éternel, sage et immortel »  (p. 35)  ( 26 ).
Les jeunes  de la Hitlerjugend  ont tous été rassemblés aujourd’hui dans le baraquement n° VIII.  Là, ils seront rééduqués dans le sens démocratique.  « Celui qui ne marche pas droit, dit le commandant, sera emmuré à la cave ou tué par balles ». Alors, il paraît qu’un des jeunes a répondu :  « Dans ce cas, nous préférons rester ce que nous sommes ».
Le pasteur Neumann a voulu chercher aujourd’hui du vin de messe chez moi ,  pour porter la Ste Cène à un malade.  Je n’ai malheureusement pas pu accéder à son désir, car je ne reçois qu’un petit verre de vin tous les soirs pour la messe.
Monsieur le commandant est monté aujourd’hui avec le Père Fleischmann au Mont Ste Odile. J’ai demandé au père de saluer les messieurs, là-haut.
« Tirol, Tirol, tu es mon pays ! »  et le chant du Westerwald  ont retenti juste à l’instant devant ma fenêtre et devant le Bunker où les prisonniers sont soumis à des exercices punitifs ; il est huit heures moins le quart.  Se courber, avancer, courir, se porter sur les mains et se laisser choir, sauter par-dessus les chevalets  etc…  Mademoiselle Charrois a été chargée,  en tant qu’institutrice,  de diriger ces exercices.  Mais comme elle est très pieuse, les Bunkerer n’auront pas trop à se plaindre ; elle est elle-même une des leurs, une  prisonnière.
 
8.6.45      A Strasbourg, il y a eu un rassemblement du P.R.P. , Parti Républicain Populaire. L’avocat Schmitt a expliqué que l’Alsace ne doit pas être considérée comme un territoire occupé,  mais annexé, et que, de ce fait,  l’internement de tant d’Alsaciens est une injustice ;  c’est le professeur Heckmann, qui me l’a rapporté aujourd’hui.  « De plus, disait-il, les suspects auraient dû être d’abord jugés et ensuite seulement internés, et pas l’inverse ». Ces arguments ont été approuvés à l’unanimité. Cette intervention laisse-t-elle présager un renversement de situation en notre faveur ?  ( 27 ) .
J’ai dessiné aujourd’hui la perspective que je vois de ma fenêtre sur la tour de guet et sur la forêt ; ce sera un souvenir de ma vie dans le camp. Il était temps de mettre cette image sur papier car, au repas du soir, j’ai été appelé par un gardien nommé Bader, chez le commandant.
C’était le même gardien qui,  hier… quelle coïncidence… est entré au bureau, le même qui m’a amicalement salué quand j’étais à la fenêtre, le même qui a été entendu par Spitz à Epfig, alors qu’il disait au délégué Schwartz, du baraquement XIII :   « Nous jetterons le curé hors de la chambre, avec l’accord du commandant ».
Il savait donc ce qu’il en était, lorsqu’il m’a appelé. Je lui ai demandé, en chemin, de quoi il s’agissait. Il a répondu : « De la chambre ».  J’entrai chez le commandant et annonçai, selon le règlement :  « Détenu  n° 5.6O8 du baraquement XV ».  Il répondit : « Mais comment, vous vous permettez de porter encore la soutane, malgré mes ordres ? »  Moi de répondre :  « Monsieur le commandant, je suis prêt à mettre les habits civils, puisque j’ai prié les miens de me les envoyer.  Pour éviter tout incident, je suis toujours resté dans ma chambre ».  -  « Ah, je ne voudrais pas vous  coffrer dans votre chambre.  Cela m’est égal si vous portez la soutane ou non : faites ce que vous voudrez ». Et terminé. Pas un mot à propos de la chambre.  Cependant, il dit au gardien qui s’en allait :  « N’oubliez pas les dispositions dont je vous ai parlé »  ( 28 ).
Nous sommes sortis.  Alors le commandant a de nouveau rappelé le gardien.  J’attends.  Quand il est revenu, j’ai demandé au gardien ce que c’était que ces dispositions.  Il a répondu :  « Vous devez quitter votre chambre et aller en baraque XIII.  Le bureau sera mis à disposition de l’homme de confiance du camp,  M. Schwartz. Il faut qu’il ait de la place pour ses papiers  et nous devons à chaque instant, aussi la nuit, pouvoir le trouver facilement, si nous voulons lui parler ».  J’ai répondu :  « Ca, c’est une chose qui devrait être réglée avec le P. Fleischmann, puisqu’il s’agit du prêt de livres et d’un lieu réservé à la confession.  De plus, le bureau est utilisé pour dire la Messe et pour les exercices de chant. Tout cela deviendra impossible ».  -  « Le Père Fleischmann, répondit Bader, a donc son bureau ».  Je rétorquai :  « Oui, mais à l’extérieur du camp ; là les détenus ne peuvent pas aller le trouver et ne peuvent donc pas se confesser ».  Et je remarquai :  « Le pasteur protestant a lui-aussi son bureau dans le camp même ».  -  « Vous pouvez donc habiter ensemble, avec lui ». -  « J’irai le voir  encore ce soir ».
J’ai fait envoyer des informations sur cet incident au P. Fleischmann, alors qu’il était absent.  Est-ce que M. le commandant n’a pas profité de cette absence pour jouer ce tour à l’aumônier ?  Cela en a tout l’air.  C’est demain que doit se produire mon exodus. Je laisserai soigneusement dans le bureau ce qui appartient au P. Fleischmann.  Ceux qui y pénètreront n’ont qu’à jeter tout cela dehors eux-mêmes, s’ils osent le faire.  Attendons tranquillement ce qui va venir.  De toute façon, il y a du bon là-dedans : c’est que mon frère et moi, nous serons de nouveau ensemble.
 
Les Béatitudes au camp de concentration.
 
9.6.45     Pendant la messe du jour  - Fête de St Boniface -  le P. Fleischmann a prêché sur les Béatitudes.  Jésus répond à toutes les prières et à toutes les peines qui surgissent dans le camp de concentration, et cette réponse est fort différente de celle qu’on attend.  Bienheureux, dit le Christ, les pauvres, les affligés, les affamés, les hommes à la conscience pure, les pacifiques, les persécutés pour la justice ; bienheureux êtes-vous, quand les hommes vous persécutent et disent toute sorte de mal contre vous. Oui, bienheureux êtes-vous, réjouissez-vous et battez des mains, car votre récompense sera grande au ciel.
  1. Surin, dans les Dialogues spirituels, avait, par amour du Christ et pour pouvoir se consacrer intimement à Lui, demandé à Dieu de pouvoir porter son vêtement et sa marque sacrée, et endurer ainsi le mépris et  l’outrage, oui, même d’être considéré comme fou, pour être semblable autant que possible à son maître et créateur, qui a supporté pareille chose pour nous. Le livre de Surin parle d’une dame de la haute société, qui fait une pieuse méditation le matin, et ensuite passe deux heures devant le miroir de sa table de toilette, et enveloppe ses œuvres de pénitence dans une soie parfumée. Cette dame ne ressemble-t-elle pas à cette femme de paysan, que je connais bien,  qui, le matin après la communion et la messe, n’en finit pas avec ses actions de grâces,  et ensuite, s’en va cracher au visage d’un homme d’une autre tendance politique, et qui a été affreusement malmené ?
« Judaei autem concitaverunt mulieres religiosas et honestas  ( !  sic ) et primo civitatis et excitaverunt persecutionem in Paulum et Barnabam et ejecerunt eos de finibus suis »  (Act 13/49 ss.). (« Mais les Juifs excitèrent les femmes dévotes de distinction et les principaux de la ville ; ils provoquèrent une persécution contre Paul et Barnabas, secouèrent contre eux la poussière de leurs pieds… »).
«Combien y en a-t-il, dont la vie n’est rien d’autre qu’un mélange de bon et de mauvais, et dont le cœur est si partagé, qu’on ne peut pas dire qu’ils ont choisi Dieu comme leur seul maître et seigneur » Combien y en a-t-il, dont la vie n’est rien d’autre qu’un mélange de bon et de mauvais, et dont le cœur est si partagé, qu’on ne peut pas dire qu’ils ont choisi Dieu comme leur seul maître et seigneur »  (Surin, p. 14).
 Ceux-là,  la parole de l’apôtre  les interpelle :  « …afin que ceux qui sont en vie ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité »  (2 Cor. 5/15).
Le pasteur Kaufmann a été surpris en train de fumer dans le baraquement XIV, et a été puni de Bunker.  Or, le surveillant avait relevé un faux numéro et a voulu coffrer le porteur de ce numéro,  qui, justement, ne fumait pas.  Celui-ci a protesté et a prouvé son innocence, et ainsi le pasteur Kaufmann est passé avec chance à côté de sa punition  ( 29 ).  Les SS, les SA et les Miliciens ont été transférés au camp de Schirmeck et doivent être battus, comme P. Fleischmann me l’a dit.  Combien de temps encore ?
 
Aujourd’hui, dimanche, le 10 juin   j’ai entendu plusieurs hommes en confession.  J’ai vu briller des larmes dans bien des yeux.  A dix heures et demie,  avait lieu le service religieux catholique.  Quand nous sommes entrés dans la salle, le culte de Ste Cène protestant n’était pas encore terminé, et j’ai vu comment,  après la distribution de l’hostie par le pasteur,  le sacristin a  présenté aussi le calice, dont chaque communiant a pu boire.
Au cours de sa prédication, le P.Fleischmann a dit, en conclusion de la fête du Cœur de Jésus, que non seulement les mains des ouvriers, des travailleurs, des soignants et de ceux qui dispensent la nourriture, répandent la bénédiction,  mais aussi les mains de ceux qui se sacrifient et qui prient. Il faut qu’au cœur ouvert et blessé de Jésus réponde, de notre part, un cœur également ouvert. Par là, des torrents de Grâce pourront  alors se répandre en nous.
  1. le curé Rauch a reçu ce matin un paquet de Mme Cyg… ( ? sic ) pour ses malades, car il avait été si bon pour son mari.  Il y avait aussi un paquet qui y était joint pour M. Schell de Bischheim,  de la part de Mme Bohn.
Les détenus n’avaient pas le droit de se rassembler autour de l’autel,  afin de ne pas y répandre des traces de sable,  mais devaient se tenir éloignés à près de trente mètres de celui-ci, où ils n’ont rien ou fort peu compris de la prédication en allemand.  M. Mura aurait pu faire à M. Fleischmann le même reproche qu’à moi :  « Vous travaillez toujours contre la France ».  Peut-être aurait-il pu déceler dans cette prédication des pointes d’ordre politique.
L’entretien dominical avec les femmes détenues a de nouveau été interdit, avec l’excuse que les hommes avaient, au cours de la semaine, toujours essayé de parler avec leurs épouses.
La soupe d’aujourd’hui a été très bonne : légumes, macaroni et morceaux de viande. Ce soir, il doit y avoir du beurre et du fromage, et cette semaine même du saindoux ! Les cuisiniers précédents avaient fait passer bien des choses en douce. Mais  maintenant on a engagé un chef allemand et depuis, tout est en ordre.  Joseph, mon frère, est couché sur mon lit. Il ronfle. Je vais m’étendre à  côté de lui et me reposer.  Mais auparavant, je veux mettre encore quelques fleurs devant le tabernacle ; je les ai entreposées aujourd’hui, après la messe, dans mon armoire. Comme  c’est beau d’avoir le Seigneur si près de soi ; et je devrais être malheureux ! Aujourd’hui, pendant le service religieux, quarante trois femmes et soixante dix-huit hommes ont reçu la Ste communion.  Au camp de Schirmeck, c’était d’habitude le contraire.  A côté de ma chambre, le pasteur protestant Neumann est en train de chanter Complies avec quelques femmes…  Comme c’est humiliant, pour nous,  catholiques,  que ces « autres croyants » sachent bien mieux que nous, apprécier la beauté du chant choral !
  1. Baltzer - fourreur à Strasbourg  -  était ici, hier. Il a dit brièvement : « D’abord, nous avons été gardés ici par les  souteneurs  ( 3O ),   puis par des vanniers et des fainéants, ensuite par des communistes de Lingolsheim ; ces derniers étaient encore les meilleurs ». M. Baltzer  a aidé mon frère à rédiger une lettre pour le commandant, pour qu’il s’occupe  de son affaire à Paris.  Nous avons aussi écrit une lettre à notre sœur Martha, pour qu’elle essaie d’obtenir sa détention au Struthof  ( 31 ). Elle devait donner comme motif, que le séjour là-haut lui serait plus bénéfique, et aussi qu’à la maison, on n’aurait plus besoin de faire deux paquets à envoyer.
Le beau-frère de M. Ch. Roos  ( 32 )  a été chez moi et m’a raconté que la mort si pieuse de Roos ne convenait pas aux nazis.  Ils auraient voulu qu’il meure en criant : « Heil  Hitler ! », ce qui est un des gros mensonges inventé par Baron  (Note : Baron).  Ce beau-frère nous a donné aussi quelques aperçus des intrigues menées par les députés. En apparence : impeccables; en secret :  sans principes.  A l’extérieur :  combattant pour le bien commun ;  en-dessous :  se battant pour leur propre intérêt.  Machiavel  a l’avantage ; le Christ est une carte avec laquelle on ne peut pas jouer à l’heure actuelle ; elle ne vaut rien dans le jeu politique.  C’est pourquoi, dehors, dans le monde, tout s’effondre. On a oublié la parole du Christ :  « Sans moi, vous ne pouvez rien faire »  ( 33 ).
11.6.45     Dix-sept câbles chargés d’électricité   entourent le camp, et une lampe s’allume tous les vingt pas ; de chaque tour de contrôle un projecteur envoie des faisceaux lumineux sur les différents itinéraires et sur les baraquements, de sorte que, le soir, il fait aussi clair dans le camp que pendant une nuit de pleine lune sans nuage.
Je suis  au Struthof depuis huit jours maintenant. Je m’y plais beaucoup mieux qu’à Schirmeck, car j’ai une chambre pour moi tout seul, la chambre de l’aumônier qui est absent la plupart du temps ;  ici je peux prier tranquillement, étudier, écrire ;  et j’ai la faveur de lire la Ste messe tous les jours.  Si Mura, de Schirmeck, avait su cela, il ne m’aurait pas expédié si vite. Le temps est aujourd’hui pluvieux et froid, et Joseph doit aller en corvée. Il est toujours content quand, après le travail, il peut se faufiler pour quelques instants dans ma chambre et se reposer une minute sans être dérangé, et même faire une petite sieste après midi. En général, nous prenons nos repas ensemble.  Juste à l’instant, « la violette » était dans ma baraque. C’est par son nez bleu, que ce surveillant a acquis ce surnom.
Aujourd’hui, l’homme de confiance des prisonniers allemands du Reich, est allé avec son petit pot de soupe chez le commandant et lui a montré cette … eau chaude. Il a dit au commandant, qu’il était déporté à Dachau et au Heuberg  ( 34 ) ;   or, une cuisine pareille,  ils n’en ont jamais eue, même là-bas ! Si ça devait continuer,  les Allemands du Reich  s’évaderaient.  La radio du camp croit devoir annoncer que, après ça, le commandant est parti à Strasbourg accompagné de son homme de confiance.  Serait-ce là, cette révolte dont il était question il y a deux jours ? Le Allemands du Reich doivent être libérés avant le 15 juin.  Les Américains ont besoin d’eux pour la reconstruction  -  dit la radio du camp !  Le commandant devra certainement partir et à sa place – d’ après la radio du camp – viendra un « chrétien » de Schiltigheim.
 
12.6.45     Cet après-midi, j’ai recopié, pour l’Arménien Safarian Norair d’Erewan, une demande qu’il avait adressée au gouverneur militaire de la Xe région de Strasbourg.  Cet Arménien affirme qu’en Russie il y a vingt pour cent de Bolchéviks, et que cinq pour cent sont dans le Parti.  En 1933, trente millions de Russes seraient morts de faim, alors que du blé de Russie était exporté  ( 35 ) .  Les Européens ne sont pas malins : ils se laissent mener en bateau par les Communistes. Les Russes sont les champions de la propagande. En Italie, par exemple, les Américains vendent un vélo pour  cinquante Lires ;  vient alors un Bolchevik qui vend le même vélo pour dix Lires. Les Russes livrent du pain, du pain en masse pour les autres, pendant que leurs propres citoyens sont dans la disette. Dans les villes, il n’existe plus de propriété privée, et à la campagne, le paysan n’est  plus libre, il travaille pour les kolkhoses. L’Eglise arménienne prendrait le nom de grégorienne 
L’épouse de l’Arménien était Russe, et avait un grand’père  pope. Son enfant a été baptisé  à l’église arménienne de Léningrad.  Il a le droit d’aller à l’église, mais il passe alors pour un attardé et on se moque de lui comme d’un homme qui a des idées rétrogrades ; et ainsi, il a toutes les peines  à trouver du travail. Les églises n’ont pas été détruites à proprement parler, mais, quand il fallait ériger une grande construction, l’église qui se trouvait sur son chemin devait faire place nette et être démolie.  Aujourd’hui, sous la pression américaine, des églises sont de nouveau construites et des prêtres réintroduits dans leurs fonctions…   C’est ce que cet Arménien a dit.
Quand un surveillant s’approche d’une baraque, un cri d’alarme se répand à travers les rangs :
15, 15,  15, 15. Et chacun sait alors de quoi il retourne :  les cigarettes disparaissent, les couteaux retrouvent le fond des poches, et tous se donnent un air innocent.
Les Allemands du Reich se font beaucoup de souci pour leurs épouses, qui son restées à la maison et ont été, comme on le sait, abandonnées aux Marocains.
Le prisonnier Aloïs Schneider, B XII n° 4.421, qui est peintre de son métier, a raconté comment, dans un village, toutes les femmes et les jeunes filles sont allées se réfugier dans l’église et au presbytère. Lorsque le curé a voulu s’interposer pour protéger ses paroissiens, on lui a tiré dessus.  D’innombrables femmes et petites filles ont été transportées à l’hôpital, gravement blessées à la suite des viols.
 
13.6.45     Aujourd’hui, cela fait cinq mois que je suis prisonnier  (12.1.45).  Il y a, paraît-il, une loi française qui stipule qu’une détention préventive ne peut pas durer plus d’un an. D’après cette loi, plusieurs de mes camarades devraient être libérés depuis longtemps,  car beaucoup d’entre eux sont déjà retenus en prison ou au camp depuis novembre ou décembre.  La raison du plus fort… ( 36 ).  La loi, aujourd’hui, c’est le défaut de loi. On peut juste prier avec le Psalmiste :  « Eripe me de inimicis meis ! Deus meus, et ab insurgentibus in me libera me. Eripe me de operantibus iniquitatem »  (Ps 58,1,2) ,   « Filii hominum…dentes eorum arma et sagittae et linguae eorume gladius acutus »  (Ps 56,6)  (  37 ).
  1. K.Meyer m’a parlé, il y a quelques jours, d’un scandale de confessionnal. Devant un groupe d’hommes, qui ont dû chanter : « O du selige, ô du fröhliche… » ( 38 ), le commandant s’est agenouillé dans le confessionnal de l’aumônier,  où officiait comme prêtre un autre de nos tortionnaires, et on a entendu qu’une pénitence de cinq cents Francs avait été ordonnée.  Plusieurs détenus, qui avaient été témoins de cet incident, se sont déclarés prêts à attester ces témoignages et à les signer.
Ce matin, à la messe, le Père Fleischmann a communiqué que, par une disposition émanant de la Préfecture, signée par le commandant de tous les camps, Boissonier, la prédication en allemand et le chant allemand pendant le service religieux seront désormais interdits !!
  1. Fleischmann va à Strasbourg jusqu’à samedi. En me quittant, il m’a donné le texte de l’allocution qu’il a tenue lors de la consécration de la grande croix, sur la place du camp, près du crématoire, paroles qui ont suscité tant d’émotion parmi les détenus. Je les transcris ici, dans mon journal, comme document historique :
« Discours inaugural de la Croix commémorative du Struthof, prononcé le 2O mai 1945, par l’Aumônier du Camp, le R.P. Fleischmann, OSB.
 
« Mon Commandant, mes Frères.  Nous venons d’entendre le cantique émouvant « Le Christ sur le Calvaire ».  C’est un vrai calvaire sur lequel nous inaugurons cette croix pour honorer ceux qui sont morts ici, victimes d’une atrocité féroce et sadistique (sic). Ce sont des victimes alsaciennes, françaises, russes, polonaises, victimes des peuples slaves et de tous les peuples, il y a parmi elles  même des résistants d’Allemagne. Notre cérémonie doit en quelque sorte prendre la place des obsèques qui leur ont été refusées  dans le temps. Ce qui s’est passé ici était quelque chose de  démoniaque, tout le monde le dit, personne n’en doute.  C’est une preuve de quoi l’homme est capable lorsqu’il se sépare de Dieu. C’est aussi  le témoignage,  qu’un homme sans Dieu tombe entre les mains des démons et qu’un monde sans Dieu est un monde rempli de démons.
C’était une belle et noble pensée du Commandant Rofritsch d’avoir érigé à cette place une croix en commémoraison de ces morts. Car la croix est le symbole de la souffrance, de la pénitence, symbole du sacrifice, symbole de la mort, mais de la mort du Christ qui n’était que la porte et la source d’une autre vie, d’une nouvelle vie, d’un nouveau monde, même ici-bas.
En commémorant ces morts, nous les voyons ressusciter et revivre parmi nous. Ils sont présents, et ils réclament trois choses. D’abord ils crient vengeance, oui vengeance, il n’y a pas à douter vengeance, mais vengeance vers le Ciel, à Dieu, mais pas à nous. Ils réclament que justice soit faite ; laissons faire la justice, mais ce n’est pas à nous de nous venger. C’est Dieu qui a dit dans la Bible (Deut. 32,35) : ‘ C’est moi-même qui me vengerai, et je leur rendrai, en son temps, ce qui leur est dû.’
Dieu, dans sa sagesse infinie saura se venger mieux et parfaitement et plus justement. Car si nous nous voulions venger nous-mêmes, nous risquerions de nous laisser emporter par nos instincts les plus bas au lieu de servir vraiment la justice. Ce n’est pas à nous que ces morts réclament vengeance.  Car ils sont auprès de Dieu, dans l’éternité, contemplant toutes choses avec les yeux de Dieu. Nous restons des êtres humains. Contre l’affreuse barbarie qui s’est manifestée à cette place, ces mots nous appellent à la sauvegarde des sentiments humains, d’une vraie et sincère humanité.
Ensuite, nos défunts exigent de nous une nouvelle activité ; pour eux, nous devons contribuer à une rénovation nationale et européenne, à une vraie réforme sociale, au rétablissement d’un ordre fondé sur la justice, sauvegardant les droits de l’homme et de l’individu, de la dignité et de la liberté de sa personne.  C’est un nouvel ordre social qu’ils nous réclament, correspondant à la justice et aux droits de chacun, en liberté, en égalité, un ordre social protégeant les droits de la classe ouvrière. Il ne s’agit pas de concessions faites en forme d’aumônes, il s’agit de lui garantir une existence convenable et des moyens lui permettant une vie digne d’un être humain.
Enfin, les victimes nous demandent nos prières. Prier, c’est rendre hommage à son créateur. C’est la seule attitude sincères envers Dieu, c’est s’ouvrir à Lui, se rendre à Lui. Ensuite, prier c’est intercéder auprès de Lui pour ceux envers lesquels nous avons des obligeances (sic).  Je vous invite donc à répondre à cette demande des défunts, dont les débris sont entresemés (sic) dans la terre de ce monticule au pied de cette croix.
Nous chanterons la grand’messe à leur intention pour demander à Dieu leur repos éternel et implorer pour eux la lumière sans déclin. Cet office sera leur messe d’obsèques.  Nous procédons donc à l’inauguration et je vous demande de vous joindre à moi pour implorer la bénédiction de Dieu sur ce lieu et cette croix, symbole du calvaire et de la victoire sur Satan et ses malices.
Dieu tout puissant et éternel, nous implorons votre bénédiction sur  cette croix. Daignez, Seigneur, Père Saint, bénir ce signe de la croix afin qu’il soit un remède salutaire pour le genre humain. Bénissez, Seigneur Jésus-Christ, cette croix, par laquelle vous avez arraché le Monde à la puissance du démon. Que ce signe de la croix soit sanctifié au Nom du Père, du fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il ».
 
Cette prédication est un chef d’œuvre à coup sûr.  Mais le mot « vengeance », cinq fois répété, a résonné si fort dans les oreilles et dans les cœurs, que tout le reste a été couvert. Qui devrait se charger de venger ceux qui ont enduré dans leur propre corps, les cruautés commises par les organisateurs de cette inauguration ?  Ceux-là n’ont-ils pas été eux aussi « victimes » d’une atrocité féroce et sadistique  ( sic) ?  Ce qui s’est passé ici après 1944 n’était pas moins démoniaque  ( 39 ).  
Un  article important pour nous autres déportés, une prescription à retenir ! On peut lire : «  Les autorités font des propositions pour appliquer le droit (entre le 11 et le 13 juin) :  plus de violences. Comme ces utiles dispositions sont prises à l’encontre des « Nazis », il faut que la population respecte absolument une certaine discipline.  Il ne faut plus que des coups et des suicides se produisent.  Le devoir de chaque citoyen est d’œuvrer dans ce sens ».
Un autre article demande que le dispensaire, pour les malades en détention, soit surveillé et qu’une Commission médicale de criblage  (  4O )   soit mise en place, avec trois médecins, dont au moins un doit être un détenu politique.  On peut mettre un terme à ce scandale, en faisant que les détenus, derrière les barbelés, soient aussi bien qu’à la maison…  A la fin, il est dit que « Nous ne voulons pas des méthodes nazies ».
Elmer, de la baraque XV a été dénoncé au commandant par un Alsacien  ( !  sic ), comme ayant voulu, en compagnie du détenu allemand du Reich (dont les pantalons sont marqués de cercles blancs), organiser un soulèvement, par lequel seraient descendus le commandant et l’ensemble du personnel de garde ;  un jeune de la Hitlerjugend , de la baraque VIII, était l’homme de liaison.  Les deux :Elmer et le jeune, ont été cités ce matin.  Le commandant a menacé le jeune d’être fusillé. Celui-ci a répondu :  « Un homme juste n’émet pas de verdict injuste ! ».  -   « Avez-vous appris cela à la Hitlerjugend ? »  -  « Oui, et j’en suis fier. »  -  « Vous êtes un jeune homme courageux ».
Elmer a demandé une confrontation avec l’Alsacien, et tout a éclaté comme une bulle de savon !  Ce serait de la bêtise d’entreprendre une chose pareille,  alors que les Allemands du Reich vont être libérés.  Le délégué  « des Allemands »  ( 41 ), Docteur Fritz Nothardt, avait participé à l’enquête. 
 
Consolation dans l’affliction.
 
Pour oublier la peine et la souffrance, on se tourne vers la philosophie ou la théologie. Ainsi, j’ai lu le livre :  Anselm von Canterbury  d’Anselm Stolz.  En voici quelques extraits :
Lettre d’Anselme à l’abbé Rainald :
« Je crains qu’il  (il s’agit de son ouvrage  Monologion ) ne tombe entre les mains de ceux qui sont plus disposés à contester ce qu’ils entendent, qu’à le comprendre. Quand ils y lisent quelque chose qu’ils n’ont jamais entendue et qui ne leur est jamais apparue,  ils s’écrient de suite que ce que j’ai écrit est scandaleux et erroné. Loin d’eux, je ne pourrai pas leur répondre, et ainsi, ils croient pouvoir servir la vérité en la contredisant; et d’autres, qui leur accorderont crédit trop vite, avant même d’avoir entendu ce qui en réalité est traité, arriveront à les convaincre que je défends de fausses opinions…
C’est pourquoi, je prie instamment Votre Grâce, de ne pas  montrer cette œuvre à des individus bavards et contestataires, mais à des personnes sensées et paisibles.  Si quelqu’un devait y opposer une contestation qui serait, d’après vous, digne de réponse,  je vous demanderais de me communiquer par lettre vous-même, ou par le moyen de celui-ci,  ce qu’il peut trouver à redire à cet ouvrage, et pourquoi.  Et ainsi seront préservés  l’amour de la paix et l’amour de la vérité de part et d’autre,  et moi, par la défense , ou lui, avec sa question, nous serons conduits à une meilleure compréhension »   (Anselme,  ch. 1, 74).
Seuls les saints peuvent écrire cela  ( 42 ).
 
14.6.45        Le commandant veut maintenant que le numéro inscrit à gauche sur la poitrine, ait la dimension d’une carte postale.
Hier, un détenu, le prêtre français  De Baulin était chez moi.  Il est le compagnon de misère de l’abbé Dr. Brauner, archiviste de la Ville de Strasbourg.   Eux deux, m’a-t-il raconté,  ont reçu plus de cent coups de  bâton et de crosse de fusil.  C’était le 1O janvier.  Ils avaient dû porter des seaux d’ordure depuis la cuisine jusque tout en bas du camp. Ils dérapaient souvent dans la neige et sur la glace.  « C’est ainsi que je traite les curés », avait  persiflé le surveillant.
Les cheveux des prisonniers ne devront plus être coupés à ras  (comme chez les inculpés).  Les chansons et les chants  militaires allemands ne devront plus être chantés.
Il paraît que Pétain a été gracié  ( !  sic )  ( 43 ).   Cette heureuse nouvelle (sic !) avait fait le tour du camp aujourd’hui.  D’un tel dénouement, on espère la libération ( ?)  des  Miliciens et  la nôtre,  les soi-disant collaborateurs.
Joseph a trouvé aujourd’hui des poux dans sa chemise… et a vite changé de linge. Espérons que ce sera efficace.  Trois paquets sont arrivés aujourd’hui : cerises, lard et miel… ce miel, comme par hasard, du directeur d’école Lutz !  A l’Evêché, on a demandé à Lucienne, ma nièce,  « si j’avais eu,  une fois, quelque chose avec M. Lutz ? »  J’ai toujours été correct avec lui et juste avant mon arrestation, je lui avais offert plusieurs œufs de dinde pour une éventuelle couvée.  M. C.Meyer a été limogé.  Il était homme de confiance et délégué.  C’est apparemment parce qu’il a protesté contre le grand format (celui d’une carte postale) des nouveaux numéros.
Martha, notre sœur, nous écrit la lettre suivante  ( 44 ) :
 «  Jeudi, 14.6.45.  Mes chers,  j’étais aujourd’hui chez le docteur. Selon toute vraisemblance,  j’irai demain à Strasbourg. Si je comprends bien, il y aura la même opération  que chez Mademoiselle Wernert  (cancer). Je n’en sais pas encore davantage.  De tout cœur,  Martha » .
Melle Wernert a été opérée du cancer du sein.  C’est une grande épreuve pour Martha et pour nous. Per crucem ad lucem !  Demain, je dirai la Ste Messe pour elle, que le Seigneur lui donne la force de dire un « fiat »  courageux.  Mais nous-aussi avons besoin de la force d’En-Haut pour cette épreuve :
« Père, cette heure pénible
Ton amour me l’a donnée.
Pour cette plaie brûlante,
Père bon, je te rends  grâces ! »    (Louise Hensel).
L’or doit être passé au feu de l’épreuve.  « Les souffrances du temps présent ne sont rien par rapport à la gloire, qui un jour nous sera révélée »  ( 45 ) .
Ce soir, j’ai vu plusieurs détenus qui portaient un brassard,  sur lequel un grand P avait été peint en rouge.  Ce brassard doit remplacer les affreuses croix en bandes blanches, portées sur le dos, qui désignaient tous ceux qui avaient été punis  « jusqu’à la cessation légale des hostilité »  ( 46 )  (quelle expression sophistiquée).
Cet après-midi, Joseph a eu une dispute avec le prisonnier Hagen, qui est allemand et à moitié juif  ( ?  sic ). Ce dernier disait que les Alsaciens étaient soupçonnés et emprisonnés avec raison par le gouvernement français. En revanche, les Allemands du Reich étaient injustement détenus ici. Car presque tous avaient été anti-nazis.  Joseph ( 47 )  a dit à ce Hagen, qu’il était un  idiot.
 
(Suite de la traduction dans le numéro  28  de  La Voix…,  juillet 2O21).
 
 
N  O  T  E  S   :
 
( 1 )   Mgr Joseph Holzner,  jésuite allemand  (1877 -1947) :  Paulus, sein Leben und seine Briefe in religionsgeschichtlichem Zusammenhang dargestellt  (1947).  Cet ouvrage a été traduit de l’allemand par l’abbé Léon Johner en 1951.
 
(  2  )       „Schwitzen sollt ihr, beim Apollo !
                 Wie die andern, untersteht euch nicht zu denken...
                 Dass ihr habt ein Privilegium“     
              (« Vous devrez payer de votre sueur.
                 Comme les autres, ne vous autorisez pas à penser
                 Que vous êtes privilégiés ».)
J’aurais pu répondre :
               « O misshandle mich nicht, Freund !
                  Habe Mitleid mit mir, wenn auch nicht um meiner Würde Willen,
                  So doch meines Alters wegen“.
                  (« Oh, ne me torture pas, ami !
                  Aie pitié de moi, si ce n’est pas pour ma dignité,
                  Au moins à cause de mon âge »).
 
(  3  )       Sur les Forces Françaises de l’Intérieur, voir :  La Voix… n°  25 (avril 2O21), note 12.
 
(  4  )      Voir :  La Voix… n°  26 (mai 2O21) :  l’abbé Jenn avait déjà regretté, le 2 juin 1845, de n’avoir pas reçu la partie d’été du bréviaire.
 
(  5  )    Voir dans  dans la traduction française du Journal de Joseph Rossé, la note sur le Struthof français :  La Voix…, n°  23 (Février 2O21),  note 17 .  Un local du camp de Schirmeck français, où se pratiquaient les tortures, avait été appelé en alsacien : s’schlaahüss  (l’abattoir).
 
(  6  )      C’était pendant la période allemande.
 
(  7  )      Dixit, en français.
 
(   8  )      En français.  « Si… » ;  mais comment savoir ?  Ce « si » est une échappatoire.
 
(  9  )       Il ne recevait  donc pas l’absolution, et continuait à cheminer  et à sonner de la clochette comme les lépreux de jadis.  L’image est évocatrice.
 
(  10  )     Il y a ici apparemment une interruption dans le cours du Journal.
 
(  11  )     L’abbé Joseph Brauner  (1892 – 1945), archiviste à l’Evêché de Strasbourg, directeur de la Bibliothèque et des Archives municipales de Strasbourg, avait fondé en 1926 la Société d’Histoire de l’Eglise d’Alsace  (Gesellschaft für elsässische Kirchengeschichte),  dont l’annuaire :  Archiv für elsässische Kirchengeschichte  (A.E.K.G.) avait publié 16 volumes en langue allemande  entre  1926 et 1944. Une douzaine de prêtres y collaboraient et écrivaient des articles,  en particulier les historiens  Lucien Pfleger (1876 – 1944),  et Médard Barth  (1886 – 1976).  L’abbé Brauner a été arrêté et emprisonné en 1939  par les autorités françaises, qui le soupçonnaient d’avoir touché des subsides de Berlin en faveur des milieux pangermanistes.  Libéré après la défaite française,  il signa, sous la pression de Robert Ernst,  le Manifeste des Trois-Epis,  le 17 juillet 194O, avec  un groupe d’autonomistes alsaciens,  dont Karl Roos et le conseil d’administration de l’Alsatia, dirigé par Joseph Rossé.  Le Manifeste demandait  le rattachement de l’Alsace à l’Allemagne.  L’annexion aura lieu le 18 octobre 194O.  Devenu martyr du Struthof français,  Joseph Brauner  se retrouve, agonisant, dans le bureau de l’abbé Jenn et sera transporté  aux hospices civils de Strasbourg où il mourra peu après.
 
(  12  )     Gabriel   Andrès, qui a dactylographié le manuscrit de l’abbé Jenn, note ici :  « Un peu illisible ».
 
(  13  )      En allemand :  Ruprechtsau.
 
(  14  )      P.G. :  « Parteigenosse »  (politiques), ou  « Parteigänger »  (partisans) ?  Il s’agit sans doute de fidèles au Parti nazi.
 
(  15  )       Hérédité juive ou tsigane, probablement.
 
(  16  )        « A moi la vengeance…. »    ( Dt 32/35).
 
(   17  )    St Ignace de Loyola (1491 – 1556) , d’abord officier dans l’armée espagnole, fut blessé au  siège de Pampelune, en 1521,  lors d’une guerre entre la France et l’Espagne. Ignace  mit son invalidité à profit pour  se consacrer à la lecture,  dont  s’ensuivit sa conversion.
 
(  18  )        En français dans le texte.
 
(  19  )        Sans doute le Père Fleischmann.
 
(  20  )       Chef de district nazi.
 
(  21  )        En français.
 
(  22  )        En français.
 
(  23  )        Il était professeur de Philosophie au Collège de Zillisheim.
 
(  24  )        Cette mention nous reste mystérieuse.
 
(  25  )        C’est un vrai réquisitoire de l’abbé Jenn  ici, contre l’épuration française.
 
(  26  )        On a compris que l’auteur oppose cet idéal à l’idéologie nationale-socialiste et aussi au Communisme.
 
(  27  )      Très intéressante distinction entre occupation militaire  (par la force des armes),  et annexion politique, (par  suffrage populaire,  convention  ou réactualisation :  c’est ainsi que Hitler avait interprété l’annexion de 194O. Déniant toute légitimité au traité de Versailles, puisque le traité de Brest-Litovsk de 1917 n’avait pas été pris en compte, il considérait que l’annexion de 194O n’était que la réactualisatiion ou la suite légitime de celle de 1871).   Pour  l ’abbé Jenn, l’annexion confère une légitimité de droit, et ceux qui   la  réclament ne peuvent être tenus pour coupables ;  l’occupation armée, en revanche, est temporaire et réversible,  pas forcément légitime, et ceux qui défendent une nationalité usurpée par la violence se mettent en faute.  Il est possible que notre auteur pense ici aux autonomistes qui avaient signé le Manifeste des Trois-Epis,  particulièrement à l’abbé Brauner, et veut souligner leur innocence.
 
(  28  )        Tous ces dialogues  en français.
 
(  29  )        Donc aucun des deux n’a été puni, finalement.
 
(  30  )         En allemand :  « Zuhälter ».
 
( 31 )          On remarque à plusieurs reprises que, pour l’abbé Jenn, le Struthof paraît préférable au camp de Schirmeck.
 
(  32  )      Voir le récent ouvrage de Bernard Wittmann :  Karl Roos, un autre Dreyfus alsacien ?  (Yoran Verlag, 2O2O).  Karl Roos avait épousé le 4 août 1921 à Strasbourg Marguerite Emilie Hof, mais a divorcé en 193O.  Une affaire qui serait aussi intéressante à  étudier.
 
(  33  )        Jean  15/5.
 
(  34  )    Le camp de concentration nazi du Heuberg a été créé en mars 1933, près de Schwenningen  dans le Wurtemberg. Il était dirigé par le capitaine SS Karl Buck. Ce camp a été fermé en juillet 1935.  Karl Buck a dirigé d’autres camps, et notamment celui de Vorbruck-Schirmeck dès sa création. Appelé « camp de rééducation », différemment des camps de « concentration »,  le camp de Schirmeck a  ouvert   le 15 septembre 194O . On y a compté environ 15.OOO détenus,  1.OOO hommes et 4OO femmes.   Karl Buck était connu pour sa cruauté et a été condamné à mort le 21 janvier 1952 par le tribunal de Metz.  Ce jugement a été cassé pour vice de forme, et le procès a été repris par le tribunal militaire de Paris,  qui a condamné Karl Buck à la réclusion criminelle à perpétuité.   En avril  1955, il est extradé en Allemagne, et est libéré après huit ans de prison. Il meurt de mort naturelle en 1977, à l’âge de 82 ans.
Nous avons puisé ces renseignements sur internet.
 
(  35  )      L’extermination par la faim, ou  Holodomor en ukrainien, a été organisée par Staline  au moyen d’une loi, le 7 août 1932,  punissant de déportation ou de mort tout vol ou dilapidation de denrées alimentaires, même dans les champs. Elle a été appelée la loi des Epis. Une famine causant la mort de  plusieurs millions de personnes s’en suivit.  Elle fait suite à une politique d’exportation de céréales et de réquisitions forcées chez les paysans  qui résistèrent en diminuant leur production.   Le régime organise alors, au prix de grandes révoltes paysannes en Ukraine,  le regroupement des terres et des fermes   en  fermes d’Etat,  les kolkhozes,  une collectivisation  dirigée avant tout contre les  paysans aisés.
 
(  36  )       En français dans le texte.
 
(  37  )      Ps. 59 (58) / 1,2 :   « Mon Dieu ! délivre-moi de mes ennemis,  protège-moi contre mes adversaires !  Délivre-moi des malfaiteurs, et sauve-moi des hommes de sang ! »
                  Ps  56 (57) / 5 :   « (Je suis couché au milieu) d’hommes qui ont pour dents la lance et les flèches, et dont la langue est un glaive tranchant ».
 
(  38  )       Célèbre cantique de Noël allemand.
 
(  39  )       A partir du mot « victimes », la phrase est en français dans le texte.
 
(  40 )        En français dans le texte.
 
(  41  )       En français dans le texte.
 
(  42  )    St Anselme (1O33 – 11O9), né à Aoste, entre à l’abbaye du Bec en Normandie à l’âge de 27 ans.  Il consacre sa vie religieuse à l’étude et à la traduction d’auteurs anciens, ainsi qu’à la rédaction d’ouvrages de théologie, et à l’enseignement, essayant de trouver une articulation, une dialectique entre la foi et la raison, ce qui était la grande affaire de la théologie de l’époque, dite théologie scholastique. Il rédige un traité de dialectique : le Monologion de Divinitatis (1O76), suivi du Proslogion seu Alloquium de Dei existentia (1O77) et des Dialogues (1O8O). En 1O93, par ses relations avec les abbayes anglaises,  Anselme est  élu archevêque de Cantorbéry et entreprend la réforme de l’Eglise d’Angleterre.   En conflit avec le roi, Anselme est contraint de  retourner  en France en 1O97.   Ses réflexions théologiques sur les rapports de la foi et de la raison,   sur la Trinité et l’existence de Dieu, il les  résume dans une formule célèbre : « Je crois pour comprendre. Car je ne comprendrais pas, si je ne croyais pas ».
Cette référence à St Anselme met en lumière toute la mesquinerie à laquelle l’abbé Jenn, qui aspire tellement à autre chose, est confronté chaque jour dans le camp, et dont ce qui suit est un exemple navrant.
 
(  43  )      Lors de son procès, le 15 août  1945, Philippe Pétain a été condamné à la peine de mort, à l’indignité nationale et à la confiscation de ses biens.  Mais étant donné son âge, sa peine est commuée en  emprisonnement à perpétuité. Né le 24 avril 1856, il avait 89 ans en 1945. Il est mort en exil à l’Ile d’Yeu le 23 juillet 1951.
 
(  44  )        La lettre est en allemand.
 
(  45  )       En français dans le texte.  Rm 8/18.
 
(  46  )      On a déjà eu l’occasion d’apprécier  le franc parler de Joseph Jenn , au début du journal :  voir 12.5.45  (La Voix… n° 26, p. 6).  On apprendra plus loin  (1O.7.45)  que Joseph était fabricant de bonneterie à Paris, 27 Boulevard des Italiens.
 
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L  A      P  H  R  A  S  E      D  U       M  O  I  S   : 
 
« De la France, il n’aura connu que la prison, la répression policière, les campagnes de diffamation, la ségrégation linguistique et culturelle, le mépris du dominant, la haine à l’égard du Boche... et finalement le peloton  d’exécution ».
 
                                                     (Bernard Wittmann, à propos de Karl Roos,  mais aussi de tant
                                                     d’autres, op.cit. p. 132).
 
   
La Voix dans le Désert.  Mensuel du Château d’Argent.
Directrice de publication :  Danielle Vincent.
Editions du Château d’Argent, 185 rue De Lattre de Tassigny,  6816O Ste Marie-aux-Mines.
Mise en page et impression :  ZAPA Informatique.
ISSN : 265O – 7225.  Dépôt légal :  2e trimestre 2O21.